La nuit est tombée depuis longtemps sur Marseille, mais Patrick Mennucci ne veut pas quitter la fédération PS. L'allégresse ne retombe pas. «On avait dit que j'étais clivant, isolé, dit-il. Le score montre que ce n'était pas le cas.» Le député du centre-ville vient de se qualifier pour le second tour de la primaire socialiste, et il affrontera Samia Ghali, arrivée en tête de ce premier tour. Euphorique, la sénatrice a pris un bon bain de foule au Vieux-

Port, promis d'avoir la peau des différences Nord-Sud si elle devient maire de la ville. Pour cela, il va falloir

battre un proche.

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Mennucci et Ghali ont lutté ensemble dans les quartiers Nord, où tous deux sont nés, et où Patrick Mennuccci

avait d'abord tenté de gagner une circonscription. Il s'est depuis rabattu sur le centre-ville, elle a continué là-bas

, est devenue maire de secteur et sénatrice. Et c'est dans les quartiers populaires de son secteur qu'elle a creusé

les différences lui permettant d'être en tête.

Cela fait très longtemps, avant même le printemps, que son proche entourage promet qu'elle sera en tête de ce scrutin. Et dans la nuit de dimanche à lundi, alors qu'il ne restait que quelques bulletins à vérifier, Samia Ghali

a récolté 5 151 voix (25,25 % des suffrages des 20 734 votants). Mennucci se situe à 4 212 (20,65 %). Et la

ministre Marie-Arlette Carlotti, 220 voix derrière lui (19,52 %) est éliminée. Ce qui risque de fragiliser à terme

sa position au gouvernement. Dès 23 heures, elle a appelé à voter Mennucci au second tour.

Eugène Caselli se classe pour sa part quatrième avec 3 380 voix (16,57 %) alors que le président de la communauté urbaine avait de nombreux atouts en entrant en campagne. Il fallait supporter le poids du bilan

de Marseille Provence métropole sur les questions de propreté, mais la collectivité lui offrait des moyens de

gagner en visibilité, il avait le soutien d'une partie du monde économique, d'une partie des écologistes,

d'une partie du MoDem... Une mauvaise campagne, datée et fébrile, ont eu raison de cela. Il arrive

cependant devant Christophe Masse (2 915 voix et 14,29 % des suffrages) et Henri Jibrayel (756 voix,

3,71 %). Ce dernier, comme Carlotti, a appelé très vite à voter Mennucci.

Le scrutin a rencontré une assez forte mobilisation, déjouant des pronostics très pessimistes. Plus de

20 000 personnes y ont donc participé, plus si loin du premier tour de la primaire présidentielle (27 000).

La commission nationale d'organisation doit être soulagée. Elle craignait de cumuler à Marseille la

désaffection ambiante et les particularismes locaux, affaires, divisions, mise sous tutelle, etc.

L'autre terreur de la commission d'organisation et de la haute autorité chargée de contrôlée était un

dérapage sérieux dimanche, entre candidats ou dans les bureaux de vote. Et de fait, l'ambiance a souvent

été très tendue. Un élu socialiste chargé de superviser la bonne tenue des primaires soupirait dans

l'après-midi : «Il ne reste plus à prier pour que l’écart entre le deuxième et le troisième soit très élevé.

Sinon, nous n’avons pas fini de recompter et d’enregistrer les recours.»

L'essentiel des tensions se sont concentrées dans le 15e arrondissement (une partie des quartiers Nord).

Des erreurs sur une liste d’émargement (la plupart des dates de naissance étaient fausses) ont imposé la

fermeture d'un bureau pendant plusieurs heures, et le report d'une heure de la fermeture du scrutin pour

l'ensemble de la ville. Quelques dizaines de personnes étaient reparties sans avoir voté, il a fallu faire

venir de nouvelles listes, sans erreur, mais tout le monde n'est pas revenu voter. Pas de quoi cependant

remettre en cause les écarts sur l'ensemble de la ville.

«Oui, il y a du covoiturage»

Dans les quartiers nord, la foule était au rendez-vous dès 9 heures du matin, grâce notamment à quelques

minibus de location (on en a compté au moins cinq) qui faisaient la navette entre les bureaux et certaines

cités avoisinantes, afin de conduire l’électeur au vote. Cela a scandalisé les représentants de Marie-Arlette

Carlotti, tandis que Samia Ghali, sénatrice et maire de secteur, défend la pratique : «On n’a mis qu’un site

de vote pour tout le XVe arrondissement, où il y a 100 000 électeurs et pas de transports en commun le

dimanche. Oui, il y a du covoiturage et je l’assume. Les autres candidats n’ont qu’à s’organiser pour faire

pareil». Dans la journée, la haute-autorité indiquait qu'il n'y a là rien d'illégal au regard du code électoral.

A l’entrée des bureaux dans les quartiers Nord, quelques tensions. Le député Henri Jibrayel accuse des

proches de Samia Ghali de «faire de la propagande», d'attendre l’électeur pour le guider. Il essaie

d'ailleurs de faire «dégager» deux femmes d'une cour d’école du XVIe, demande au représentant de

la Haute autorité de les faire sortir, il refuse : tant qu'elles ne sont pas dans le bureau, elles peuvent faire

ce qu'elles veulent. Le ton monte, elles ne se laissent pas faire, résistent à quelques intimidations, crient. «Tenez-vous devant la presse», grince Jibrayel.

Démission et président volant

Les organisateurs ont tenté de se protéger un peu des mœurs marseillaises en choisissant des président

s de bureaux de votes venus d'ailleurs. Un premier adjoint de Valence, un député de Montpellier, des

premiers fédéraux du Gard, du Bas-Rhin… Inconvénient : ils ne sont pas habitués au climat local et se

laissent parfois impressionner lorsque le ton monte. Ainsi la présidente du bureau 49 (celui où les dates

de naissance étaient fausses) laisse tomber assez vite. Elle n’en peut plus d’entendre tout le monde hurler

autour d’elle. Elle démissionne, il faut faire venir en urgence un «président volant».

Co-responsable de la tutelle nationale mise en place par la direction du PS dans les Bouches-du-Rhône,

Alain Fontanel, secrétaire national en charge des fédérations, minimise alors les «problèmes mineurs de

logistique» en défendant l’organisation de sa primaire. Bien conscient que si des candidats sont éliminés

de peu, il la dénigreront et en contesteront peut-être même le résultat.

Chez Marie-Arlette Carlotti, on semblait assez pessimiste dès le matin. Venue faire un tour dans le XVe,

la ministre se disait «dégoûtée» du ballet des minibus. Ses proches dénonçaient, quasiment depuis

l’ouverture des bureaux, le déroulement de ce scrutin dont ils ne voulaient pas entendre parler au départ,

craignant triche et fortes mobilisations dans les quartiers où le clientélisme fonctionne.

Ils avaient raison sur ce point, mais savait aussi qu'il manquait des forces militantes pour mobiliser du

côté de leur candidate. Que celle-ci, en refusant de quitter le gouvernement pour venir faire campagne,

a pris un sacré risque. Le clan Carlotti a espéré jusqu'au bout le limiter en parvenant à convaincre

Eugène Caselli et Henri Jibrayel de renoncer, pour lui permettre d'assurer le second tour. Ils ont

tous les deux refusé, ne croyant pas au scénario final.

"Je veux, disait dimanche soir Patrick Mennucci au sujet de la ministre, saluer une femme politique

qui n'a pas mis cinq minutes à décider et annoncer qu'elle appelait à voter pour moi. (...) Elle ne fait

pas beaucoup moins de voix que moi, elle pourrait être à ma place. Je suis maire de secteur, pas elle,

c'est aussi ce qui a fait la différence. (...) C'est un soutien puissant. C'est ensemble que nous

tournerons la page du système en place pour offrir un autre destin à Marseille."

Puis parlant de son adversaire de deuxième tour, le député ajoutait : "Nous avons démarré la

politique ensemble. Aujourd'hui nous allons devoir nous affronter mais je lui dit à elle aussi

bonne chance". Ceci dit, les sept jours qui arrive promettent d'être beaucoup moins cordiaux.

Olivier BERTRAND Correspondant à Marseille