• Gestation pour autrui: ce que va changer (ou pas) la circulaire

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    Gestation pour autrui: ce que va changer (ou pas) la circulaire

    30 janvier 2013 à 15:46 lien 
    Sylvie (G) et Dominique (C) Mennesson (ici à Paris en 2010) demandent depuis des années la reconnaissance de la filiation de leurs jumelles nées d'une mère porteuse américaine.
    Sylvie (G) et Dominique (C) Mennesson (ici à Paris en 2010) demandent depuis des années la reconnaissance de la filiation de leurs jumelles nées d'une mère porteuse américaine. (AFP)

    Décryptage La Chancellerie a demandé aux tribunaux d'accorder un certificat de nationalité aux enfants nés à l'étranger de mère porteuse. Les clés du débat.

    Par CATHERINE MALLAVAL, MARIE PIQUEMAL

    Quelques heures après l’ouverture du débat à l’Assemblée sur le mariage pour tous, mardi, la Chancellerie a envoyé une circulaire aux tribunaux (lire ci-dessous) leur demandant de ne plus refuser la délivrance de certificats nationalité française aux enfants nés de mère porteuse à l'étranger. Effet immédiat dans les rangs de l’opposition. Les députés UMP dénoncent depuis à tue-tête cette «porte ouverte» à la gestation pour autrui (GPA), une pratique interdite en France mais autorisée dans certains pays comme l’Inde ou les Etats-Unis. Pourquoi cette circulaire a-t-elle été publiée maintenant? Maladresse ou tactique politique ? Sur le fond, que va changer ce texte ? Combien d’enfants sont concernés et dans quel cadre légal vivent-ils aujourd’hui ?

    En quoi consiste la gestation pour autrui ?

    Le mot «gestation pour autrui» recouvre trois situations différentes. Dans le premier cas, la mère porteuse accouche sous X d’un enfant conçu par insémination artificielle avec son propre ovocyte et le sperme du père intentionnel. Deuxième cas de figure: la mère porteuse est seulement gestatrice, elle porte un embryon conçu in vitro par les parents génétiques du bébé. Troisième possibilité: l’embryon est conçu in vitro avec les ovocytes d’une donneuse et le sperme du père intentionnel. Ces trois pratiques sont interdites en France depuis un arrêt de la cour de cassation de 1991. Avoir recours à une mère porteuse en France est passible de trois ans de prison et 45.000 euros d’amende au nom du principe de l'«indisponibilité du corps humain», voire de dix ans de prison pour fausse déclaration à l'état civil.

    La gestation pour autrui est en revanche autorisée dans plusieurs pays. En Europe, la GPA est légale en Grande-Bretagne depuis 1998 (mais dans des conditions très rigoureuses) et en Grèce depuis 2000. En Belgique et Finlande, la GPA n’est pas explicitement interdite mais régulée par la déontologie des équipes médicales. Elle est en revanche parfaitement légale aux Etats-Unis, au Canada et en Inde notamment.

    De fait, chaque année, des couples français, homosexuels ou pas, partent dans ces pays pour recourir à une mère porteuse.

    Combien d’enfants sont concernés et quel est leur statut légal en France ?

    Impossible d’avoir des chiffres officiels dans la mesure où cette pratique est interdite en France. «Dans notre association qui regroupe essentiellement des parents gays, nous estimons qu’il y a environ 100 naissances par an par GPA, indique Alexandre Urwicz, coprésident l’association des familles homoparentales (ADFH). On peut évaluer en tout le chiffre des naissances par GPA entre 500 et 800 chaque année.»

    Aujourd’hui, quand un couple rentre en France avec un bébé conçu à l’étranger par GPA, l’enfant n’apparaît pas sur le livret de famille- le lien de filiation n’est pas reconnu en France. Il n’a pas non plus la nationalité française de droit. Sans être forcément apatride pour autant: si l’enfant est né aux Etats-Unis par exemple, il a le passeport américain. Il peut arriver aussi, au bon vouloir du tribunal, qu’un certificat de nationalité française (document permettant de prouver la nationalité) soit accordé à ces enfants soupçonnés d'être nés par mère porteuse. «Les refus de certificat ne sont pas systématiques», précisait ce mercredi à l'AFP l’avocate Caroline Mécary, qui se bat depuis quinze ans pour le respect des droits des homosexuels.

    Que change (ou pas) la circulaire Taubira ?

    Le ministère de la Justice vient de demander, par voie de circulaire, aux tribunaux de ne plus refuser la délivrance de certificats de nationalité française à ces enfants nés de mère porteuse à l'étranger.

    Est-ce de facto la reconnaissance de la gestation pour autrui, comme le dénonce les députés de l’opposition? Non, a martelé la Garde des Sceaux Christiane Taubira: «Il n’y a pas la moindre modification de la position ni du président de la République ni du gouvernement. La GPA dans notre droit est interdite, ça ne fait pas débat», a-t-elle insisté à la sortie du Conseil des ministres ce mercredi matin. Son cabinet précise: «La circulaire ne concerne pas la transcription des actes d’état civil étrangers sur le registre d’état civil français.» La filiation ne sera donc pas établie pour ces enfants.

    «Ce n’est pas du tout un bouleversement juridique puisque la GPA reste interdite, estime Julien Fournier, avocat spécialiste des «nouvelles familles». Le code civil ne sera pas modifié. Cela permettra seulement de donner une existence légale à ces enfants qui en sont privés.»

    «C’est une avancée, un début de reconnaissance de nos enfants, estime l’emblématique Sylvie Mennesson, 48 ans, qui avec son époux, bataille depuis des années pour que la justice reconnaisse leur filiation avec leurs jumelles nées en 2000 aux Etats-Unis d’une Californienne qui, comme elle dit, leur a fait «un don de grossesse». Sylvie victime d’une malformation congénitale de l’utérus n’ayant pu «porter» ses filles: «Cette circulaire est une façon de reconnaître l’existence de ces enfants jusque-là "fantômes" sur notre territoire. Nous depuis leur naissance, nos deux filles n’ont qu’un passeport américain. Nous allons enfin pouvoir leur obtenir des papiers français. Mais on s’arrête en chemin. Or l’administration nous demande sans cesse un livret de famille.»

    Pourquoi maintenant ?

    La question de la GPA a été écartée du texte sur le mariage pour tous, étudié en ce moment à l’Assemblée. Lors de l’examen du texte par la commission des lois, plusieurs députés PS avaient plaidé pour une évolution du droit sur la GPA tout en expliquant que le texte sur le mariage n'était «pas le bon véhicule législatif», renvoyant au projet de loi sur la famille, promis par le gouvernement et annoncé au menu du conseil des ministres du 27 mars.

    Le 16 janvier, la ministre Christiane Taubira avait déclaré «réfléchir» à la question de la transcription à l'état civil français des actes de naissance d’enfants nés à l'étranger par mères porteuses. «Je fais étudier les procédures possibles de façon à ce qu'éventuellement soit à 16 ou à 18 ans (...) nous puissions faire procéder, peut-être automatiquement ou par une procédure allégée, à la transcription de l’acte de naissance sur le registre d'état civil.»

    Joint ce matin, Alexandre Urwicz de l’AFDH, n’est pas étonné de cette circulaire: «J’aurais été surpris que la France ne fasse rien alors que le Parlement européen doit rendre en mars un rapport sur les enfants nés de GPA quand les pays ne l’autorisent pas. Nous aurions risqué d'être les derniers de la classe, en continuant à faire primer l’idéologie sur la sécurité des enfants. En Allemagne et en Espagne, où la GPA est interdite, les enfants peuvent obtenir un passeport ou une carte d’identité sans faire de discrimination sur l’origine procréative des enfants. Il est temps d’avoir un débat et de le dédiaboliser. Il ne s’agit pas d’enfants marchands, beaucoup d’enfants gardent des contacts avec leur mère porteuse, et aux Etats-Unis ce ne sont pas les couples qui choisissent la femme, mais l’inverse: elles sont donc consentantes et éclairées.»


    La circulaire du 25 janvier 2013


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