• Le boulanger du bien-être

    29 octobre 2011

    Le boulanger du bien-être

    Il y a des reportages plus durs que d'autres @ Bernard Monasterolo

    Si Franck Debieu a fini par poser ses valises ici, face à l’église de Sceaux, près du parc et du marché couvert, après tant de voyages partout dans le monde, c’est peut-être que l’endroit avait quelque chose de sa campagne natale. De cette enfance, dans la Manche, auprès de parents agriculteurs, que sa mémoire associe aux gros pains de 6 livres déposés en camionnette par le boulanger, dans lesquels il croquait «comme on croque dans la vie ».

    L’inconscient a du bon. L’étoile du berger, sa boulangerie-pâtisserie, qui fait aussi salon de thé, est une belle réussite commerciale. Ouverte en 2002, avec 80 clients par jour la première année, elle en sert quotidiennement 1500 aujourd’hui. Et deux autres boutiques ont été créées sur le même modèle, à Meudon et Fontenay. Chiffre d’affaires total : 4 millions d’euros (avec 60 salariés).

    La recette ?

    En attente de cuisson @Bernard Monasterolo

    D’évidence, la qualité des pains, farines bio pour l’essentiel, montés au levain, sans levure. Il faut 24 heures pour préparer la goûteuse « baguette du berger» ou même les brioches.

    La semaine prochaine, les fraises et framboises auront disparu @Bernard Monasterolo

    Des pâtisseries raffinées aux fruits de saisons. Des sandwichs, salades composées, soupes originaux et meilleurs qu’à la maison…

    On cherche, on cherche, mais on a beau écrire, le succès ne se résume pas aux produits vendus. Il y a dans cette petite boutique comme une ambiance particulière, qui tient à son patron. Drôle de bonhomme aux cheveux ébouriffés, modeste et passionné, qui a voulu une boulangerie d’un nouveau genre.

    Sur la blouse de Franck Debieu est écrit "Consultant en boulangerie"@Bernard Monasterolo

    Franck Debieu a arrêté l’école à 14 ans. « Pas adapté au système scolaire ». Il entre en apprentissage, et sa vie « prend un sens », il se met à lire, écrire, écouter de la musique. A 17 ans, il rencontre un Compagnon du tour de France et décide de suivre son exemple. Démarrent sept années de voyages, en France et ailleurs, accueilli chez différents boulangers qui lui transmettent leur amour du métier bien fait et une belle poignée de valeurs. Salarié d’une société de matériel de boulangerie, puis à la tête de sa propre entreprise de conseil et de formation, Franck Debieu continue sa grande vadrouille, élargie au monde entier, avec l’universalité du pain comme passeport. « J’ai fait des rencontres insolites qui ont fait tomber mes barrières de jugements », dit-il simplement.

    Etats-Unis, Corée, Israël, Chili. Russie juste après la chute du mur Berlin, où il se retrouve à pétrir aux côtés d’un ingénieur du nucléaire privé d’emploi. Chicago, auprès de 200 Mexicains censés utiliser une grosse machine neuve de 25 mètres de long pour produire des pains italiens. « Le pain ne sortait pas, et le patron n’y comprenait rien. On faisait des réunions, rien ne bougeait. J’ai demandé à passer une nuit à travailler avec eux. Et là, ils ont fini par me dire qu’ils avaient peur d’être licenciés si la machine fonctionnait. J’ai incité le patron à leur parler des nouveaux débouchés. Deux jours après, la machine tournait à plein ».

    Et ce boulanger bio, en Auvergne, qu’il devait conseiller sur un nouveau procédé de pain au levain… "En fait, c’est lui qui m'a appris plein de choses". Les quatre, cinq heures pour faire le levain. Puis le pétrissage à l’ancienne. « J’ai dormi comme lui sur un matelas au milieu du fournil, on se réveillait tous les trois-quarts d’heure pour remettre du bois dans le four. Il y a avait des noyaux d’olive brisés dans la pelle pour faire glisser le pain. Un moment magique. A la fin, évidemment, son pain avait une identité forte. Une légère acidité avec beaucoup de subtilité ».

    Quand il parle du pain, Franck Debieu, habituellement peu disert, verse dans le lyrisme. « Le pain une matière vivante qui permet de se construire »… « J’y mets ma connaissance, mon amour, je le lève, je l’accompagne, il est magnifique ! »… Et en revient vite à parler de ses employés. « Grâce à ce métier, j’ai appris à accompagner la fermentation et aujourd’hui l’humain qui est autour de moi. Dans ma boutique, je vois l’état de mes équipes. S’ils sont heureux de faire ce qu’ils font, le pain le reflète. Il faut donner du sens à leur travail, qu’ils soient dans la conscience de ce qu’ils font».

    Croissants à enfourner @Bernard Monasterolo

    Qu’on se le dise ! Sa boulangerie d’un genre nouveau doit « permettre aux gens de se réaliser ». Lui qui a souffert physiquement, dans ce métier, du fait de sa petite carrure, a décidé d’éliminer certaines opérations par trop physiques grâce à une machine qui divise la pâte et façonne les pains. « Je voulais être un boulanger plus en contact avec sa clientèle, pas cet ours qui travaille la nuit dans sa grotte, et dont la femme vend le pain le jour ».

    En nous parlant, il jette régulièrement un œil sur l’écran de contrôle qui surplombe son minuscule bureau, auquel on accède par une échelle de meunier (et dont les galettes de fauteuils sont couvertes de poussière de farine). Que surveille-t-il ? «Que les clients n’attendent pas trop. C’est pour cela que je forme tout le personnel à la fois à la fabrication et à la vente, pour que les gens de production remontent à la commercialisation si besoin ». Et puis, les salariés qui savent comment se fabriquent les pains et gâteaux en parlent « avec amour ». « Cela donne du sens à leur tâche, qui devient moins rébarbative. Ce n’est pas « Une baguette, deux croissants, ça fait x euros » mille fois dans la journée! »

    Monsieur Debieu tient à recruter des profils variés. Mélanger les cultures, les visions. Des femmes à la fabrication, ce qui est extrêmement rare. Des étrangers - une Mexicaine et une Russe dirigent la boulangerie de Meudon. Des diplômés en reconversion, venus d’horizons variés. Un ex-mécanicien formé quatre ans chez lui travaille aujourd’hui chez Pierre Hermé à Tokyo. Amaury, que nous croisons en boutique, a 24 ans, une licence de droit, et des parents peu ravis de ce changement de trajectoire. « Le droit m’intéressait, mais je me suis rendu compte que ce n’était pas ce que j’avais envie de faire. Je voulais travailler avec mes mains, et je suis un peu gourmand. J’étais dans le mental, à réfléchir sur des arrêts, aujourd’hui je suis dans le ressenti, je fabrique quelque chose ». Ici, il côtoie des apprentis de 16 ans ou des collègues de son âge, apprécie l’esprit d’équipe. En CDI, il se forme à la pâtisserie et à la vente, et passera le CAP en candidat libre dans deux ans. « J'envisageais un  apprentissage, mais je n’avais rien trouvé. On me disait que mon bagage ne correspondait pas ».

    Sabrina Tesan apprend la pâtisserie et le management @Bernard Monasterolo

    Sabrina, 25 ans, qu’Amaury vient remplacer derrière le comptoir, a elle un master en communication et management du sport. « Il y a un rapport à la matière qui me manquait. Créer réellement quelque chose que les gens apprécient. Pendant mes études, j’ai monté un projet fictif de création d’une pâtisserie à l’étranger, et ça m’a tellement plu que je me suis dit que c’était ça que je voulais faire ! » Sabrina passera aussi son CAP, on la forme à la pâtisserie, mais le patron a tenu à lui confier l’encadrement du magasin. Expérience utile avant de lancer sa propre affaire.

    Ce patron qu’il faut aussi pousser (Olivier, le coiffeur voisin, nous a tout dit) à raconter les heures de cours bénévolement données dans différents CFA, ou aux Compagnons du tour de France. Ou cette collaboration avec la CLIS (classe d’intégration pour les élèves handicapés) de l’école élémentaire du Petit Chambord. Il y est allé neuf fois l’an dernier, faire fabriquer du pain aux enfants, qu’il revient cuire dans son fournil, avant de leur ramener. Au final, des dessins colorés des élèves. Et douze salariés de la boulangerie qui ont participé, « dont certains parlent très peu autrement qu’avec les mains ». « Il y en a qui se sont révélés ». Quand ils passent à la boutique avec leurs parents, maintenant, les enfants se glissent derrière le comptoir.

    Allez! Dernière chouquette pour le route! @Bernard Monasterolo

     


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