• «La Catalogne ressemble de moins en moins à l’Espagne»

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    «La Catalogne ressemble de moins en moins à l’Espagne»

    Vendredi 3.9.2010. 21:00h

    Cette fin de décennie favorise la montée, en Catalogne du sud, d'un sentiment indépendantiste paisible, souvent extrapolitique, à rapprocher des processus québécois et écossais. De son bureau proche de la cathédrale de Barcelone, Saül Gordillo dirige depuis 2007 l'Agence Catalane d'Informations, une AFP catalane née en 2000. Trente-cinq ans après la fin du régime de Franco, ce journaliste de 38 ans, qui n’a pas la retenue des anciens, se réjouit de la suppression de la corrida, des provinces espagnoles en Catalogne et de la puissance médiatique du territoire.
    Saül Gordillo, directeur de l'Agence Catalane d'Informations © Agence Catalane d'Informations
    Saül Gordillo, directeur de l'Agence Catalane d'Informations © Agence Catalane d'Informations

     

    Quelle est l'origine du désir d'émancipation exprimé par la Catalogne du sud?

    Notre self-government vient de subir une régression voulue par l'Etat, et notre situation actuelle est un recul, suite aux avancées obtenues lors de la transition démocratique (1975-1980 - ndlr) qui a suivi le régime du général Franco (1939-1975 - ndlr). Une rupture s'est produite dans l'esprit de concorde avec Madrid et dans la reconnaissance des nations galicienne, basque et catalane, au sein de l'Espagne. Ces derniers temps, le PP (Partido Popular, droite espagnole - ndlr) et le PSOE (socialistes espagnols - ndlr) ont entamé une escalade espagnoliste, après avoir constaté que la doctrine anti-catalane suscite des suffrages dans le reste du territoire espagnol. En conséquence, les gens n'en peuvent plus et disent "assez", face à cette régression, grossière et antidémocratique, orchestrée par l'État. La sentence de la Cour Constitutionnelle, prononcée le 28 juin 2010, a bafoué l'approbation de notre statut d'autonomie par deux parlements, le catalan et l'espagnol, et par un référendum populaire, tenu en 2006. Nous nous heurtons donc à un problème de démocratie et de liberté. La raison du mouvement actuel n'est pas identitaire, mais elle pourrait l'être, elle n'est pas culturelle et linguistique, mais elle pourrait l'être. Elle n'est pas non plus fondée sur l'économie, bien que cela soit possible, dans l'absolu. En réalité, les gens constatent que la souveraineté leur donnerait des libertés et de nouvelles opportunités face à la subordination actuelle. A la base, il s'agit d'un souci de liberté. Désormais, parmi les décideurs figurent des hommes et des femmes qui étaient gamins en 1978, à l'époque du vote de la Constitution espagnole. Ces gens-là ne souhaitent pas être otages ou esclaves des choix d'il y a 30 ans, désormais méprisés. Je fais partie de cette génération.

    La Catalogne du sud s'imagine indépendante, mais elle n'est qu'une région européenne...

    Nous ne sommes pas une région, nous sommes une nation, avec mille ans d'histoire, et nous sommes un peuple qui jouit d'une longue continuité. À l'heure actuelle, depuis 300 ans, nous sommes soumis à l'Espagne, mais le sentiment catalan est en pleine santé. L'Histoire de Catalogne nous démontre que nous n'avons aucune autorisation à demander à l'Espagne. C'est ce que l'Espagne n'a pas compris : nous sommes ce que nous sommes, en marge de ce que l'Espagne dit de ce que nous sommes. Mais en plus, nous souhaitons désormais être globaux. Dans le cadre européen, cela signifie pouvoir faire ce que d'autres pays font, tout en étant aussi petits que nous, en parlant des langues aussi peu parlées que la nôtre, ou moins parlées, en s'appuyant sur un poids économique inférieur ou supérieur au nôtre. Nous voulons disputer la Champions League en toute liberté, sans être la doublure d'une autre équipe. Tout cela, si le pays le souhaite démocratiquement, précède une évolution imparable.

    La Catalogne du sud n'est pas déjà un peu un Etat ?

    Nous avons, oui, une agence de presse catalane, une télévision publique puissante, leader, et très décisive, qui dispose de correspondants dans le monde entier. Nous avons aussi une radio publique très performante, également leader. En matière de liberté et de qualité, ces médias n'ont aucun équivalent dans le reste du territoire espagnol. On pourrait, toutes proportions gardées, les comparer bien plus à la BBC. Parallèlement, notre présence sur Internet, peu liée à l'Espagne, démontre notre poids démographique, sur le réseau, en tant que pays et société dynamique. Nous avons un domaine ".cat", c'est à dire une immatriculation sur Internet, à l'identique du ".fr" ou du ".com", nous disposons de la reconnaissance d'une multitude de marques et d'entreprises multinationales dont ne jouissent pas d'autres nations sans Etat. Nous avons aussi un corps de police propre, doté de 15.000 agents armés, et des ambassades au monde. La Catalogne dans le monde, c'est aussi l'Institut Ramon Llull, grâce auquel le nombre d'universitaires qui étudient le catalan est plus important sur la planète que dans le reste de l'Espagne, car il existe davantage de chaires de catalan hors-Espagne qu'en Espagne, en dehors de la Catalogne.

    Vos retraites et votre sécurité sociale ne sont pas catalanes...

    Non, elles sont espagnoles. Il y a là un problème, mais, historiquement, les Catalans se sont construit un État parallèle, grâce à un maillage socio-économique privé, qui comprend aussi bien des écoles que des mutuelles. Du coup, nous payons de nombreuses prestations deux fois, au niveau public, pour l'État, et au niveau privé. Par conséquent, certains de nos services bénéficient d'une sorte de réseau alternatif. En revanche, nous maîtrisons notre système de santé publique, sous l'entière compétence du gouvernement de Catalogne. C'est la même chose pour notre système éducatif, au sein duquel le catalan est la langue véhiculaire de l'ensemble de l'échelle scolaire. Nous venons d'abolir les quatre provinces de la division espagnole issues de la fin du XIXe siècle, nous venons d'interdire la corrida et avons approuvé, au parlement de Catalogne, une loi qui instaure le doublage de tous les films, à hauteur de 50 %, en catalan.

    En y regardant de plus près, en quelques années seulement, ce pays a validé de grands choix, notamment celui de s'organiser géographiquement à sa manière, en "vigueries", et non plus en provinces. De la sorte, la Catalogne ressemble de moins en moins à l'Espagne.

    L'Espagne est bien moins un "Etat providence" que la France, mais tout de même, changer d'Etat de ferait pas peur aux gens ?

    Les personnes qui réfléchissent sérieusement à l'indépendance de la Catalogne doivent travailler sur ce sujet, mais les gens de la rue n'y songent pas encore. Nous ne sommes pas face à une indépendance imminente, qui pourrait effrayer certaines personnes. Nous nous trouvons encore dans une étape de souverainisme extrêmement transversal, dont l'intensité, les degrés, et les sensibilités, sont très variés. Il n'y pas encore de phase de perception claire, qui exigerait une construction de structures d'État à tous les niveaux. Nous sommes dans une étape préalable, qui nous guidera vers la suivante. La période actuellement est celle des fondations, pour que, démocratiquement et pacifiquement, si les habitants de ce pays le souhaitent, soit organisé un plan d'action général qui évite que quiconque ne s'inquiète pour sa retraite, ou tout autre sujet logistique.

    L'agence de presse que vous dirigez semble être l'organe d'un pré-état catalan...

    C'est l'agence de presse d'un pays doté d'une langue propre, d'une nation sans État. Tous les États et tous les territoires qui ont envie de se transformer en Etat ont la leur. A l'origine, l'Agence Catalane d'Informations a été créée pour unifier un pays, désagrégé en matière de communication, avant une restructuration lancée il y a 30 ans. C'est l'agence publique et nationale de ce pays. Ce pourrait être, à l'avenir, un instrument d'État ? Sans doute, mais nous avons également la mission de raconter la Catalogne au monde, car les informations reçues par les médias internationaux sont le plus souvent déformées, puisqu'elles sont interprétées à Madrid. En ce sens, cet été, nous avons lancé une version en anglais, dénommée Catalan News Agency. Le réseau Internet est un excellent point de repère, car notre présence permet de dire au monde que nous ne souhaitons pas un Etat à l'ancienne, traditionnel, barricadé par des frontières, doté de sa monnaie et de son armée. Les nations conçues dans une optique du XIXe siècle n'ont aucun sens. Grâce à Internet, nous jouons dans la ligue de la globalité, en nous rattachant à d'autres langues et à d'autres projets, de manière complémentaire. Nous n'imaginons aucune frontière, aucune division, et favorisons les échanges.

    L'économie et la langue suffisent ?


    La langue ouvre beaucoup de portes, et, en plus, nous en avons plusieurs. Lors des dix dernières années sont arrivés en Catalogne 1,5 nouveaux habitants, ce qui porte notre population à plus de 7 millions de citoyens. Les nouveaux Catalans parlant des langues très variées, le catalan se doit d'être la langue véhiculaire, mais sans contrainte. Notre langue doit séduire, elle doit aussi être respectée, en tant qu'outil d'intégration. De nombreux nouveaux immigrants n'ont pas les préjugés des précédents, qui arrivaient des régions d'Espagne. Ils apprennent le catalan plus naturellement, et cette idée me plaît. Mais une évolution majeure adviendra à partir de 2014 ou 2015, car, pour la première fois, la Catalogne ne dépendra plus majoritairement du marché espagnol. Par conséquent l'économie catalane sera davantage reliée à l'extérieur de l'Espagne qu'à l'Espagne elle-même. Sachant cela, la globalisation du marché est une chance en matière de liberté, car, jusqu'à présent, nous étions pris par la peur d'un boycott du reste de l'Espagne. Désormais, l'opportunité des entrepreneurs catalans et des grandes entreprises est de vendre dans le monde. Je pense que le marché nous affranchit. Cela paraît procapitaliste, mais cette nouveauté est salutaire.

    Entretien Esteve Valls


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