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Fukushima. Le rapport qui accable l'homme
actu-match | jeudi 5 juillet 2012 lien
Fukushima. Le rapport qui accable l'homme
Un détecteur de radiations affiche 131 microsieverts le 28 février, à proximité de la centrale de Fukushima Daiichi. A cet endroit, on reçoit en dix heures la dose annuelle maximale recommandée en France pour la radioactivité artificielle. | Photo Kimimasa Mayama/Reuters
Le rapport d'une commission d'enquête japonaise publié jeudi accable le gouvernement japonais et l'entreprise Tepco.
Six mois de travail, plus de 900 heures d'audition et des entretiens avec plus de mille personnes: le rapport de la nouvelle commission d'enquête chargée par le parlement nippon de faire toute la lumière sur l'accident dit de la centrale nucléaire de Fukushima ne souffre d'aucune contestation possible. Sa conclusion est donc sans appel.
"L'accident à la centrale nucléaire de Fukushima est le résultat d'une collusion entre le gouvernement, les agences de régulation et Tepco, et le manque de gouvernance de ces instances", peut-on lire dans le résumé en anglais du rapport de 641 pages. "La commission a relevé une ignorance et une arrogance impardonnable pour toute personne ou toute organisation travaillant dans le domaine du nucléaire. Nous avons découvert un mépris pour la sécurité du public", explique encore le texte, pour qui l'accident a été "créé par l'homme". La gestion de la crise de l'ancien Premier ministre Naoto Kan est notamment critiquée, de même que l'attitude des dirigeants de l'opérateur.
Des avertissements avant la catastrophe
"La direction de Tepco était consciente des retards dans les travaux anti-sismiques et des mesures contre les tsunami et savait que Fukushima Daiichi était vulnérable", a expliqué la commission. Dans un document remis le 28 février 2011 à l’agence japonaise de sûreté nucléaire, la société fondée en 1951 sur les braises de la Tokyo Electric Light Company, créée elle en 1883, expliquait qu’elle n’avait pas contrôlé 33 éléments des six réacteurs de Fukushima-Dai-ichi, dont un moteur et un générateur électrique d'appoint pour le réacteur n°1, dont la faillite après le tsunami sera une cause directe de la crise actuelle. Le 2 mars 2011, quelques jours avant le tsunami, l’agence japonaise de sûreté nucléaire signifiait à la Tepco qu’elle avait jusqu’au 2 juin 2011 pour lui adresser un point complet sur le programme de contrôles de la centrale, mais estimait que qu’il n’y avait aucun risque immédiat... Avant le tremblement de terre les dommages collatéraux qu’il a provoqués au sein de la centrale nucléaire de Fukushima Dai-ichi – l’accident a été classé au niveau 6 sur l’échelle à sept niveaux instaurée par l’Agence internationale de l’énergie atomique –, le programme nucléaire civil japonais avait déjà été l’objet de nombreuses critiques. En 2002, une affaire de contrôle de sécurité falsifiée avait éclaté au grand jour au sein de la puissante Tepco. Des fonctionnaires de la compagnie avaient tenté de dissimuler des fissures dans les cuves de 13 des 17 réacteurs exploités. Parmi ceux-ci figuraient déjà ceux Fukushima Dai-ichi.
En juillet 2007, à la suite d’un tremblement de terre de 6,8 sur l’échelle de Richter, la centrale nucléaire de Kashiwazaki Kariwa, toujours exploitée par la Tepco, avait été gravement affectée par le séisme. De l’eau s’était répandue dans le bâtiment de l'un des réacteurs, avant d'être rejetée dans la mer, chargée d'éléments radioactifs. En juin 2008, un nouveau tremblement de terre cette fois-ci de 7,2 endommageait l’un des réacteurs de la centrale nucléaire de Kurihata, sans grave conséquence.
Le gouvernement japonais a-t-il joué avec la santé de ses concitoyens ? En août 2007, le professeur Ishibashi Katsuhiko, de l’université de Kobe, créait le néologisme Genpatsu-shinsai, que l’on peut traduire par le désastre nucléaire créé par un tremblement de terre dans une tribune publiée conjointement par l’«International Herald Tribune» et «Asahi Shinbun». Il mettait en lumière les risques encourus par le Japon. «Depuis le tremblement de terre de Hanshin qui a dévasté Kobe en 1995, presque tout l’archipel japonais est entré dans une période d’intenses activités sismiques», expliquait-il, alors même que le gouvernement sous-estimait les risques potentiels posés par des tremblements de terre majeurs. «La période de forte activité sismique se poursuivra pendant encore 40 ans ou plus. Si des mesures radicales sont prises dès maintenant pour réduire la vulnérabilité des centrales nucléaires aux tremblements de terre, le Japon pourrait connaître une véritable catastrophe nucléaire dans un proche avenir», prophétisait-il. Et le sismologue de prendre l’exemple des centrales nucléaires exploitées par Tepco, aux importants défauts de conception pour supporter les effets d’un tremblement de terre de grande ampleur.
La Tokyo Electric Power a aussi ignoré les nombreux messages d’alerte, notamment un rapport présenté par l’Institut national de la science industrielle et de la technologie sur les conséquences du tremblement de terre survenu au large de la préfecture de Miyagi il y a 1150 ans de cela. Le séisme d’une magnitude de 8,3 ou 8,4 sur l’échelle de Richter – selon les estimations – avait provoqué un tsunami d’une rare violence, qui avait pénétré jusqu’à quatre kilomètres à l’intérieur des terres et fait au moins 1000 morts, selon ce qui est décrit dans le «Nihon Sandai Jitsuroku» («Les Annales des trois règnes» en Français). Bien sûr, Tepco a négligé cet avertissement, jugeant plus utile d’adapter ses normes de sécurité au référant du tremblement de terre de 1938 – d’une magnitude de 7,9. La très sérieuse Japan Nuclear Energy Safety Organization (JNES) avait établi le scénario de la catastrophe de Fukushima avant que celle-ci ne se produise, estimant dans un rapport de 1998 que si une vague de 15 mètres de haut s’abattait sur les installations nucléaires, celle-ci noierait les groupes électrogènes de secours et provoquerait une réaction en chaîne, avec l’impossibilité de refroidir les réacteurs et son endommagement définitif.
Des manquements après le tsunami
Quant à l'après tsunami, la presse japonaise avait déjà établi le listing des erreurs commises par la compagnie. Dans la nuit du 11 mars, quelques heures après le tremblement de terre et le tsunami, la société avait ainsi prévu de libérer de la vapeur mélangée avec des substances radioactives du réacteur n°1 pour diminuer la pression de la cuve. L’opération sera réalisée de nombreuses heures plus tard, après l’inspection très médiatique du Premier ministre Naoto Kan et alors que l’évacuation des résidents de la centrale sur un rayon de dix kilomètres plus tard n'est pas terminée. Dans les colonnes du "Daily Yomiuri", Kenzo Miya, professeur à l’Université de Tokyo et expert en ingénierie nucléaire avait expliqué que ce «retard» avait été préjudiciable pour la suite des opérations. De même, Haruki Madarame, président de la Commission de sûreté nucléaire, avait regretté la lenteur des premières opérations et notamment de l’injection de l’eau de mer. Rappelons que l’eau de mer avait l’«inconvénient» pour la Tepco d’endommager durablement les réacteurs en vue d’une exploitation future.
En déplacement professionnel distinct, les cadres dirigeants de la société n’avaient pu rejoindre Tokyo que le lendemain du drame, ce qui a bien sûr eu un impact sur l’organisation générale. Selon les analystes, l'opérateur avait également négligé le problème posé par les piscines de stockage des barres de combustible nucléaire, bien que ces dernières soient potentiellement plus dangereuses – sur le plan de la pollution. La température des piscines a sans doute augmenté à partir du 13 mars 2011 en raison de l’arrêt de la circulation de l’eau de refroidissement, ce qui était prévisible selon les spécialistes.
Enfin, au-delà des défaillances techniques, la Tepco a souffert d’une communication désastreuse, de l’absence identifiable dans les médias de son principal dirigeant, Masataka Shimizu, hospitalisé, aux nombreuses contradictions quant aux taux de radioactivité constatés, ce qui a bien sûr ajouté au caractère dramatique de la situation. Et le "Daily Yomiuri" de rappeler que la compagnie niait les premières explosions alors qu’elles étaient visibles à la télévision japonaise... Bien sûr, l'opérateur a fait rédiger son propre rapport, publié en juin, dans lequel il démentait toute responsabilité, imputant au tsunami la cause du désastre tout en admettant après coup ne pas avoir été suffisamment préparé à un tel scénario.
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