• L'Essonne, le Far West des socialistes

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    L'Essonne, le Far West des socialistes

    M le magazine du Monde | <time datetime="2014-06-13T12:08:56+02:00" itemprop="datePublished">13.06.2014 à 12h08</time> |Par Matthieu Goar et Laurent Telo

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    Manuel Valls, Jean-Luc Mélenchon, Julien Dray ou le jeune loup Jérôme Guedj... Tous ces ténors de la gauche ont fait leurs armes dans le 91. Depuis sa création en 1964, ce département d'Ile-de-France s'est imposé comme un "centre de formation" du PS. Ici, loin de Solférino, on apprend le combat politique. Sans pitié et en accéléré. 

     

    <figure> Manuel Valls à Evry,  le 5 mai 2008. Il a été maire  de la ville de 2001 à 2012.</figure>

     

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    Il suffit de zapper sur une chaîne "tout info" à l'heure des polémiques. A flux quasi continu, l'homo politicus essonnien ferraille sur les plateaux. Derrière les micros, Jérôme Guedj, Carlos Da Silva, Malek Boutih ou Nicolas Dupont-Aignan. Au cœur des agoras médiatiques parisiennes, ces élus du 91 commentent le social-libéralisme de Manuel Valls, premier ministre, lui-même ancien maire d'Evry, capitale de l'Essonne, ou encore la nomination début juin au gouvernement de Thierry Mandon, député de la 9e circonscription.

    LE 91, UN ÉDEN POUR DE JEUNES AMBITIEUX

    Entité administrative mal connue de la majorité des Français, l'Essonne est le seul département français à avoir fourni deux candidats à l'élection présidentielle en 2012 : Jean-Luc Mélenchon, conseiller général, puis sénateur entre 1986 et 2010, et Nicolas Dupont-Aignan (président de Debout la République), député.

    La suite du casting essonnien ressemble à une montée des marches politique, tendance Jeunesses socialistes : Manuel Valls, Benoît Hamon - ministre de l'éducation, conseiller municipal de Brétigny-sur-Orge de 2001 à 2008 -, Julien Dray, ex-député, François Lamy, ex-ministre et député, Carlos Da Silva, porte-parole du PS, Malek Boutih et Thierry Mandon, députés et nouveau secrétaire d'Etat. Ajoutons à la liste le plus jeune des présidents de conseil général depuis 2011, Jérôme Guedj, 42 ans.

     

     

    <figure>Evry, capitale de l'Essonne, où s'est implanté Manuel Valls.</figure>

     

    Vu de loin, le 91 est un grand nulle part. Un territoire coincé entre la grande couronne parisienne et la province. Un espace purement administratif écartelé entre son sud campagnard rythmé par le bruit des tracteurs et son nord urbanisé où plane l'ombre des avions d'Orly. Il y a bien le joli centre-ville de Corbeil, les loyers encore modérés, le rêve d'un grand stade de rugby. Mais aussi, les embouteillages, le RER D pour aller travailler à Paris, le manque d'identité, lestours délabrées des Tarterêts...

    "SI UN JEUNE POLITIQUE NE VEUT PAS
    FAIRE LA QUEUE, WELCOME EN ESSONNE ! 
    ICI, IL Y A UNE PRIME À L'IMPERTINENCE. 
    CE N'EST PAS PAR HASARD SI VALLS 
    S'EST IMPLANTÉ À EVRY."

    Un écosystème fertile qui a vu sa population doubler en cinquante ans et qui provoque un embouteillage de poids lourds politiques à la sortie des urnes. Surtout à gauche. A droite, des ténors arrivent à se créer des "seigneuries" (Serge Dassault à Corbeil-Essonnes, Georges Tron à Draveil), mais ils agissent ensuite en loups solitaires. Seule Nathalie Kosciusko-Morizet, maire de Longjumeau jusqu'en 2013, a pu envisager son séjour dans l'Essonne comme un tremplin vers la capitale voisine.

     

    <figure>Malek Boutih (à gauche), député de la 10e circonscription de l'Essonne, avec François Lamy, député de la 6e.</figure>

     

    Ce "Game of Thrones" à la mode francilienne est un terrain politique violent, un Far West, selon l'image la plus souvent évoquée par les élus locaux. Ici, les jeunes cow-boys apprennent vite à dégainer, à flinguer. Le PS a toujours chassé en meute, dans l'ombre d'une fédération puissante et redoutée lors des congrès nationaux. "Un militant socialiste de l'Essonne a droit à une formation politique qu'il n'aurait pas ailleurs. L'Essonne est un laboratoire du combat politique", estime Julien Dray, ancien président de SOS Racisme et parachuté par François Mitterrand en 1988 sur la 10e circonscription.

     "JE N'AURAIS PAS PU FAIRE DE LA POLITIQUE AILLEURS. 
    ICI, IL Y AVAIT DE LA PLACE POUR QUELQU'UN D'ATYPIQUE."

     Les carrières peuvent être fulgurantes. Jean-Luc Mélenchon a été élu plus jeune sénateur de France en 1986. Thierry Mandon, plus jeune député la même année. Michel Pouzol a été catapulté député en 2008. Dix ans auparavant, il était au RMI, dormant dans un cabanon en forêt. "Je n'aurais pas pu faire de la politique ailleurs. Ici, il y avait l'espace pour quelqu'un d'atypique."

    La confrontation avec des ténors l'a façonné : "A ma première réunion, autour de la table, il y a Mélenchon, Valls, Hamon, raconte-t-il. Ça fait six mois que je fais de la politique. Je me dis : "Waouh !, je passe à la télé ou quoi ?" C'était surréaliste."L'apprentissage est forcément accéléré. "Travailler dans l'Essonne demande un investissement lourd, poursuit Michel Pouzol. Comme il y a des personnalités de premier plan, l'émulation est inévitable.»

     

    <figure>Le quai de l'Apport Paris, à Corbeil-Essonnes.</figure>

     

    Le particularisme dure depuis juillet 1964, date de la naissance administrative de l'Essonne accouchée par le président de Gaulle. En hélicoptère au-dessus de l'Ile-de-France, le Général pointe son index sur les futurs emplacements des villes nouvelles (Evry, donc, Cergy, Marne-la-Vallée, etc.). Le 91 est créé, une terre de conquête politique apparaît.

     "L'ESSONNE N'ÉTAIT PAS COMME LA DORDOGNE 
    OÙ ON EST DÉPUTÉ DE PÈRE EN FILS."

    Accessible en RER depuis 1977, à trente minutes de voiture de Paris et délaissé par les grandes dynasties politiques, ce territoire est un éden pour de jeunes ambitieux. Michel Berson, sénateur, ancien président du conseil général, homme politique historique local, se campe en "pionnier". Son parcours résume tout : "Au début des années 1970, j'étais étudiant dans le Nord. Je voulais militer mais c'était la SFIO, les vieux routiers du PS. J'allais être obligé d'attendre mon tour avec des vieux crabes. Je suis allé voir Claude Estier [ancien sénateur PS, ndlr], qui m'a dit : "Va en Essonne !" C'est vrai, l'Essonne n'était pas comme la Dordogne où on est député de père en fils."

     

    <figure>Les grandes villes du département sont desservies par le RER D (ici, la station d'Evry-Courcouronnes).</figure>

     

    Dans l'Essonne, rien n'est verrouillé. Tout est possible pour tous les profils. D'abord parce que la population est disparate, une sorte de précipité du melting-pot national. Il y a les chercheurs bac + 10 du plateau de Saclay, les habitants des zones difficiles à la périphérie des grosses villes, les propriétaires de petites maisons, beaucoup de jeunes (28,3 % de moins de 20 ans en 2010), énormément de mouvements (42,6 % des actifs travaillent dans un autre département)... "C'est une sorte de zone frontalière, ou alors un port où tout le monde est un peu immigré, ce n'est pas encore la province, ce n'est déjà plus Paris", résume Malek Boutih, ancien président de l'organisation SOS Racisme et député de la 10e circonscription.

    La géographie éclatée du département, l'un des plus peuplés de France et où aucune grosse agglomération n'écrase les autres (50 000 habitants à Evry, 45 000 à Massy), est une autre explication. Longtemps, l'Hérault a été sous la coupe du Montpelliérain Georges Frêche, la Seine-Saint-Denis a été tenue pendant des décennies par les cellules communistes, aujourd'hui contestées par l'omnipotent Claude Bartolone, les Hauts-de-Seine ont vu se succéder les barons du RPR... Ici, aucune figure imposante n'a jamais pu phagocyter la politique locale.

     

    <figure>La sénatrice Marie-Noëlle Lienemann (ici, avec Bernard Tapie) fut députée de l'Essonne en 1988.</figure>

     

    Pour Christophe Guilluy, géographe auteur de Fractures françaises (Ed. François Bourin), l'Essonne est un bon modèle de "géographie sociale", le département se rapproche de "l'idée qu'il y a deux France qui existent à l'échelle nationale : les grandes métropoles et la France périphérique, c'est-à-dire tout le reste, les petites villes, les zones pavillonnaires, les zones rurales".

    "L'ESSONNE EST UNE TERRE PROPICE AUX AVENTURIERS 
    QUI N'ONT PAS ÉTÉ SOUMIS AU LAVAGE DE CERVEAU DES GRANDS PARTIS."

    Dans ce canevas de fiefs posés les uns contre les autres, les politiques tricotent chacun de leur côté. Sans demander la permission à qui que ce soit, les intrépides prennent le droit de provoquer leur chance. "S'il y avait eu un notable, je ne serais pas venu en Essonne, raconte Nicolas Dupont-Aignan, élu maire de Yerres en 1995, face à un maire sortant lui aussi RPR. Ici se sont implantées des personnalités audacieuses, très indépendantes d'esprit, qui n'auraient pas pupercer ailleurs. C'est une terre propice aux aventuriers qui n'ont pas été soumis au lavage de cerveau des grands partis. Il n'y a pas de tissu oligarchique."

     

    <figure>Coincée entre son nord urbanisé et son sud campagnard, l'Essonne et ses villes moyennes attirent une population très diverse. Ici, la campagne de Milly-la-Forêt.<figcaption data-caption="Coincée entre son nord urbanisé et son sud campagnard, l'Essonne et ses villes moyennes attirent une population très diverse. Ici, la campagne de Milly-la-Forêt. | Christophe Caudroy pour M Le magazine du Monde">Coincée entre son nord urbanisé et son sud campagnard, l'Essonne et ses villes moyennes attirent une population très diverse. Ici, la campagne de Milly-la-Forêt. | Christophe Caudroy pour M Le magazine du Monde</figcaption></figure>

     

    Malek Boutih a suivi la même trajectoire : "En 2007, j'étais candidat à la députation en Charente. Mais je n'avais aucune chance. Les "barons" avaient décidé pour moi. Il fallait baiser la main. En Essonne, on ne baise pas la main. Si un jeune ne veut pas prendre un ticket et faire la queue, welcome en Essonne ! Ici, il y a une prime à l'impertinence. Ce n'est pas par hasard si Valls s'est implanté à Evry après Argenteuil [dans le Val-d'Oise]. Trop à droite pour la gauche, trop à gauche pour la droite. Il est inclassable."

     "QUAND ON GRIMPE À LA TRIBUNE, IL VAUT MIEUX AVOIR QUELQUE CHOSE À DIRE."

    Sur le mur de la salle de la fédération du PS, à Evry, une fresque représente les figures historiques du PS : Jaurès, Blum, etc. En contrebas, les ténors d'aujourd'hui. "Quand on grimpe à la tribune, raconte Romain Colas, maire de Boussy-Saint-Antoine et vice-président du conseil général de l'Essonne, il vaut mieux avoir quelque chose à dire. Et le dire bien." Carlos Da Silva évoque "un darwinisme local".

    Aujourd'hui porte-parole du PS, ce lieutenant revendiqué de Manuel Valls n'a que 36 ans quand, du haut de la tribune de la fédération PS, il annonce à Julien Dray qu'il ne sera pas tête de liste aux cantonales de 2011. Le député de l'Essonne est en effet visé depuis décembre 2008 par une enquête préliminaire pour abus de confiance. "Personne d'autre n'osait lui dire ! Trois ans avant, j'avais encore les cheveux longs, des baskets pourries et je traînais dans ma cité, sans aucuneculture politique."

     

    <figure>Le maire de Ris-Orangis Thierry Mandon (avec François Hollande).<figcaption data-caption="Le maire de Ris-Orangis Thierry Mandon (avec François Hollande). | Marc Chaumeil/Divergnce">Le maire de Ris-Orangis Thierry Mandon (avec François Hollande). | Marc Chaumeil/Divergnce</figcaption></figure>

     

    La formation est rapide. Les combats fratricides. Les idées qui agitent l'espace national s'entrechoquent à l'échelle du département. Dans les années 1970, le PS a bataillé contre l'influence communiste, dans les années 1980, la Gauche socialiste, courant à la gauche du PS, a lutté pied à pied contre la gauche rocardienne. Les projets fusent sur ce terrain où il faut toujours être en mouvement.

    Le département a par exemple été le premier à mettre en place une allocation personnalisée pour l'autonomie des personnes âgées, il continue à attirer desentreprises de pointe dans la recherche, il est aussi l'un des plus frondeurs dans la non-application de la réforme des rythmes scolaires : selon Nicolas Dupont-Aignan, une trentaine de maires ont annoncé qu'ils ne l'appliqueraient pas. Depuis 2001, c'est à Evry que Manuel Valls a élaboré sa vision d'une politique de sécurité de gauche en développant une police municipale forte et en systématisant l'usage de la vidéosurveillance.

     "L'ESSONNE, C'EST LE DÉPARTEMENT SAUVAGEON DU PS."

    Derrière le choc des idées, les combats de personnes ne sont jamais très loin. Pour assurer l'influence de son courant, il faut conquérir des mandats, tenir la fédération. Et écarter. "Oui, ça peut être très violent, comme entre Malek Boutih et Julien Dray, pour l'investiture [à la candidature aux législatives] à l'automne 2011,confirme Michel Pouzol. Il y a eu des intimidations, des coups tordus." Deux anciens présidents de SOS Racisme s'affrontent. Boutih veut tuer le père, Julien Dray, entaché par l'affaire des montres. La rumeur évoque les pires coups bas. Solférino écarte finalement Dray. "L'Essonne, c'est le département sauvageon duPS", assure Malek Boutih.

     

    <figure> Jérôme Guedj, 42 ans, le plus jeune des présidents du conseil général depuis 2011.<figcaption data-caption=" Jérôme Guedj, 42 ans, le plus jeune des présidents du conseil général depuis 2011. | Francois Lafite/Wostok Press">Jérôme Guedj, 42 ans, le plus jeune des présidents du conseil général depuis 2011. | Francois Lafite/Wostok Press</figcaption></figure>

     

    Dans un département où "personne n'a le pouvoir de tuer tout le monde", selon la formule de Michel Pouzol, il faut apprendre à composer continuellement. Sur cette terre longtemps acquise au socialisme, la fédération PS est une marmite en ébullition permanente, un ring où les rapports de forces et les alliances sont flous et fluctuants. "Mais ça tient éveillé !, soutient Malek Boutih. La fédé PS reste sûrement la plus en forme du pays." "Pour gouverner le département, il faut une majorité, explique Michel Berson. Il n'y en a jamais eu. Alors, c'est un combat politique de chaque instant. Et, quelquefois, les grands chefs à plumes tombent d'accord. Pour un temps..."

     "IL Y A UNE INDÉPENDANCE PAR RAPPORT À SOLFÉRINO. ICI, TOUT SE PASSE EN DIRECT."

    En 2011, après trente-cinq ans de carrière, Michel Berson est en passe d'êtreéjecté de la présidence du conseil général. La présidence de la collectivité locale aiguise alors les appétits de Jérôme Guedj, suppléant de François Lamy, et de Thierry Mandon, maire de Ris-Orangis. Dray, Guedj, Valls et Emmanuel Maurel - vice-président du conseil régional d'Ile-de-France -, Olivier Thomas, l'ancien patron de la fédération toujours aux affaires, se mettent d'accord. Mandon est battu.

    "Il y a une indépendance par rapport à Solférino car une grosse partie des leaders est là. Il n'y a pas de représentants. Ici, tout se passe en direct", analyse Carlos Da Silva. Cette indépendance est l'héritage d'une longue tradition dans ce département pourtant jeune. Elle trouve notamment ses racines dans "la période héroïque de Dray-Lienemann-Mélenchon", selon François Lamy, député, rocardien à l'époque où ce triumvirat va mettre la main sur le département.

     

    <figure>Pour la droite aussi, l'Essonne est un territoire de conquête politique. Nicolas-Dupont-Aignan est maire de Yerres depuis 1995 et député de l'Essonne depuis 1997.<figcaption data-caption="Pour la droite aussi, l'Essonne est un territoire de conquête politique. Nicolas-Dupont-Aignan est maire de Yerres depuis 1995 et député de l'Essonne depuis 1997. | Julien Chatelin/Divergence">

    Pour la droite aussi, l'Essonne est un territoire de conquête politique. Nicolas-Dupont-Aignan est

    maire de Yerres depuis 1995 et député de l'Essonne depuis 1997. | Julien Chatelin/Divergence

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    Arrivé à Massy dès 1978, en provenance de son Jura natal, l'actuel leader du Parti de gauche "a matricé la vie politique en Essonne", commente Jérôme Guedj, son ancien assistant parlementaire. D'abord simple directeur de cabinet de Claude Germon, Jean-Luc Mélenchon prépare les investitures, noyaute les sections, fait la guerre aux ennemis, notamment Marie-Noëlle Lienemann, rocardienne, à l'époque. Au gré de leurs trajets en voiture vers la rue de Solférino (Mélenchon n'a jamais eu le permis), ces deux-là deviendront amis. Le Jurassien conquiert la fédération en 1981, devient sénateur en 1986, fonde la Nouvelle Ecole socialiste avec Julien Dray, puis la Gauche socialiste en agrégeant les soutiens de Lienemann.

    "NOUS APPELIONS L'ESSONNE LA MÈRE-PATRIE DU SOCIALISME."

    Les premiers rassemblements de ce courant qui va dominer la gauche du PS jusqu'en 2002 se tiennent à Dourdan, dans le 91 évidemment. "Nous appelions l'Essonne la mère patrie du socialisme. Nous étions un peu prétentieux à l'époque, se souvient Julien Dray. Etre militant de la Gauche socialiste, c'était quasiment comme être militant d'une formation d'extrême gauche. C'était trois soirées par semaine, des réunions tout le temps sans compter les week-ends avec les distributions de tracts, les manifestations. Au plus fort, en 1997-1998, on était 800 à consacrer une énergie démente, les livres, les textes de congrès, les contributions qui sortaient toutes les semaines. On montait nos propres meetings. Nos propres orateurs étaient meilleurs que les nationaux, Mélenchon, moi, Lienemann, ça faisait un bon triumvirat."

     

    <figure>Arrivé à Massy dès 1978, Jean-Luc Mélenchon ”a matricé la vie politique en Essonne”, selon Jérôme Guedj, son ancien assistant parlementaire.<figcaption data-caption="Arrivé à Massy dès 1978, Jean-Luc Mélenchon ”a matricé la vie politique en Essonne”, selon Jérôme Guedj, son ancien assistant parlementaire. | Graziella Riou">Arrivé à Massy dès 1978, Jean-Luc Mélenchon ”a matricé la vie politique en Essonne”, selon Jérôme Guedj, son ancien assistant parlementaire. | Graziella Riou</figcaption></figure>

     

    La fédération de l'Essonne devient une des plus actives de France. Une des plus intellectuelles aussi. La Gauche socialiste y impose ses thèmes : la lutte contre le capitalisme transfrontalier, l'antiproductivisme, le non à la guerre en Irak. Les autres courants du PS ont l'obligation de se structurer politiquement. "Face à eux, j'avais défini et mis en place ce que j'appelais le rocardisme de guerre", se souvient François Lamy.

     "L'ESSONNE, C'EST LA LIGUE DES CHAMPIONS
    ON DONNE MOINS DE COUPS PAR-DERRIÈRE. 
    C'EST PLUS FLUIDE, BEAUCOUP PLUS TECHNIQUE."

    "Le courant de Mélenchon et Dray était une école de formation politique avec une grosse exigence : être capable de bien manier les concepts et de savoir bienparler. On se construisait avec ou contre lui mais on se construisait", explique le jeune maire de Boussy-Saint-Antoine Romain Colas. Une émulation dont profite, des années plus tard, l'Essonne tout entière. Jean-Vincent Placé, sénateur Vert, a été parachuté en 2011 pour les sénatoriales : "L'Essonne, c'est la Ligue des champions. On donne moins de coups par-derrière. C'est plus fluide, beaucoup plus technique."

    Aujourd'hui, dans le sillage de l'ascension de Manuel Valls, Carlos Da Silva, patron de la fédération, est toujours au coude-à- coude avec l'autre figure montante, Jérôme Guedj, patron du conseil général. "La situation est potentiellement explosive, mais on est capable de la gérer. Cette confrontation, c'est ce que j'aime moins. Ça crée de l'arrogance. Le principe : être le plus beau coq du poulailler",explique Michel Pouzol.

     

    <figure>A droite, Nathalie Kosciusko-Morizet, maire de Longjumeau jusqu'en 2013, a pu envisager son séjour dans l'Essonne comme un tremplin vers la capitale voisine. Ici, avec Julien Dray.<figcaption data-caption="A droite, Nathalie Kosciusko-Morizet, maire de Longjumeau jusqu'en 2013, a pu envisager son séjour dans l'Essonne comme un tremplin vers la capitale voisine. Ici, avec Julien Dray. | Patrick Kovaric/AFP">A droite, Nathalie Kosciusko-Morizet, maire de Longjumeau jusqu'en 2013, a pu envisager son séjour dans l'Essonne comme un tremplin vers la capitale voisine. Ici, avec Julien Dray. | Patrick Kovaric/AFP</figcaption></figure>

     

    Ce combat à venir renvoie-t-il forcément aux grandes heures des luttes essonniennes ? François Delapierre, secrétaire national du Parti de gauche etconseiller régional d'Ile-de-France implanté en Essonne, n'y croit pas. Il évoque plutôt une "normalisation". "Avant, l'Essonne était une bizarrerie au sein du PS. Il est rentré dans le rang, il s'est ossifié." La grosse claque des municipales (le PS ne détient plus que deux des seize agglomérations) puis celle des européennes (le FN est arrivé en tête, comme dans la Seine-Saint-Denis, le Val d'Oise et en Seine-et-Marne) contraignent les socialistes à se serrer les coudes et à apaiserles remous. Le conseil général est menacé.

     "ICI, NOUS AVONS FAIT LE CHOIX DE METTRE BEAUCOUP DE CROCODILES DANS LE MARIGOT. 
    COMME ÇA, AUCUN NE PEUT 
    BOUGER SANS SE FAIRE CROQUER PAR L'AUTRE."

    "Ça va redevenir une terre de conquête, lâche Julien Dray, qui aspire à repolitiser les troupes au niveau local sans guerroyer avec le nouveau premier ministre. On ne fera pas de cette fédération une fédération anti-Valls. Parce qu'il est là, parce qu'il n'a pas essayé de mettre ce territoire sous sa coupe. On ne construira pas dans le rejet de Valls."

    Une ambition partagée par François Lamy : "Nous avons aussi toujours eu conscience que l'Essonne devait rester une pépinière. Ici, nous avons fait le choix de mettre beaucoup de crocodiles dans le marigot. Comme ça, aucun ne peutbouger sans risquer de se faire croquer par l'autre." Les héritiers Da Silva et Guedj ont pour l'instant rangé les colts et plissent les yeux sous un soleil "sergio-léonien"."Si on se met dessus, vu la puissance de feu de chacun, ça ferait des dégâts,explique Carlos Da Silva. Il y a un pacte de non-agression explicite." Jusqu'à la prochaine étincelle qui animera à nouveau l'Essonne, ce concentré explosif de politique.

     
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