• Le harcèlement moral au travail vu par la jurisprudence.

    Le harcèlement moral au travail vu par la jurisprudence. Par Cathy Neubauer, Avocat

    "Il est possible de détruire quelqu’un juste avec des mots, des regards, des sous-entendus : cela se nomme violence perverse ou harcèlement moral.", Marie-France Hirigoyen.

    Marie-France Hirigoyen a été la première, en France, à parler de harcèlement moral. Son livre sorti en 1998 a été une première. Néanmoins, même si le harcèlement moral a de tout temps existé au travail, la loi n’y a fait expressément référence qu’à partir du 17 janvier 2002 et encore, il ne s’agissait pas d’une loi consacrée exclusivement au harcèlement moral, mais tout simplement d’une loi de modernisation sociale ; loi fourre-tout composée de 224 articles, qui englobait dans ses articles 169 à 180, un chapitre consacré au harcèlement moral au travail.

    Bien que les dispositions relatives au combat contre le harcèlement auraient sans doute dû faire l’objet d’une loi à part, ces quelques articles sont une véritable révolution dans le monde du travail.

    En effet, désormais la souffrance au travail porte un nom ; mieux encore, le responsable de la souffrance au travail d’autrui est susceptible d’avoir à répondre de ses actes devant la juridiction pénale.

    D’abord relativement frileuse, la position de la Cour de Cassation a rapidement évoluée pour finir par poser le principe de l’obligation de sécurité de résultat.

    Comment identifier une situation de harcèlement moral ?

    I. Les textes applicables

    a. la définition du harcèlement moral

    L’article L1152-1 du code du travail, tel qu’il résulte de l’ordonnance N°2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail dispose que :

    « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel  »

    b. les solutions mises en place par le code du travail

    Cet article est complété par l’article L1152-2 du code du travail, libellé comme suit :

    « Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés  ».

    Et la sanction de ces dispositions est prévue par l’article L1152-3 du même code :

    « Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul  ».

    Le code du travail impose à l’employeur d’agir : article L1152-4 :

    « L’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.  »

    Et lui donne des pistes pour trouver une solution : article 1152-6 :

    «  Une procédure de médiation peut être mise en oeuvre par toute personne de l’entreprise s’estimant victime de harcèlement moral ou par la personne mise en cause. Le choix du médiateur fait l’objet d’un accord entre les parties. Le médiateur s’informe de l’état des relations entre les parties. Il tente de les concilier et leur soumet des propositions qu’il consigne par écrit en vue de mettre fin au harcèlement. Lorsque la conciliation échoue, le médiateur informe les parties des éventuelles sanctions encourues et des garanties procédurales prévues en faveur de la victime. »

    En n’oubliant pas de les assortir de possibilités de sanctions : article L1152-5 du code du travail :

    « Tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement moral est passible d’une sanction disciplinaire  ».

    Le législateur a également prévu des sanctions pénales, tant dans le code du travail que dans le code pénal.

    De ces textes, la jurisprudence a brossé, durant ce qui sera sous peu une décennie, un tableau relativement précis du harcèlement moral.

    Il convient néanmoins de rappeler qu’une des difficultés majeures de la reconnaissance du harcèlement moral comporte nécessairement une part de subjectivité.

    En effet, si les agissements visés sont un ensemble de faits, qui s’ils sont prouvés, sont relativement aisément qualifiables et quantifiables, la notion d’altération de l’état de santé physique ou mentale par contre, dépend elle, de la résistance du harcelé au stress, tout comme la dégradation des conditions de travail peut dépendre pour part du ressenti du salarié face à la situation engendrée par lesdits agissements.

    Il en résulte qu’il peut arriver que dans des cas extrêmes, un salarié puisse se sentir harcelé alors qu’un autre salarié dans la même situation ne le ressentira pas comme cela.

    Toujours est-il que la jurisprudence a dégagé un certain nombre d’éléments qui permettent d’ébaucher un début de tableau des agissements et situations reconnues comme relevant du harcèlement moral.

    II. Les contours dessinés par la jurisprudence

    a. les situations ayant été considérées comme relevant du harcèlement moral

    Quelques exemples :

    Les brimades

    - Le fait pour l’employeur d’affecter un salarié dans un local exigu, sans chauffage correct, sans lui remettre d’outils de travail en l’isoler des autres salariés de l’entreprise tout en faisant des réflexions de nature à laisser douter de l’équilibre psychologique du salarié constitue du harcèlement moral. Cass. soc., 29-06-2005, n° 03-44.055

    - Le harcèlement moral est constitué du fait, pour un employeur, de critiquer de façon humiliante et régulière le travail d’un salarié en présence d’autres salariés. Cass. soc., 08-07-2009, n° 08-41.638

    - Le retrait sans motif du téléphone portable à usage professionnel, l’instauration d’une obligation de se présenter tous les matins au bureau du supérieur hiérarchique, l’attribution de tâches sans rapport avec les fonctions exercées a été considéré par la Cour de Cassation comme constitutif de harcèlement moral. Cass. soc., 27-10-2004, n° 04-41.008

    - Pour caractériser des faits de harcèlement, les juridictions du fond peuvent se fonder sur, des témoignages, et constater les conséquences sur la santé de la salariée du travail de "sape morale" et des réflexions humiliantes de sa supérieure. Cass. soc., 24-11-2009, n° 08-43.047

    - Le fait pour l’employeur de n’avoir plus fourni de travail au salarié depuis plus de deux ans, et de l’obliger à se présenter tous les jours dans les locaux d’une société tierce constituent des agissements répétés portant atteinte à la dignité du salarié. Cass. soc., 19-10-2010, n° 09-42.391

    - Présume l’existence d’un harcèlement moral, le fait que la salariée soutenait avoir été victime d’insultes quotidiennes du gérant de la société et de son épouse, s’être vue imposer des tâches sans aucun rapport avec son contrat de travail. Cass. soc., 06-04-2011, n° 10-30.284

    La violence

    - Dans les cas de violence, le salarié s’adresse plus volontiers à la justice pénale ; en effet, les violences, brimades, injures et autres vexations infligées à des personnes vulnérables constituent une atteinte à la dignité humaine et ne peuvent être assimilées à un mode paternaliste de gestion non pénalement punissable. Cass. crim., 23-04-2003, n° 02-82.971

    - La Cour d’appel qui a estimé que le comportement déplacé du chef de service qui s’emportait à l’encontre de son assistante et devenait violent ne relevait pas du harcèlement moral a été censuré au motif de la violation de l’article L1152-1 du code du travail. Cass. soc., 10-02-2009, n° 07-44.953

    - Le fait pour un dirigeant d’entreprise d’agresser verbalement et physiquement une salariée après son congé maternité a été considéré comme relevant du harcèlement moral. Cass. soc., 06-04-2011, n° 09-71.170

    Le fait pour un employeur de harceler, de proférer des menaces verbales et physiques ainsi que des insultes envers un salarié, de telle façon que le salarié et d’ailleurs ses collègues avaient peur de l’employeur, a conduit un salarié à prendre acte de la rupture aux torts exclusifs de l’employeur. La Cour d’Appel de Pau a validé cette prise d’acte de rupture le 19 juillet 2011 (N°10/03634) en indiquant que, à supposer que les remarques faites par l’employeur seraient justifiées, il ne peut être accepté qu’elles soient faites avec une telle virulence qu’elles provoquent la peur chez les salariés. Cette décision est un peu en marge du harcèlement moral dès lors qu’il s’agissait d’une prise d’acte de rupture et que le salarié demandait sa requalification en licenciement pour cause réelle et sérieuse et qu’elle ne vise pas uniquement et expressément le harcèlement moral.

    Les comportements racistes

    - Un salarié d’un palace de la Côte d’Azur était victime de remarques racistes continuelles de la part de son supérieur hiérarchique ; un tract raciste abject à souhait avait même été affiché dans les locaux de l’entreprise « ministre des transports- nouvelles propositions : Si vous écrasez un arabe +2 points…si vous écrasez une arabe enceinte + 3points… si vous écrasez un arabe et le tract de désigner nommément le salarié, + 1500 points  » Ce comportement a bien entendu été qualifié de harcèlement moral par la Cour de Cassation. Cass.soc. 21 juin 2011 N°10-11690

    Les comportements homophobes

    - Les comportements envers un salarié, moqué en raison de son homosexualité, questionné sur sa petite amie, auquel on fait des réflexions sur son prétendu sac à main, des remarques sur son physique, agressés verbalement avec en des termes lourds de sous-entendus concernant son homosexualité, ayant pour conséquences une dégradation de son état de santé mentale sont constitutifs d’un harcèlement moral. Cour d’Appel de Douai, 31 mars 2009, N°08/01639

    - Sont également constitutifs de harcèlement moral, les propos homophobes et les insultes répétées envers une salariée. Cour d’Appel de Grenoble, 20 sept. 2006 juris data 2006-313521

    - Il en est de même pour le manque de respect envers un salarié en raison de son orientation sexuelle. Le fait de la traiter de « pédé de base », de lui dire qu’il ne pouvait travailler correctement du fait de son homosexualité, d’annoter « évidemment non » dans la colonne « enfants » dans un document. Cour d’Appel de Bordeaux, 11 juin 2009, N°08/6832

    Certains cas de modification des horaires de travail ou de l’emploi du temps

    - Si la mise en place des horaires de travail relève du pouvoir de direction de l’employeur, dans certains cas, ces modifications peuvent relever du harcèlement moral. Constitue un harcèlement moral par l’employeur le fait d’imposer des horaires extensibles, variant d’un jour à l’autre à un salarié, le tout accompagné d’un comportement désobligeant voire insultant. Cass. soc., 22-03-2011, n° 09-69.231

    - La modification sans nécessité de l’emploi du temps d’un salarié sans qu’il soit établi que cette modification était nécessaire ou correspondait à un usage de l’établissement est constitutif de harcèlement moral. Cass. soc., 02-03-2011, n° 08-43.067

    Les procédures disciplinaires à répétition quand elles sont injustifiées

    - La succession de procédures de licenciement exercées à l’encontre de la salariée caractérisant un acharnement de l’employeur à l’égard d’une salariée protégée est constitutif de harcèlement moral. Cass. soc., 19-05-2009, n° 07-41.084

    - Le fait d’envoyer de nombreuses lettres de mise en demeure injustifiées évoquant de manière explicite une rupture du contrat de travail et reprochant ses absences au salarié, en arrêt de maladie prolongé relève également du harcèlement moral. Cass. soc., 07-07-2009, n° 08-40.034

    - Est victime de harcèlement moral la salariée qui n’a précédemment fait l’objet d’aucun reproche et qui est sanctionnée par quatre avertissements dont aucun n’est fondé et dont il résulte une dégradation de ses conditions de travail. Cass. soc., 22-03-2007, n° 04-48.308

    - Le fait d’adresser 3 lettres contenant des observations partiellement injustifiées, d’engager une procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle et de provoquer dans une période de 3 mois 3 contrôles médicaux est constitutif de harcèlement. Cass. soc., 13-04-2010, n° 09-40.837

    La suppression sans motif des responsabilités du salarié

    - Caractérise l’existence d’un harcèlement, la diminution importante des responsabilités et un déclassement de la salariée ainsi que la divulgation par l’employeur de données relevant du secret médical et de l’intimité de la vie privée de la salariée. Cass. soc., 15-03-2011, n° 09-72.541

    - Caractérisent un harcèlement moral les agissements répétés de la direction à l’égard d’un cadre responsable (oubli de son nom dans l’organigramme, diminution des responsabilités...) qui ont pour conséquence une dégradation de sa santé physique et mentale. Cass. soc., 23-11-2011, n° 10-18.571

    Le harcèlement managérial

    - Le responsable du département fruits et légumes ayant mis en œuvre une méthode habituelle de direction soumettant les salariés de son secteur à des pressions, des vexations et humiliations répétées, la cour a caractérisé un harcèlement moral. Cass. soc., 27-10-2010, n° 09-42.488

    - Peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de direction dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié par des agissements répétés ayant pour objet ou effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail. Cass. soc., 19-01-2011, n° 09-67.463

    B. L’indifférence de la durée des agissements répréhensibles sur la qualification de harcèlement moral

    Il convient tout d’abord de relever que le temps n’est pas un élément constitutif du harcèlement moral.

    En effet, dans une affaire où un salarié se considérait comme victime d’un harcèlement moral, à son retour d’une absence relativement longue pour maladie, l’employeur s’est mis à harceler le salarié. Ce dernier au bout de quelques semaines à peine a saisi la justice aux fins de résiliation du contrat de travail aux torts de l’employeur. Appel a été fait et la Cour d’Appel de Grenoble a estimé qu’en raison de la brièveté de la durée des agissements visés, le harcèlement moral en pouvait être retenu.

    Ce faisant, la juridiction d’Appel s’est fait censurer par la Cour de Cassation qui lui a, tout naturellement reproché de rajouter à la loi en rappelant que « les faits constitutifs de harcèlement moral peuvent se dérouler sur une brève période » ( Cour de Cassation, chambre sociale, 26 mai 2005, pourvoi N° 08-43.152).

    Il est évident qu’en posant ce principe, la Cour de Cassation a envoyé un signal fort en direction des juridictions du fond, auxquelles elle signifie clairement que les affaires de harcèlement moral sont à ne pas prendre à la légère sous prétexte que les comportements visés se seraient inscrits dans un intervalle de temps relativement bref.

    C. La personne du harceleur

    La loi est muette sur la personne du harceleur. Il en résulte que le harcèlement moral est répréhensible quelle que soit la personne qui en soit à l’origine. Des exemples relevés en jurisprudence, il appert que c’est le plus souvent le supérieur hiérarchique, mais cela peut aussi être directement l’employeur lui-même. Dans certains cas, il s’agit des collègues directs du salarié harcelé.

    La jurisprudence a admis que l’auteur des actes de harcèlement n’est pas nécessairement un salarié de l’entreprise.

    - Présume l’existence d’un harcèlement moral, le fait que la salariée soutenait avoir été victime d’insultes quotidiennes du gérant de la société et de son épouse, s’être vue imposer des tâches sans aucun rapport avec son contrat de travail. Cass. soc., 06-04-2011, n° 10-30.284

    - Un tiers peut être l’auteur du harcèlement moral dès lors qu’il est chargé par l’employeur, par le biais d’un contrat de franchise, de mettre en place de nouveaux outils de gestion et formation, et exerce donc une autorité de fait sur les salariés. Cass. soc., 01-03-2011, n° 09-69.616

    D. l’intention de nuire

    La Cour de Cassation a estimé le 10 novembre 20009 que le harcèlement moral est constitué dès lors que le salarié harcelé a été victime d’agissements répétés ayant eu pour effet la dégradation de ses conditions de travail et cela même si l’auteur des agissements visés n’avait aucune intention de nuire au travailleur harcelé. Cass. soc., 10-11-2009, n° 08-41.497

    Cette tentative de définir les contours du harcèlement moral tel qu’il est définit par la jurisprudence actuelle est nécessairement amené à évoluer, dès lors que les affaires se multiplient.

    La tendance actuelle de la jurisprudence est au durcissement et sauf revirement toujours possible, il est fort probable que la position de la Cour de Cassation s’oriente vers la notion « zéro tolérance » en matière de harcèlement moral

    Cathy NEUBAUER
    Avocat


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