Prévenir les suicides sur les lieux de travail est aussi de la responsabilité des entreprises, estime un expert, à la veille de la journée mondiale de prévention du suicide organisée lundi par l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
Cette prévention est d'autant plus nécessaire que l'entreprise est aussi le lieu de "frottements" avec la vie privée, souligne auprès de l'AFP, Xavier Alas Luquetas, dirigeant du cabinet de prévention des risques psychosociaux, Eleas.
De la même façon, des ordres et consignes contradictoires de directions d'entreprises, une mauvaise organisation du travail et/ou du temps de travail, une absence ou une mauvaise qualité de dialogue social, peuvent conduire des salariés à des gestes suicidaires.
Ainsi, chez France Télécom une réorganisation à marche forcée a provoqué parmi les quelque 100.000 salariés de l'entreprise une trentaine de suicides entre 2008 et 2009. Une situation telle que l'ancien patron, Didier Lombard, a été contraint de céder les rênes de l'entreprise en 2010 et mis en examen pour harcèlement moral en juillet dernier.
A La Poste, deux récents suicides de cadres ont poussé la direction à demander à l'ancien secrétaire général de la CFDT, Jean Kaspar, un rapport sur les conditions de travail dans l'entreprise, qui doit être rendu public mardi.
Selon l'OMS, un million de personnes par an meurent par suicide, c'est-à-dire une toutes les 40 secondes, "soit plus que le nombre combiné des victimes de guerres et d'homicides", précise l'Organisation dans son dernier rapport sur le sujet.
"Repérer les gens qui vont mal"
Le nombre de tentatives de suicides est encore plus important, avec 20 millions par an. Environ 5% des personnes dans le monde font une tentative de suicide au moins une fois dans leur vie, souligne l'OMS.
En France, le nombre de suicides annuels est évalué à un peu plus de 10.000, dont environ 400 sont directement liés au travail, selon un récent rapport du Conseil économique, social et environnemental (Cese).
La responsabilité de l'entreprise peut être engagée, celle-ci ayant une obligation de sécurité vis à vis de ses salariés.
Certes, admet Xavier Alas Luquetas, "la plus grande difficulté, c'est de repérer les gens qui vont mal" dans les entreprises. Pour y parvenir, il recommande la mise en place de "formations spécifiques", principalement destinées à l'encadrement, et, parallèlement, la création d'"une culture de l'attention à l'autre, pour apprendre à repérer les changements d'attitudes".
Ainsi, voir "quelqu'un qui arrive toujours en avance et se met à arriver en retard, ou quelqu'un qui parle peu alors que ce n'est pas le cas d'habitude, peut être un indice" d'un mal être risquant de déboucher sur une geste suicidaire.
"Dans l'organisation du travail d'aujourd'hui, il faut arriver à insuffler aux cadres une notion de +protection managériale+ parce que le travail peut générer de la souffrance", souligne-t-il.
Si l'issue du geste suicidaire est fatale, l'entreprise ne doit pas la masquer, souligne également l'expert. "La direction doit reconnaître la gravité de ce qui s'est passé", et non tenter de la minimiser, ce qui équivaudrait à la nier.
Cette semaine, les signataires de l'appel "pour la création d'un observatoire des suicides" ont de nouveau insisté sur "l'urgence" de fonder un tel organisme pour mieux recenser et prévenir ces actes.
Déplorant l'absence de données détaillés en la matière, le Pr Michel Debout, ancien président de l'association France prévention suicide et signataire de cet appel juge urgent la création d'un tel organe "pour agir au niveau de la prévention". Selon ses calculs, la crise aurait généré au moins 750 suicides supplémentaires en France entre 2008 et 2010.