• L'égyptologue Christiane Desroches Noblecourt et RAMSES II

    Madame la Pharaonne

    Par L'Express, publié le 18/07/1996

     

     Fidèle adoratrice de Ramsès II, l'égyptologue Christiane Desroches Noblecourt nous en raconte La Véritable Histoire. Portrait de l'auteur.

    Du sommet de son immeuble parisien, celle qu'on a surnommée "la Pharaonne" attend des nouvelles de Ramsès II. Christiane Desroches Noblecourt, l'égyptologue qui a sauvé les temples de Nubie, gratté le sable dans la Vallée des Reines et fait découvrir Toutankhamon et ses trésors à une foule accourue de toute l'Europe, continue d'exprimer sa passion pour ce Ramsès qui fut le plus illustre pharaon de l'Histoire. Qui croirait que cette petite dame pétillante a commencé sa carrière avant la guerre, elle qui s'enflamme toujours pour ce souverain fabuleux qui fit trembler les monarques de son temps?

    La plus célèbre des égyptologues françaises - moins par ses découvertes que par ses intuitions fulgurantes et son génie de l'action - a quelques raisons de s'impatienter. Ramsès devrait bientôt donner de ses nouvelles. De l'autre côté de la Méditerranée, dans la Vallée des Rois, l'Américain Kent Weeks vient de reprendre ses pelles et ses pioches. Il cherche un passage secret entre la tombe du grand roi et le mausolée de ses héritiers. Et un dernier message de celui qui régna pendant soixante-huit ans sur un empire qui s'étendait des confins du Soudan aux sources du Nil, des sables d'Arabie au désert libyen. Weeks aura beau trouver des momies, des papyrus, des statues ou des amulettes, personne ne saura faire rêver les foules comme Mme Desroches depuis soixante ans.

    Ramsès doit bien un signe de connivence à sa plus fidèle adoratrice. Elle prétend que sa passion égyptienne est née à Paris, devant l'obélisque de la Concorde. Gravés dans le granit, des corps gracieux, des oiseaux enchanteurs et des graphies énigmatiques évoquent une culture méconnue, à découvrir. Il n'en fallait pas plus pour que la gamine décide d'aller voir sur place l'origine des hiéroglyphes. A l'époque où les jeunes filles de bonne famille se contentaient de vagues humanités, elle se plonge dans l'histoire des dynasties de l'Ancien et du Nouvel Empire. Très vite, elle part sur le terrain, en jodhpurs et casque colonial. Résolue à rivaliser avec Carter, le découvreur de Toutankhamon.

    A l'en croire, elle comprend sans tarder que le temps des colonies est terminé. L'égyptologie doit se faire en accord avec les chercheurs locaux. Elle se targue aussi d'avoir été féministe avant l'heure. Ça jasait dans les clubs britanniques du Caire, où l'on écoutait plus du fox-trot que le Coran: une femme sous la tente, dans le désert, donnant des ordres aux fellahs et rendant des comptes à un vieux chanoine - Etienne Drioton, directeur en tarbouch du service des Antiquités de l'Egypte - qui travaillait "comme un bagnard". Scorpions, cobras: rien ne l'effraie. L'audacieuse montre déjà ses qualités - une détermination inébranlable, une santé à toute épreuve et l'art de se concilier les puissants. "Il faut toujours les mettre de son côté." Il y aura donc deux Christiane: l'une officielle, conférencière de talent, vedette de dîners diplomatiques; l'autre officieuse, affairée dans les ruines, au Caire, au Louvre et dans les antichambres ministérielles.

    La médaille de la Résistance:


    Un art difficile, qui n'empêche pas le refus des compromissions
    . Aujourd'hui encore, la voici qui pique des colères et vous lance des "Nom d'un chien!" vindicatifs. Pendant la guerre, alors que nombre de conservateurs font des courbettes devant l'occupant, elle fait partie d'un réseau. Sa médaille de la Résistance, c'est le général de Gaulle qui l'épinglera. C'est elle qui le guidera, en 1967, dans l'exposition Toutankhamon, au Petit Palais, où vont défiler plus de 1 million de personnes. Mais surtout qui persuadera René Maheu, à l'Unesco, et André Malraux de prendre la tête de la croisade pour le sauvetage de la Nubie.
    Quand on visite aujourd'hui l'immense temple d'Abou-Simbel, reconstitué, pierre par pierre, sur un îlot au bord du lac Nasser, on a du mal à imaginer l'énergie qu'il a fallu pour convaincre les Nations unies, les Egyptiens, une poignée de pays riches et quelques rares mécènes de sauver 24 temples qui allaient être noyés par les eaux d'un barrage - pharaonique - payé par les Soviétiques. La conservatrice doublée d'une militante attendra plus de vingt ans pour raconter cette épopée dans La Grande Nubiade. Parce qu'elle préfère agir plutôt qu'écrire.

    Comme elle les a houspillés tous, puissants et obscurs, pour faire recueillir sous un soleil de plomb fresques, colonnes et statues que personne n'allait voir! Et qui sont devenues, depuis, la meilleure affaire des tour-opérateurs.

    Il n'y aura plus jamais de chantier de cette envergure pour assouvir son ambition. La plus célèbre Française du Caire fera cependant venir la momie de Ramsès II à Paris pour la guérir des champignons qui la défigurent et fouillera la Vallée des Reines pour connaître la dernière demeure de la reine Touy.

    En réalité, la dame du Nil aurait aimé être le vizir de Ramsès - influencer sa politique, participer aux rituels du pouvoir. Toute visite dans son appartement du XVIe arrondissement finit par ressembler à une séance de diwan chez un satrape. Dans un décor d'intellectuels raffinés, elle vous annonce que Ramsès était un rouquin. "Un signe maléfique, dans l'ancienne Egypte. Surdoué comme il l'était, il a fait croire que c'était un signe du ciel." Evidemment, elle n'est pas dupe. Pour avoir fréquenté tant de grands hommes, vivants et morts, elle sait ce qu'il faut d'intuition et de volonté pour créer une oeuvre.

    Ramsès II. La véritable histoire, par Christiane Desroches Noblecourt. Pygmalion/Gérard Watelet, 427 p., 139 F.

    * à lire également
    Une passion égyptienne, de Claudine Le Tourneur (Plon, 236 p., 120 F).
    Un complot sur le Nil, de Marie-Ange Faugérolas (Lattès, 354 p., 129 F).
    Le Secret du pharaon, de Violaine Vanoyeke (L'Archipel, 296 p., 120 F). La Fortune d'Alexandrie, de Gerald Messadié (Lattès, 428 p., 129 F).


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