Les restaurateurs ne seront pas obligés d'indiquer qu'un plat qu'ils ont cuisiné eux-mêmes à partir de produits bruts est "fait maison". Dans la nuit de mercredi à jeudi, les sénateurs ont supprimé le caractère obligatoire de cette appellation, que les députés avaient votée, le 27 juin, dans le cadre du projet de loi sur la consommation. En votant des amendements communistes, UMP et centristes par 189 voix contre 157, ils ont rendu un caractère facultatif à ce label.
- Pourquoi ce label ?
Quinze grands chefs, dont Alain Ducasse et Joël Robuchon, ont lancé l'idée en avril. Ils souhaitaient créer une appellation qui permette de distinguer les restaurants de qualité car "aujourd'hui, expliquaient-ils, le commun des mortels ne sait pas sur quoi il va tomber quand il pousse la porte d'un restaurant". L'objectif était donc de distinguer clairement les restaurants dans lesquels les plats sont cuisinés et ceux qui servent des plats issus de produits industriels. "Sur les 150 000 restaurants français, les trois quarts ne font que de l'industriel. Les autres se battent pour cuisiner des produits frais. C'est à eux que nous nous adressons", expliquaient-ils.
Selon un sondage du syndicat d'hôteliers et de restaurateurs Synhorcat, qui regroupe des professionnels indépendants, 31 % des établissements déclarent utiliser des produits industriels. Un pourcentage qui, précise l'organisation, grimpe en flèche dès que l'on a affaire à des chaînes, des restaurants franchisés et des enseignes de restauration rapide.
Dans cette lignée, la ministre du commerce et du tourisme, Sylvia Pinel, propose, dans le projet de loi sur la consommation, le label "Fait maison". Son objectif est de "mieux informer les consommateurs et promouvoir la qualité dans la restauration". Les restaurateurs devront alors préciser sur leur carte ou tout autre support qu'un plat proposé est fait maison. Une utilisation frauduleuse de cette mention pourra s'assimiler à une pratique commerciale trompeuse et être passible de sanctions pénales.
Se mêlent alors des arguments sur la qualité des produits proposés par les restaurateurs, la défense de la gastronomie française et la traçabilité que l'absence de réglementation ne permet pas d'assurer. "Il faut en finir avec l'assiette mystère !", plaide Thomas Thévenoud. "Il s'agit de défendre les restaurateurs qui ne sont pas des réchauffeurs ni des assembleurs." Pour lui, "la transparence dans les assiettes" est aussi un enjeu important en termes d'emplois, car "la masse salariale est directement corrélée au taux de 'fait-maison'", le fait-maison nécessitant davantage de main d'œuvre en cuisine.
- Pourquoi le rendre obligatoire ?
Le gouvernement prévoyait que cette disposition soit facultative. Mme Pinel avait l'intention de déposer un amendement gouvernemental pour permettre d'identifier sans obligation une appellation "fait maison". Mais sous la pression de certains députés UMP et PS, la ministre du commerce et du tourisme a accepté de le rendre obligatoire.
Pour justifier ce choix, le président de la commission des affaires économiques, François Brottes (PS), explique que si le label n'est pas rendu obligatoire, "chacun [ferait] comme il veut". Pour Thomas Thévenoud, sans obligation, "personne ne va le faire : ceux qui décideront d'étiqueter le label seront davantage exposés aux contrôles, d'où un effet dissuasif".
- Quelles critiques contre ce label ?
Outre le surcoût que l'augmentation de la masse salariale en cuisine impliquerait, la notion même du "fait-maison" est décriée par certains. Elle ne permettrait pas de définir clairement ce qui est réellement fait maison, certains plats pouvant combiner des ingrédients bruts transformés en cuisine, des ingrédients bruts congelés et des ingrédients transformés congelés. "Vous serez incapables d'apposer votre label car tous les restaurants font à la fois du fait-maison et des produits transformés, a ainsi argumenté Philippe Adnot (non inscrit), sénateur de l'Aube. Les andouillettes de Troyes, elles sont faites chez moi. Le travail de ces ouvriers vaut largement ce que ferait maison un restaurateur quelconque."
"On ne pourra jamais contrôler l'utilisation correcte du label dans les 200 000 restaurants de France", ajoute Mireille Schurch, sénatrice communiste de l'Allier. Le député (UMP) du Pas-de-Calais Daniel Fasquelle explique que ce texte va dans la bonne direction, mais qu'il n'a jamais cru en ce label car "jamais nous n'aurions pu obliger les restaurateurs à l'utiliser et nous n'aurions pas pu les contrôler". Pour lui, "la ministre a manqué de courage". A ce label, il préfère une appellation "restaurant" réservée aux seuls lieux où le repas est cuisiné sur place avec des produits bruts. Il rejoint ainsi le Synhorcat, qui milite pour cette appellation et estime que les mesures annoncées par la ministre n'étaient qu'"un premier pas qui nous laisse un peu sur notre faim", et qui a dénoncé le risque d'une "mesurette".
Pour Thomas Thévenoud, le vote des sénateurs pose la question des relations entre les parlementaires et les lobbies. Selon lui, certains restaurateurs, mais surtout des groupes de distribution et des syndicats de restauration, avaient tout intérêt à ce que cette obligation ne passe pas à l'Assemblée nationale.