L’avocat iranien Mohammad Mosatafei, qui fut en 2006 le défenseur de Sakineh Mohammad Ashtiani, condamnée à mort par lapidation pour adultère, à Tabriz, a participé hier au Quai d’Orsay au lancement de la campagne mondiale pour l’abolition de la peine de mort. Sur le sort de Sakineh et le recours à la peine capitale en Iran, Mohamad Mosatafei, exilé en Norvège depuis deux ans, a répondu aux questions du "Nouvel Observateur".
Où en est l'affaire Sakineh ?
- Je ne suis plus son avocat, mais aux dernières nouvelles sa condamnation à la peine capitale a été "levée" et commuée en une peine de 10 ans de prison. Elle en a désormais purgé 5. Le tribunal peut maintenant décider de la dispenser du reste de sa peine et de la libérer ou d’envisager un statut de liberté conditionnelle. Ce qui est, dans son cas, très important, c’est qu’une nouvelle loi, adoptée par le gouvernement et confirmée par le Conseil des gardiens de la Constitution, a décidé d’abolir la peine de lapidation. Elle n’est plus appliquée, sauf si le Guide suprême décide, dans certains cas spéciaux de revenir à la Charia et de la prononcer.
La Charia n’est plus la source unique du droit pénal iranien ?
- C’est une des sources principales. Ce qui change dans le cas de l’adultère, c’est que la peine de lapidation qui était prévue par le Code pénal ne l’est plus depuis l’entrée en vigueur de cette nouvelle loi. Il est laissé à la discrétion du Guide de décider si elle doit être appliquée ou non. Jusque là, le juge était contraint d’y recourir, puisque la peine figurait dans le Code. Aujourd’hui, le juge peut décider de ne pas prononcer cette peine. Mais le choix final, je le répète, revient au Guide. S’il le veut il peut, invoquant la Charia, décider de faire appliquer la lapidation. C’est lui qui fait le choix définitif de la peine. Il peut aussi décider de faire appliquer la peine de mort par un autre moyen que la lapidation. En ordonnant par exemple la pendaison, qui est le procédé d’exécution généralement appliqué en Iran.
La plupart des exécutions ont lieu en secret
Cette réforme de la loi est-elle liée à l’affaire Sakineh ?
- L’affaire Sakineh a sans doute influencé cette réforme, mais à mon avis elle a surtout été adoptée en raison du retentissement international de l’affaire, des démarches de certains gouvernements – français, brésilien par exemple - et de l’écho donné à cette affaire par les médias internationaux.
Combien d’Iraniens ont été exécutés cette année ?
- Il est très difficile de le savoir. Face aux pressions internationales en faveur de l’abolition de la peine capitale, Téhéran a décidé de ne pas publier de statistiques des exécutions. La plupart ont donc lieu en secret, clandestinement. Ce que l’on sait c’est que la peine de mort peut-être prononcée pour un grand nombre de délits ou de crimes. Si elle n’est plus appliquée désormais aux mineurs de moins de 18 ans, elle punit en revanche de façon beaucoup plus fréquente les crimes contre la sécurité nationale ou la possession de drogue, pour ceux qui détiennent plus de 30 grammes de haschich.
Dans les six dernières années il y a eu 27.000 condamnations à la peine capitale pour possession ou trafic de drogue. Les statistiques du service de police luttant contre le trafic des stupéfiants indiquent qu’au cours des six dernières années il y a eu 320 000 arrestations liées au trafic des stupéfiants. La police affirme avoir démantelé 2300 gangs de trafiquants de drogue, ce qui, compte tenu des dispositions de la loi devrait déboucher sur un minimum de 4.500 condamnations à mort.
Quel est le sort des 320.000 personnes arrêtées ?
- Nous savons que ces gens sont en prison. Mais nous ne savons pas ce qu’ils sont devenus. Ni combien d’entre eux ont été exécutés. Il est très fréquent que la presse ne soit pas admise aux audiences des tribunaux et que les avocats n’aient pas accès aux dossiers de leurs clients. Lorsque le condamné est exécuté, la famille en est informée, invitée à venir récupérer le corps, mais il n’y a pas de publication de la nouvelle.
Il faut dire que pour le trafic des stupéfiants, la procédure est très spéciale. Les affaires de trafic de drogue sont confiées à des commissions d’instruction spéciales et sont jugées par un tribunal spécial : le tribunal de la révolution. Dans ces affaires l’avocat ne peut intervenir au cours de l’instruction. Il n’intervient qu’à l’audience. Et comme il n’a pas pu prendre connaissance du dossier et rencontrer son client, il lui est pratiquement impossible de le défendre. J’ajoute que le condamné, dans ces affaires, n’est pas autorisé à faire appel du jugement.
Lorsque la peine est prononcée, elle est définitive et il revient au procureur de la République islamique de décider de la date de l’exécution. Je connais bien cette procédure car j’ai eu beaucoup de dossiers de trafiquants.
Organiser une manifestation peut conduire à la pendaison
Vous avez dit que l’un des crimes passibles de la peine de mort en Iran était l’atteinte à la sécurité de l’Etat. Où commence, en Iran l’atteinte à la sécurité de l’Etat ?
- Jusqu’à cet été, les délits ou crimes d’atteinte à la sécurité nationale étaient passibles de cinq ans d’emprisonnement. Depuis l’adoption de la nouvelle loi, il y a deux mois, par le Conseil des Gardiens de la constitution, la peine capitale peut être prononcée pour ce délit ou ce crime. C’est, une fois encore, à la discrétion du juge. Mais ce qui est stipulé dans la loi, c’est que tout entreprise étendue contre la sureté de l’Etat est passible de la peine de mort. Une manifestation publique contre le régime peut par exemple être désormais punie de la peine de mort. On peut dire que dès qu’il s’agit d’un mouvement organisé – même s’il n’est pas armé – ses participants s’exposent à la peine capitale alors qu’avant la nouvelle loi, il fallait une action armée pour risquer la peine de mort.
La nouvelle loi réprime également de façon brutale l’usage subversif – aux yeux du pouvoir – d’internet. Si un individu utilise le réseau internet pour informer, rassembler, convoquer des gens à une manifestation, la loi peut considérer cela comme une atteinte à la sécurité de l’Etat et condamner à mort l’internaute. Ce qui est très alarmant pour nous ce n’est pas seulement que la peine de mort existe en Iran pour ce type de délit, c’est que ces dossiers soient confiés à des tribunaux spéciaux et qu’ils soient examinés par des juges qui ne sont pas impartiaux puisqu’ils dépendent directement de la plus haute autorité.
L’un des problèmes auxquels nous sommes confrontés est celui de la nature exacte des délits. Pour qu’une loi soit applicable il faut que le délit qu’elle réprime soit clairement défini et circoncis et que la sanction soit tout aussi clairement précisée. Or, là encore, en Iran, nous sommes confrontés à une imprécision totale qui laisse toute latitude à l’interprétation du tribunal et la discrétion du juge : la nature du délit et le degré de la sanction. J’ajoute que pour aggraver tout cela, les sanctions sont généralement prononcées en fonction de la situation politique et du climat qui règne dans le pays.
Ce qu’il faut comprendre c’est que les dirigeants de la république islamique utilisent la peine capitale non, comme une forme de punition ou de dissuasion du crime, comme c’est le cas dans d’autres pays, mais comme un outil pour se maintenir au pouvoir.
Existe-t-il en Iran un mouvement en faveur de l’abolition de la peine de mort ?
- Non. Peut-être, il y a trois ou quatre ans, aurions-nous pu créer un groupe de travail sur ce thème et y réfléchir. Mais cela n’a pas eu lieu. Il faut admettre que c’est très difficile, car le fait que l’homicide soit puni de la peine capitale est une sorte de ligne rouge politique en Iran, puisque c’est prévu par la Charia. En dehors des efforts individuels et sporadiques de quelques avocats qui s’efforcent de sauver la vie de leurs clients, il n’existe aucune opposition organisée à la peine de mort. Pendant cinq ans je me suis efforcé de combattre l’application de la peine de mort aux mineurs de moins de 18 ans. J’ai accepté de défendre gratuitement 40 jeunes accusés le plus souvent de meurtre. J’ai eu plusieurs succès dans ces dossiers.
J’ai utilisé une méthode qui consistait à ne pas attaquer de front la peine de mort et à ne pas travailler sur le crime, mais sur la personnalité de l’accusé et sur le contexte social, économique, psychologique, familial dans lequel cet individu avait été amené à commettre un meurtre. Je me suis aussi efforcé de sensibiliser les députés et les médias. Cette campagne a fait tache d’huile. Elle a même débouché sur l’abolition de la peine de mort pour les mineurs de moins de 18 ans, y compris pour le trafic de drogue. Le problème en Iran c’est que la question de la légitimité ou de l’utilité de la peine de mort n’a jamais été discutée par des criminologues, des psychologues ou des juristes, mais uniquement par des religieux. Ce sont toujours eux qui sur ce point comme sur d’autres discutent, interprètent et décident.