• La France, précieux partenaire de l'espionnage de la NSA

    La France, précieux partenaire de

    l'espionnage de la NSA

    LE MONDE | <time datetime="2013-11-29T13:10:47+01:00" itemprop="datePublished">29.11.2013 à 13h10</time> • Mis à jour le <time datetime="2013-11-29T18:17:06+01:00" itemprop="dateModified">29.11.2013 à 18h17</time> | Par

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    <figure class="illustration_haut"> Le siège de la DGSE, boulevard Mortier, à Paris. </figure>

    L'indignation manifestée par le chef de l'Etat français auprès de son homologue américain, après la publication, fin octobre, par Le Monde, de documents internes de l'Agence national de sécurité (NSA), montrant l'ampleur de l'espionnage à l'encontre des intérêts français, a pu laisser croire que la France était une parfaite victime.

    De nouvelles pièces, transmises au Monde par Edward Snowden, un ancien consultant de la NSA, lèvent, pourtant, le voile sur une autre réalité : celle des liens extrêmement étroits noués par les services secrets français, la Direction générale des services extérieurs (DGSE), avec, d'une part, la NSA et, d'autre part, son équivalent britannique, le GCHQ, soit les deux plus puissantes structures d'interceptions techniques au monde.

    Ces nouveaux éléments montrent comment et à quel point, au nom de la lutte antiterroriste, la DGSE a construit et structuré ses échanges avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. La coopération s'est développée sur le terrain du renseignement technique et humain. Dans le cadre d'un troc, la décision a ensuite été prise de transférer à la NSA et au GCHQ des stocks massifs de données transitant sur le sol français.

    Ces documents internes à la NSA ou au GCHQ attestent que les décisions inhérentes à la création de ce versement dans un vaste pot commun de données privées et publiques françaises se sont prises, en grande partie, au niveau des directeurs des services secrets techniques de ces pays. Ils posent la question du pouvoir et de la place prise par les techniciens du renseignement qui ont pu, à certains égards, s'affranchir de leur tutelle politique et des lois protégeant les libertés.

    « LA DGSE EST ENTRÉE DANS UNE AUTRE DIMENSION »

    La première note, du 6 août 2007, émane de la direction de la NSA chargée du renseignement par transmissions électroniques. Elle est frappée du sceau « top secret », le plus haut degré de classification. Rédigée par la chef du bureau à Paris à l'adresse de sa hiérarchie, elle indique que la relation avec la DGSE est « entrée dans une nouvelle dimension ».

    Dorénavant, écrit-elle, grâce à « une franche discussion entre la direction des relations extérieures de la NSA et la direction technique de la DGSE débutée en novembre 2006 sur les besoins en information et sur l'idée de créer un modèle de référence en termes de partenariat », les échanges porteront non seulement sur les données techniques, mais aussi sur le renseignement possédé par chacun des services.

    La chef du bureau insiste sur le rôle central joué par Bernard Barbier, le directeur technique des services secrets français. « Son attitude est très pragmatique envers la NSA sur des questions sensibles et ce changement d'échelle dans l'échange d'analyse est apparu lors de son déplacement à la NSA en décembre. » Jusqu'à présent, ajoute-t-elle, le partage d'analyse était « entravé » par la direction de la DGSE.

    Lire aussi : Ecoutes : Bernard Barbier, le « Monsieur Grandes Oreilles » français

    Désormais, se félicite l'auteur de la note, la direction du renseignement de la DGSE apportera l'ensemble de ses informations, dans la discussion avec la NSA, sur l'Afrique et les questions de contre-terrorisme. « Les analystes français ont appris que les analystes de la NSA avaient beaucoup à offrir et ont offert beaucoup. »

    Cet accord se décline à tous les niveaux. Le 1er février 2007, le chef de la division Afrique de la direction du renseignement de la DGSE rencontre, avec deux analystes, son homologue de la NSA pour l'Afrique subsaharienne. Ils parlent essentiellement, dit la note, de la crise au Darfour. D'autres réunions sont organisées sur la Côte d'Ivoire et la République démocratique du Congo (RDC). La NSA salue la cession par les Français d'une carte confidentielle situant des camps militaires autour de la RDC.

    Le 7 février 2007, une délégation d'espions français se rend à la NSA pour y délivrer une présentation « très fouillée », estime la note, sur les deux priorités de la DGSE : le Hezbollah au Liban et AQMI au Sahel. Dès lors, les échanges vont être institutionnalisés. « Une visite à Paris les 19 et 20 mars sur AQMI. Le 25 avril, la DGSE à la NSA, sur les Balkans. » Et de conclure : « Il y aura encore beaucoup à tirer de ce partenaire dans cette relation qui ne fait que commencer. »

    Un an plus tard, grâce à une autre pièce extraite par Edward Snowden et déjà évoquée par The Guardian, on apprend que la DGSE a également resserré sa coopération avec le GCHQ britannique. « La DGSE est un partenaire extrêmement motivé et compétent techniquement qui a montré une grande volonté de s'investir sur les protocoles Internet et de travailler avec le GCHQ sur des bases de coopération et d'échange. »

    En mars 2009, les Britanniques accueillent leurs homologues français pour aborder la surveillance d'Internet à grande échelle. En juillet 2009, les deux partenaires se retrouvent et poursuivent leurs échanges sur ce qui est décrit comme « le plus grand défi du GCHQ » : « la poursuite des interceptions massives en cassant les systèmes de cryptage livrés par des fournisseurs privés ». Le document salue, là aussi, le caractère « très amical » de ces réunions. Les Français sont présentés comme « très enclins » à transmettre leur savoir-faire en matière de cryptage.

    Lire aussi : La Grande-Bretagne a autorisé l'espionnage de ses citoyens par la NSA

    Selon un haut responsable de la communauté du renseignement en France, ce partage n'est pas exempt de quelques « cachotteries de part et d'autre ». Mais, dit-il, la DGSE a approfondi plus encore sa relation avec ses partenaires anglo-saxons, notamment la NSA, à partir de fin 2011 et début 2012, en adoptant un protocole d'échange de données massif. La France bénéficie d'une position stratégique en matière de transport de données électroniques par les câbles sous-marins. Ce flux d'informations étranger-France, cette « matière première » comme la qualifie la NSA dans une note révélée par M. Snowden, fait l'objet d'une large interception par la DGSE.

    Mais le matériau fourni à la NSA, en grande partie prélevé sur les câbles mais pas seulement, n'est pas uniforme. Les données collectées ont des caractéristiques techniques très variées et complexes. Elles appartiennent à des Français comme à des étrangers. La DGSE peut trier certaines d'entre elles et ainsi préserver des secrets concernant la France, mais elle ne peut pas tout identifier.

    « Les raisons sont multiples, explique le même haut responsable. D'abord, il n'y a pas de drapeau bleu-blanc-rouge derrière chaque adresse. De plus, certains cryptages peuvent être inaccessibles dans un délai raisonnable. Enfin, le traitement de données électromagnétiques, par exemple, requiert des moyens techniques dont la France ne dispose pas. »

    Résultat : le niveau de coopération est tel qu'aujourd'hui des données personnelles venant d'Afrique ou du Moyen-Orient, transitant par la France et appartenant à des individus de nationalité française – hommes d'affaires, diplomates, voire agents de la DGSE en mission – ou même à des chefs d'Etat africain, peuvent tomber entre les mains de la NSA au nom de l'antiterrorisme.

    Lire aussi : La France au coeur de la surveillance des câbles sous-marins de communication

    Si les métadonnées concernant des citoyens français collectées et stockées par la DGSE échappent à la loi française, que dire de celles livrées à la NSA ? Dans l'entourage d'Alain Zabulon, coordonnateur national du renseignement, on assurait, jeudi 28 novembre, « qu'en l'état de connaissance, la DGSE trie l'ensemble des données livrées à la NSA ». Sollicitée, la DGSE s'est refusée à tout commentaire. Les autorités américaines, qui n'ont pas répondu, se sont toujours refusées à évoquer des documents couverts par le secret.

    Jacques Follorou
    Journaliste au Monde


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