• Guillaume Canet, l'intranquille

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    Guillaume Canet, l'intranquille

    Un César ("Ne le dis à -personne") et 5,2 millions d'entrées plus tard ("Les Petits Mouchoirs"), Guillaume Canet n'a pas changé. Il est et restera un homme inquiet, qui continue sans relâche à se mettre en danger. Comme pour mieux tester son infaillibilité ? Par Béline Dolat
     

    DANS LE LUXE OUATÉ d'un palace parisien, Guillaume Canet reçoit la presse. A l'américaine. Combien d'interviews en une journée ? Cinq ? Dix ? Demain il sera de retour en Espagne, sur le tournage de Jappeloup, une grosse production de Christian Duguay sur le monde équestre. Un modus operandi conforme à la notoriété et à l'emploi du temps du personnage, mais pas à ce qu'il est. Aminci par des semaines d'exercice physique (pour les besoins du film, il monte à cheval 6 à 7 heures par jour), le regard cerné, l'acteur-réalisateur n'a pas exactement le profil d'un "entertainer" rodé aux tournées promotionnelles. Econome, il répond précisément aux questions et fait l'impasse sur les divertissantes anecdotes de tournage.

    Pour ce garçon paradoxalement timide, l'exercice n'est pas aisé. Il cultive à l'égard de la presse une certaine méfiance. D'abord parce que telle est sa nature, il demande à voir avant d'accorder sa confiance. Peut-être aussi parce que la critique l'a parfois chahuté. Contrairement aux apparences, la vie n'a pas été une douce et constante ascension vers le succès pour Guillaume Canet, 39 ans, qui a pris quelques mauvais coups avant d'en arriver là : il sera en février prochain président de l'Académie des Césars, cette même assemblée qui, l'an passé, a boudé ses Petits Mouchoirs.

    L'histoire commence lorsqu'il a 18 ans. Il est membre de l'équipe de France junior de sauts d'obstacles et une mauvaise chute met fin à ses rêves de compétition interna-tionale. Puis le cours Florent, les castings... deux ou trois rôles significatifs font décoller sa carrière. A la fin des années 1990, il tourne dans La Plage de Danny Boyle, une expérience et un film calamiteux dont le seul bénéfice sera une amitié durable avec son partenaire, Leonardo Di-Caprio. En 2001, après l'échec retentissant de Vidocq, le téléphone cesse de sonner et l'acteur se morfond. Il écrit le scénario de ce qui sera son premier film en tant que réalisateur, Mon idole, une fable grinçante sur les dérives de la célébrité. A chaque coup dur, ce volontariste forcené répond par le travail, refusant de lire les critiques – "J'ai le droit de ne pas être maso" – dont certaines éreintent son jeu d'acteur ou ses choix de metteur en scène. Ce sourire charmeur à qui rien ne semble résister cache en réalité un homme inquiet, en recherche, que même le succès n'a pas apaisé.

    On l'a quitté réalisateur, auréolé des 5,2 millions d'entrées pour Les Petits Mouchoirs, film populaire et quasi autobiographique qui a conquis le public, un peu moins certains critiques. On le retrouve acteur chez Cédric Kahn (L'Ennui, Roberto Succo, Les Regrets) dans Une vie meilleure (sortie le 4 janvier), aux côtés de Leïla Bekhti et du jeune Slimane Khettabi. Un film social, politique même. L'histoire d'un homme qui, par amour et pour changer de vie, s'engage dans un projet de restaurant trop lourd, se perd dans la spirale du surendettement avant de s'inventer un nouvel idéal.

    Un rôle difficile d'homme en lutte, qui lui a valu le prix d'interprétation au dernier Festival du film de Rome. Avec Une vie meilleure, Guillaume Canet s'affranchit de son image de célébrité et fait passer le message : il est avant tout un artiste, qui ne veut pas manquer son rendez-vous avec le cinéma. "Depuis longtemps, j'avais envie d'un rôle comme celui-là. Or je n'avais pas cette crédibilité en tant qu'acteur. Aucun metteur en scène ne m'envisageait pour ce type de personnage. Sans doute à cause de cette image un peu lisse de séducteur que j'ai pu renvoyer à une certaine époque", analyse-t-il. Sans doute aussi parce que, depuis le succès de Ne le dis à personne, celui des Petits Mouchoirs, son union avec Marion Cotillard – star internationale et "égérie" de Dior –, sa présence dans le classement annuel des artistes français les mieux payés, il n'apparaissait pas spontanément comme le candidat idéal pour un film d'auteur traitant, entre autres, de la précarité...

    <figure> Leïla Bekhti et Guillaume Canet dans "Une vie meilleure", sur les écrans le 4 janvier. </figure>

    POURTANT, DANS LE RÔLE DE YANN, ce jeune homme ambitieux et en colère qui cumule les prêts revolving dans l'espoir de s'extraire de sa modeste condition, il est d'une grande justesse : "Guillaume a rarement atteint une telle vérité", constate Alain Attal, fidèle parmi les fidèles, producteur de ses trois longs-métrages, à ses côtés depuis presque vingt ans. J'ai été très surpris par l'intensité de son jeu, par le don de soi. En un regard, il réussit à faire passer beaucoup de sentiments, en assumant une certaine profondeur. Et ça, c'est nouveau." Le réalisateur Cédric Kahn confirme : "J'ai senti qu'il était à la recherche d'autre chose, qu'il s'agissait d'une vraie envie et pas d'un discours d'acteur. Guillaume est quelqu'un qui peut être lumineux, son visage d'enfant et son image de type à qui tout réussi me plaisaient. Dans ce rôle, un acteur plus réaliste aurait été moins intéressant. Dès la première scène, il se fait oublier, on croit à son personnage de précaire. C'est là la marque des très bons comédiens."

    Canet forme avec Slimane Khettabi un duo poignant. Enfant imprévisible choisi par Kahn pour son authenticité, le jeune Slimane n'a pas épargné son partenaire : "Le tournage a été compliqué. Il ne connaissait jamais son texte. Tout en respectant le scénario et les dialogues, je devais l'amener à lui faire dire ce que l'on attendait de lui. Il m'a rendu chèvre, mais j'ai vécu avec Slimane de grands moments d'acteur. Lorsqu'il était disposé à jouer, nous avions de vrais échanges", se souvient-il.

    SI LES "PETITS MOUCHOIRS", et son histoire de trentenaires égocentriques qui vont droit dans le mur, n'est sans doute pas, comme on serait tenté de le croire, le film de la maturité pour Guillaume Canet, juste une étape, une remise à niveau avant l'âge adulte, Une vie meilleure pourrait bien l'être. Entre les deux, la perte d'un ami et la naissance de son premier enfant. Mais aussi le succès, avec ce que cela comporte de joie et de violence : "Evidemment, je n'ai rien contre la célébrité. Ma popularité me permet de monter des projets et de choisir les gens avec qui je travaille. Mais lorsque, dans la rue, on m'arrête pour me demander des nouvelles de mon fils, j'ai du mal."

    Des paramètres essentiels qui ont sans doute contribué à cette mue intime dont le film de Cédric Kahn se fait l'écho : "Au début de l'histoire, lorsqu'on lui confie Slimane, cet enfant qui n'est pas le sien, il est au même niveau que lui. Il a mentalement 9 ans et demi. Mais progressivement, on le voit devenir adulte et père." Chez Canet, comme chez beaucoup d'autres acteurs-réalisateurs, une expérience en nourrit une autre. Et celle des Petits Mouchoirs qui a, de son propre aveu, valeur de bilan, lui a sans doute permis d'accéder au palier supé-rieur en tant que comédien.

    Tour à tour devant et derrière la caméra, c'est dans cette configuration qu'il trouve désormais son équilibre. Et lorsqu'on lui suggère qu'un jour, peut-être, il sera tenté de se consacrer uniquement à la réalisation, sa réponse est catégorique : "Même si mettre en scène me permet de m'exprimer pleinement, jamais je ne pourrais être qu'auteur. Le besoin de jouer est viscéral chez moi, j'aime la sensation physique du jeu. Pour Jappeloup, j'ai dû me remettre au cheval et c'est un immense bonheur. Non, je ne pourrais pas me passer d'être acteur."

    <figure> Le jeune Slimane Khettabi, choisi par Cédric Kahn pour son authenticité, est le partenaire de Guillaume Canet dans "Une vie meilleure". </figure>

    "D'un côté, le fils spirituel de Pialat, de l'autre, la belle gueule du cinéma populaire, réunis pour réussir ce film. Je trouve très beau que Cédric Kahn et Guillaume Canet passent ce cap ensemble. C'est ça, le nouveau cinéma français", s'enthousiasme Thierry Frémaux, directeur de l'Institut Louis Lumière de Lyon et délégué général du Festival de Cannes. Un cinéma français qui, après une année fastueuse, se porte plutôt bien : le succès des Petits Mouchoirs fin 2010, le prix d'interprétation de Jean Dujardin à Cannes pour The Artist de Michel Hazanavicius – depuis nominé six fois aux Golden Globes à Los Angeles –, le prix de la mise en scène pour Polisse de Maïwenn, et enfin le triomphe d'Intouchables d'Eric Nakache et Olivier Tole-dano, avec Omar Sy et François Cluzet.

    Cluzet... que Guillaume Canet a remis en selle dans Ne le dis à personne et qui, avec Jean Dujardin et Gilles Lellouche – qui jouent tous deux dans Les Petits Mouchoirs –, fait partie de sa famille élective, sa "bande". Des fous du 7e art, qui gravitent autour des Productions du Trésor – dirigées par Alain Attal – et trustent les écrans depuis plusieurs années. Des artistes dont la plupart sont à peine quadra, davantage issus du cours Florent que de la Fémis ou du Conservatoire, qui r-evendiquent un cinéma populaire, intelligent mais pas cinéphile – " On se moque d'avoir vu tout Truffaut, Godard ou Hitchcock ", confirme le producteur –, et qui portent sur le monde un regard générationnel et apolitique. "Je ne me positionne pas en tant que militant. Faire du cinéma, c'est parler de la vie, des sentiments, témoigner de ce qui se passe dans notre société", assure Guillaume Canet.

    Une bande d'amis, à laquelle s'ajoutent Marion Cotillard, Matthieu Chedid, Philippe Lefèbvre, coscénariste de ses deux premiers films, et quelques autres, que l'acteur-réalisateur aime retrouver sur les plateaux. "C'est plus agréable de travailler avec les gens que l'on aime, non ?" Sur leur succès à tous, son analyse est simple : "Si nous en sommes là aujourd'hui, ce n'est pas un hasard. Les choses appartiennent à ceux qui les font. Il faut y aller et on y va !" "Cette nouvelle génération, ce sont les enfants d'Audiard, commente Thierry Frémaux. Il y a dans leur cinéma, populaire et commercial, un grand potentiel. Des gens comme Serge Hazanavicius, Xavier Giannoli, Nakache et Toledano ou encore Maïwenn sont en train d'inventer autre chose, l'après-Nouvelle Vague, et Guillaume Canet est au coeur de ce mouvement."

    Pas cinéphile, mais sous influence. Comme beaucoup d'artistes de sa génération, Canet a une prédilection pour le cinéma américain en général et pour les films indépendants des années 1970 en particulier. Ceux de Sam Peckinpah, dont on retrouve l'esthétique dans certaines scènes de Ne le dis à personne, des premiers Scorsese (Mean Street, Taxi Driver), de Husbands de Cassavetes mais aussi des films de Jerry Schatzberg, réalisateur culte de Portrait d'une enfant déchue et de L'Epouvantail : "J'ai eu la chance de travailler sous sa direction dans The Day the Ponies Come Back, à New York. Jerry est un peu mon père spirituel, nous nous parlons très souvent et il a tourné dans Ne le dis à personne et Les Petits Mouchoirs. Mais à chaque fois, pour des raisons de scénario, je l'ai coupé au montage", confie-t-il. D'aucuns appellent cela "tuer le père"...

    C'EST SANS DOUTE POUR ASSOUVIR CE FANTASME D'AMÉRIQUE – pas n'importe lequel, il a refusé de travailler sur commande pour de grands studios – que Guillaume Canet s'attelle aujourd'hui à son nouveau projet : le remake aux Etats-Unis des Liens du sang de Jacques Maillot, dans lequel il jouait aux côtés de François Cluzet. Un scénario coécrit avec James Gray, auteur phare du cinéma indépendant américain actuel, et une production européenne, orchestrée par Alain Attal, avec dans les rôles principaux Marion Cotillard, Mark Wahlberg et Zoe Saldana.

    "Aux Etats-Unis, on repart de zéro ou presque. Là-bas, ils savent à peine où est la France !" ironise Alain Attal. "Les acteurs ont donné leur accord de principe, j'espère maintenant que l'on va pouvoir monter le film comme on le souhaite, avec des fonds européens et le contrôle total. Le final cut", s'inquiète Guillaume Canet. Il aurait sans doute été plus simple de rester en France, et de cueillir les fruits du succès des Petits Mouchoirs. Mais Guillaume Canet ne cherche ni la facilité ni l'apaisement. Il cultive au contraire cette intranquillité qui le maintient en éveil. Il lui reste tant à faire, à conquérir... "C'est un garçon très intelligent, honnête avec les autres autant qu'avec lui-même. Il connaît son grade et sait à quel type d'excellence il peut prétendre, conclut Thierry Frémaux. Il est fait pour le cinéma."

    <figure> Guillaume Canet. </figure>

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