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La force vitale des Maori submerge le Quai Branly
La force vitale des Maori submerge
le Quai Branly
Critique | | 10.10.11 | 16h15 • Mis à jour le 10.10.11 | 16h16
Puisque tout est rituel et qu'il faut comprendre avant de regarder, l'exposition "Maori, leurs trésors ont une âme", présentée au Musée du quai Branly à Paris jusqu'au 22 janvier, impose que le visiteur s'attarde, et touche, dès l'entrée, une large pierre de jade, fraîche, lisse, symbole de longévité et de beauté. Cette pierre, dénommée Hine Kaitaka, incarne la force vitale, le mauri, qui anime et relie toute chose. Si la civilisation des Maori, peuple premier, toujours vivant, de la Nouvelle-Zélande, a quelque chose à enseigner au monde, c'est que tout est interconnecté - les personnes, les objets animés ou inanimés, l'environnement. Rangi, le ciel père, Paya, la terre mère, ne se sont séparés que pour laisser entrer la lumière et les êtres vivants, mais ne furent jamais détachés.
Pour figurer ces continuités, Massimo Quendolo a conçu pour la galerie-jardin du Musée du quai Branly une scénographie courbe, serpentine, que l'on peut parcourir dans un sens ou dans un autre, sans rupture. C'est le Musée maori Te Papa Tongawera de Wellington qui a conçu l'exposition, d'abord présentée en Nouvelle-Zélande. Paris y a ajouté des éclairages contemporains, respectant cependant à la lettre les desiderata des conservateurs néo-zélandais : ainsi, aucune tête humaine tatouée n'est exposée.
Un de ces chefs-d'oeuvre d'art in vivo, une tête intégralement ornée de motifs en circonvolutions conservée depuis 1875 au Muséum d'histoire naturelle de Rouen (Seine-Maritime), a été restitué en mai au Musée Te Papa lors d'une cérémonie traditionnelle, en présence de Michelle Hippolite, codirectrice du musée néo-zélandais, qui a veillé à l'orthodoxie de l'exposition parisienne. En janvier 2012, à la clôture, le Musée du quai Branly en rendra vingt autres, issues de ses collections. Les ancêtres à la généalogie déclinée en incisions colorées rentreront parmi les leurs.
Bien sûr, le ta moko, l'art du tatouage maori, est évoqué, notamment par un très beau masque de vie moulé au XIXe siècle sur le visage du chef Te Manewha. Autre démonstration de cette étrange symbolique, les photographies de la Néo-Zélandaise Marti Friedlander, qui a immortalisé il y a trente ans les dernières femmes à être marquées du moko - le tatouage. Dans le même registre, il y a ces ustensiles de tatouage contemporains, ceux d'un maître du genre, Derek Lardelli, né en 1961, allume-gaz, boîte de pellicule photo, bouteille en plastique, tous bricolés, efficaces et populaires, qui cohabitent avec un entonnoir à alimentation en bois sculpté, qui servait à donner de la nourriture aux chefs maori dont les visages étaient tuméfiés par la piqûre du tatoueur (1500-1800). Les tatoueurs inscrivaient d'ailleurs une partie de leur répertoire sur des statuettes de bois sculpté, ou se réappropriaient les valeurs étrangères en les ornant de ces motifs - l'une représente Jésus et Marie, dotée d'un ta moko facial intégral !
Toujours pour témoigner du mana, cette force spirituelle qui confère de l'autorité et du prestige, les Maori ont tissé des capes. Il y en a ici de magnifiques, certaines anciennes, en plumes ou en fibres de lin, datant du XIXe siècle. D'autres ont été élaborées dans les années 1990 ou 2000 par des artistes maori, comme Kohai Grace, née en 1966, et qui s'est inspirée d'un tui, l'oiseau de Nouvelle-Zélande : l'aigrette blanche de la gorge se marie au bleu-vert métallique des plumes dorsales.
Relier passé, présent et futur peut s'avérer périlleux. Il n'était pas évident de montrer une pirogue en résine de polyester et fibres de verre de haute facture technologique aux côtés de figures de proue anciennes, de pagaies, d'hameçons de jade. Mais l'enthousiasme et le prosélytisme du Musée Te Papa donne son souffle à ce brassage. De même, la présentation des hei tiki, ces énigmatiques pendentifs de jade, a été doublée des photographies de Fiona Pardington (en 2005, le gouvernement néo-zélandais avait fait don au Musée du quai Branly de plusieurs clichés de sa série Hei tiki).
Enfin, "Maori" est une exposition politique. Un espace est consacré à l'occupation des terres ancestrales de Bastion Point, près d'Auckland, par les Maori, en 1978. "Avant, ils ne pouvaient pas dire "c'est notre terre" ; après, oui ", dit un commentateur dans le court film qui résume ces dix-sept mois de résistance à la police et à l'armée.
Musée du quai Branly, 37, quai Branly, Paris 7e. Les mardi, mercredi et dimanche de 11 heures à 19 heures ; les jeudi, vendredi et samedi de 11 heures à 21 heures. Tél : 01-56-61-70-00. Sur le Web : Quaibranly.fr. Catalogue, éd. Musée du quai Branly/Somogy, 192 pages, 29,50 €.
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