ABIDJAN (AP) — Laurent Gbagbo a été arrêté lundi dans sa résidence d'Abidjan où il s'était retranché avec son épouse Simone et quelques fidèles. Le président ivoirien sortant a été emmené à l'hôtel du Golf, celui-là même où il avait assiégé pendant quatre mois Alassane Ouattara, le président élu reconnu par la communauté internationale. "Le cauchemar est terminé", a commenté le Premier ministre, Guillaume Soro.
L'ambassadeur de la Côte d'Ivoire en France, Ali Coulibaly, a assuré que Laurent Gbagbo serait "traité avec humanité" mais qu'il devrait répondre "des crimes contre l'humanité qu'il a commis". Selon lui, "les forces spéciales françaises n'ont joué aucun rôle" dans l'arrestation, c'est uniquement "la victoire des Forces républicaines de Côte d'Ivoire" (FRCI) pro-Ouattara.
"A aucun moment les forces françaises n'ont pénétré dans les jardins ou dans l'enceinte" de la résidence présidentielle, a assuré à l'Associated Press le colonel Thierry Burkhard, porte-parole de l'état-major de l'armée française. "Les choses sont d'une très grande clarté", a également insisté le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé.
Le conseiller de Laurent Gbagbo à Paris, Toussaint Alain, a soutenu pour sa part que l'ex-président avait été "arrêté par les forces françaises et remis à deux chefs rebelles". Le camp Gbagbo accuse régulièrement la France d'ingérence dans les affaires de son ancienne colonie.
L'un des combattants pro-Ouattara qui ont pris le bunker, Issard Soumahro, a déclaré à l'AP que Laurent Gbagbo avait été arrêté "avec son épouse et leur fils" Michel. L'ex-président aurait été giflé par un soldat mais pas touché autrement.
Selon Issard Soumahro, le prisonnier a été interrogé et emmené à l'hôtel du Golf, où les autorités l'attendaient pour signer une déclaration reconnaissant Alassane Ouattara comme le président de la Côte d'Ivoire. Sa sécurité est assurée par l'ONU.
La télévision ivoirienne a diffusé des images muettes de M. Gbagbo à l'attitude d'abord plutôt combative puis un peu confuse, changeant de chemisette colorée sur un débardeur blanc tandis que Simone Gbagbo affichait un air complètement abattu.
Dimanche soir, des hélicoptères de l'opération des Nations unies en Côte d'Ivoire (ONUCI) et de la force française Licorne, avaient tiré des roquettes contre la résidence de Laurent Gbagbo en réponse aux attaques contre le personnel onusien et les civils imputées aux forces du président sortant.
L'intervention de l'ONUCI et de la force Licorne a été déterminante, après quatre mois d'impasse politique causée par le refus de Laurent Gbagbo de reconnaître la victoire d'Alassane Ouattara à l'élection présidentielle du 28 novembre.
Des forces armées pro-Ouattara ont pris le contrôle de la quasi-totalité de la Côte d'Ivoire fin mars mais ce n'est que lorsque l'ONUCI et Licorne ont mené des frappes à partir du 4 avril pour détruire la plupart de l'armement lourd des pro-Gbagbo, dans le cadre de la résolution 1975 sur la protection des civils, que les FRCI ont lancé l'assaut final à Abidjan.
Les combats ont duré une semaine, pendant laquelle Laurent Gbagbo s'est retranché dans sa résidence du quartier de Cocody tandis que ses forces résistaient, parvenant même à rompre leur encerclement samedi pour attaquer le siège de l'ONU et l'hôtel du Golf ce week-end.
L'annonce de l'arrestation de Laurent Gbagbo a été saluée par des tirs en l'air des rebelles à Duékoué, dans l'ouest du pays, provoquant un mouvement de panique parmi les réfugiés, alors que l'on dansait dans les rues des villages plus à l'est. Dans l'un des hameaux, des jeunes s'étaient enveloppés dans le drapeau ivoirien orange, blanc et vert.
Le président Ouattara devait s'exprimer dans la soirée. Confirmant l'arrestation de Laurent Gbagbo, le Premier ministre Guillaume Soro a appelé les derniers fidèles de l'ex-président à "rejoindre les Forces républicaines" et les populations à "rester chez elles cette nuit" pendant qu'"une opération de sécurisation de la route d'Abidjan (serait) menée".
Le désarmement des pro-Gbagbo sera "l'un des problèmes majeurs auxquels le président Ouattara sera confronté", a jugé Ali Coulibaly, mais l'ambassadeur ivoirien auprès de l'ONU, Youssoufou Bamba, a estimé que les combats cesseraient avec la reddition de M. Gbagbo.
M. Ouattara "mettra en place une commission de réconciliation, justice et pardon pour que les Ivoiriens se retrouvent", a ajouté M. Coulibaly, interrogé par l'Associated Press Television News (APTN). Il "constituera dans les prochaines semaines un gouvernement d'union nationale, un gouvernement de réconciliation nationale, un gouvernement représentatif de la diversité nationale, (avec) des responsables du parti de Laurent Gbagbo". L'ex-chef de l'Etat a en effet remporté 46% des voix à la présidentielle, contre 54% à son adversaire.
A 65 ans et après dix ans au pouvoir, Laurent Gbagbo laisse une Côte d'Ivoire largement divisée entre le Nord à majorité musulman de M. Ouattara et le Sud à majorité chrétien, dont l'économie autrefois florissante, notamment grâce au cacao, ne s'est toujours pas remise de la guerre civile de 2002-2003 et des années d'instabilité qui ont suivi.
Les quatre mois de crise politique ont fait des centaines de morts imputées pour la plupart aux pro-Gbagbo mais les pro-Ouattara sont également soupçonnés d'avoir tué des centaines de personnes lors de l'offensive dans l'Ouest. Le président Ouattara a promis qu'aucun crime ne resterait impuni. AP
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