• L?attentat d?Ankara jette une ombre sur les prochaines législatives en Turquie

    L’attentat d’Ankara jette une ombre

    sur les prochaines législatives en Turquie

    Le Monde.fr | <time datetime="2015-10-10T14:16:17+02:00" itemprop="datePublished">10.10.2015 à 14h16</time> • Mis à jour le <time datetime="2015-10-11T17:42:44+02:00" itemprop="dateModified">11.10.2015 à 17h42</time> | Par

    Plusieurs syndicats de gauche – KESK (fonction publique), DISK (Confédération des syndicats révolutionnaires de Turquie) –, ainsi que l’association des médecins (TTB) et le Parti de la démocratie des peuples (HDP, gauche, pro kurde) avaient appelé à manifester, samedi 10 octobre, contre la reprise des hostilités entre les forces turques et les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) au sud-est du pays. Quelques minutes avant le départ du cortège, deux bombes ont explosé à 50 mètres d’écart sur le lieu où les militants du HDP étaient rassemblés, faisant au moins 95 morts et 246 blessés. La Turquie a décrété trois jours de deuil national après ces attaques meurtrières.

    Lire aussi : L’attentat d’Ankara commis très probablement par deux kamikazes

    <figure class="illustration_haut " style="width: 534px"> Les corps des victimes de l'attentat d'Ankara ont été recouverts de drapeaux aux couleurs du HDP. </figure>

    Il est encore trop tôt pour savoir s’il s’agit de l’action d’un kamikaze ou d’une bombe placée dans le cortège, mais les billes d’acier retrouvées sur le théâtre du crime attestent de l’intention de faire un maximum de victimes. Cet attentat ressemble en tout cas trait pour trait à celui qui s’était produit à Diyarbakir le 5 juin, au beau milieu d’un rassemblement du HDP, deux jours avant la tenue des élections législatives. Deux bombes avaient explosé coup sur coup, l’une à proximité d’un transformateur électrique, l’autre dans une poubelle, faisant quatre morts et 400 blessés.

    Deux jours plus tard, le 7 juin, le HDP remportait 13 % des voix aux législatives, faisant perdre au Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) du président, Recep Tayyip Erdogan, la mainmise qu’il exerçait depuis 2002 sur le pays. Meurtri par ce revers, M. Erdogan a convoqué de nouvelles élections, prévues pour le 1er novembre, après l’échec de son premier ministre, Ahmet Davutoglu, à former un gouvernement de coalition.

    Une période de turbulences sans précédent

    L’AKP compte sur ce nouveau scrutin pour récupérer sa majorité parlementaire, mais les principaux instituts de sondages disent qu’il n’en sera rien. Les islamo-conservateurs sont crédités de 38 à 40 % des voix (contre 41 % le 7 juin). Sa stratégie pré-électorale consiste à évincer à tout prix le HDP, accusé de collusion avec les « terroristes du PKK », et à gagner les faveurs de l’électorat ultra-nationaliste.

    Le HDP, ses militants, ses journalistes sont dans l’œil du cyclone. Chaque jour, ses responsables sont interpellés, ses bureaux sont attaqués. Le chef du parti, Selahattin Demirtas, qualifié de « terroriste » par le chef de l’Etat, ne fait plus aucune apparition sur les grandes chaînes publiques, hormis celles de l’opposition, qui viennent d’être contraintes à la fermeture sans aucune raison.

    <figure class="illustration_haut " style="width: 534px"> Le président Erdogan lors d'un rassemblement "anti-terroriste" à Istanbul, le 20 septembre. </figure>

    Il y a deux jours, Garo Palayan, député du HDP, avait exprimé ses craintes de voir les élections législatives du 1er novembre annulées. Cette éventualité est devenue plus tangible depuis le double attentat d’Ankara.

    La Turquie est entrée dans une période de turbulences comparable à celles qui prévalaient jadis à la veille des coups d’Etat militaires (1960, 1971, 1980). La presse pro-gouvernementale, la seule autorisée à parler, n’a pas hésité à donner une interprétation fallacieuse des attentats de samedi matin à Ankara.

    « Tirer profit des morts »

    Le quotidien Sabah écrivait ainsi en une de son site quelques heures après la double explosion : « Comme à Diyarbakir, Demirtas est entrain de tirer profit des morts ». « L’attentat de Diyarbakir avait donné deux points de plus au HDP », dit le sous-titre. Les sites des quotidiens de la même veine, Yeni Safak et Yeni Akit, ne disent pas autre chose.

    <figure class="illustration_haut " style="width: 534px"> Selahattin Demirtas (au centre), le leader du parti pro-kurde HDP, le 9 octobre, à Istanbul </figure>

    Yeni Akit a reproduit le logo du parti HDP, soit un olivier avec ses feuilles dont le tronc est représenté par deux mains jointes, mais des grenades ont été dessinées à la place des feuilles, pour mieux convaincre ses lecteurs que les militants pro-kurdes sont les instigateurs de l’attentat qui les a directement visés.

    « Cet attentat nous fait très mal. Notre population paie le prix fort. Nous assistons au même scénario que ce qui s’est passé à Diyarbakir à la veille des élections du 7 juin. Nous avons vu à qui cela avait profité. La nation ne doit pas se laisser aller à un tel scénario » , a déclaré Bülent Turan, député AKP de Canakkale au journal Yeni Akit.

    Le lynchage a refait son apparition

    De leur côté, les médias d’opposition sont condamnés au silence. Sept chaînes de télévision connues pour leurs critiques envers le gouvernement ont brusquement été interdites d’émettre vendredi 9 octobre. Le lynchage a refait son apparition. Ahmet Hakan, éditorialiste au quotidien Hürriyet et présentateur sur la chaîne CNN-Türk, a ainsi été passé à tabac devant chez lui le 1er octobre au soir par quatre nervis dont trois étaient des militants de l’AKP. Peu de temps auparavant, la rédaction de Hürriyet avait été attaquée à coups de pierres par une foule en colère emmenée par un député de l’AKP, Abdulrahim Boynukalin, qui avait alors appelé ses fans à agresser physiquement le journalistes Ahmet Hakan.

    Vendredi 9 octobre, le rédacteur en chef du quotidien Zaman, Bülent Kenes, a été arrêté. Il est accusé d’« insulte au président ». Près de 300 journalistes et blogueurs ont été soumis à ce chef d’accusation depuis 2014. L’article 299 du code pénal (insulte au président), qui a eut tôt fait de remplacer le 301 (insulte à la nation turque), supprimé en 2008 pour se conformer aux critères européens, est utilisé quotidiennement contre les journalistes et les blogueurs.


    Tags Tags :
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :