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Le Nobel de Mo Yan, et si on lisait ses livres ?
Après la polémique sur le Nobel de Mo Yan, et si on lisait ses livres ?
L’attribution du prix Nobel de littérature 2012 à l’écrivain chinois Mo Yan a entraîné un intense débat médiatique, tant en Chine qu’à l’étranger. Retour sur une polémique qui ne s’éteint pas.
Certains ont vigoureusement regretté qu’un membre du Parti communiste, vice-président de l’Union des écrivains, soit récompensé ; d’autres que Mo Yan ne soit pas un critique radical du PC chinois ou un soutien sans réserves des dissidents.
Certains articles montrent même que les méthodes maoïstes de débat politique et d’insulte sont toujours d’actualité, parfois même chez les dissidents qui prétendent les combattre. Yu Du, webmaster du Pen Club chinois, persécuté par la police, le compare même à une prostituée qui affirme que ses services sont sains !
Plusieurs positions ou déclarations récentes de Mo Yan, fort regrettables, ne doivent pas conduire à le condamner sans le lire ; après tout il est écrivain et l’on parle du prix Nobel de littérature et non du prix Nobel de la paix.
Capture d’écran de Mo Yan durant sa conférence du prix Nobel, en décembre 2012 à Oslo
1Les fondamentaux
Mo Yan à Paris en 2009 (Bertrand Mialaret)
Lors d’un séjour en France, en juin 2009, il avait souligné, pour Rue89, que la politique est bien évidemment présente dans les thèmes de ses romans, mais que la littérature ne doit pas avoir de responsabilité politique comme au temps de Mao Zedong, tout en regrettant que dans la Chine actuelle, l’important ce n’est pas la politique mais l’argent.
Dans une interview à Pierre Haski (alors pour le quotidien Libération) de décembre 2001, il rappelait qu’il avait adhéré au Parti en 1979, qu’il en était toujours membre mais qu’il avait « perdu confiance dans le communisme » depuis…1989 (date de la répression de la place Tian’anmen).
Il soulignait aussi :
« En Chine, un bon écrivain, n’entre pas en conflit direct avec le gouvernement. La critique de la société doit se cacher derrière l’histoire, derrière la langue. Bien sûr, les écrivains peuvent aussi écrire “ J’accuse ” comme Zola, mais ce n’est pas de la littérature, c’est une attitude politique d’un écrivain. »
A Aix-en-Provence, il avait déclaré en juin 2009 :
« Un écrivain est quelqu’un qui doit écrire quelque chose qu’un journaliste est incapable d’écrire. »
Un écrivain ne doit pas copier la réalité mais la dépasser et un roman doit posséder son propre langage.
Enfin, Mo Yan nous rappelle sans cesse que la paysannerie et sa ville natale de Gaomi, sont les thèmes centraux de son œuvre.
Comme il l’a dit au Nouvel Observateur lors de ce même séjour,
« C’est toute la paysannerie qui a été maltraitée par les communistes. Sous Mao, ce sont les campagnes qui ont payé [...] la première industrialisation du pays. Et de nos jours, ce sont les enfants des paysans, ces 120 millions de migrants (“ mingong ”) qui [...] ont de fait financé et bâti le boom économique. »
2Les techniques et les masques
La médiation de l’histoire sert à rendre acceptable l’évocation de thèmes sensibles. On a beaucoup reproché en Chine à Mo Yan dans « Beaux seins, belles fesses » de mettre sur le même plan les membres et les soldats du Parti communiste et du Kuomintang ; pour les villageois, les exactions étaient bien aussi tragiques !
Dans « La Dure loi du Karma », les assassinats de propriétaires terriens lors de la réforme agraire, sont nettement dénoncés et le personnage central du roman est un propriétaire qui, assassiné malgré ses mérites, est autorisé par les dieux de l’enfer, à se réincarner.
De même, le Grand Bond en avant est moqué : les seuls hauts fourneaux qui produisent un fer acceptable, sont ceux que dirigent les « droitiers » d’un camp voisin de rééducation ! L’unique paysan qui a encore des réserves de nourriture est le seul qui a refusé de rejoindre la commune populaire : ses réserves seront pillées et son âne dévoré.
La nouvelle « Le Veau » qui vient d’être publiée est aussi une critique acerbe des communes populaires !
On peut multiplier les exemples, Mo Yan n’a clairement pas une lecture politiquement correcte de l’histoire de son pays !
L’importance des animaux dans ses livres lui permet d’avancer masqué ; c’est le cas pour « Grenouilles » mais aussi pour « La Dure loi du Karma » : des pages d’anthologie, le cochon à la poursuite de la Lune où est assis le président Mao ; « vous comprenez, comme dit Mo Yan, à l’époque Mao apparaissait comme une divinité ».
De même les slogans maoïstes sont détournés : « Chaque porc est un obus lancé contre les impérialistes, les révisionnistes, les contre-révolutionnaires. »
L’utilisation des symboles est très présente : la mère dans « Le Clan du Sorgho » est la mère nourricière, la terre de la Chine. Une mère qui dans « Beaux seins, belles fesses », n’engendre que des filles sauf enfin un fils, produit dérisoire de ses amours avec le seul homme qui lui ait fait un garçon, un pasteur étranger !
Mais l’histoire n’exclut pas de coller à l’actualité : « Quarante et un coups de canon » avec l’injection d’eau et de produits chimiques dans la viande est contemporain d’une enquête officielle sur ce sujet et du scandale du lait à la mélamine !
De même pour le contrôle des naissances dans « Grenouilles », c’est certes un thème d’actualité en Chine mais Mo Yan dénonce cette politique depuis des années notamment dans « La Joie » et « Explosion ».
3Les limites de la critique
Franchir la ligne jaune peut encore avoir en Chine des conséquences très sérieuses. Il est hors de question de critiquer le rôle dirigeant du PC ou les hauts dignitaires.
Mo Yan ne parle généralement pas du Parti communiste en tant qu’organisation sauf dans « Grenouilles » ; cela ne l’empêche pas de développer des critiques acerbes sur les cadres du Parti et la corruption généralisée, qu’il s’agisse de « La Mélopée de l’ail paradisiaque » ou « La Dure loi du Karma ».
Dans « Le Pays de l’alcool », son traducteur, Noël Dutrait, souligne que le cannibalisme représente la corruption qui, impunément, a envahi la vie sociale.
Mais dès que l’on entre dans la période contemporaine, Mo Yan se montre plus prudent. La corruption doit être sanctionnée ; dans « La Dure loi du Karma », Pang Kangmei est condamnée à la peine de mort.
De même dans le petit texte autobiographique, traduit en anglais « Change », qui doit sortir prochainement en France, il parle de ses études à partir d’août 1988 à l’Université normale de Pékin, mais rien sur le mouvement étudiant de 1989. La place Tian’anmen est toujours taboue !
4L’indépendance de l’écrivain et la censure
« Beaux seins et belles fesses » est publié en 1995 avec quelques coupures. Un prix littéraire au Yunnan déclenche des critiques car on a vu dans le livre une réécriture de l’histoire de la guerre civile. Le livre a été retiré de la vente puis publié à nouveau en 2003 avec les pages coupées en 1995. Une censure imprévisible et ridicule.
Son attitude vis-à-vis de la censure au cours de différentes interviews est très nette, il souligne qu’il n’est le porte-parole de personne et réclame son indépendance comme celle de ses héros.
C’est pourquoi ses positions sur la censure lors de conférences de presse à Stockholm en décembre 2012 ont surpris et choqué : non la censure n’est pas aussi banale et nécessaire que les contrôles préalables à un embarquement dans un avion !
Qu’il ait été soumis à une très forte pression médiatique et politique, c’est certain, qu’il se soit irrité que l’on parle de tout sauf de ses livres cela aussi se conçoit.
Bien sûr il peut indiquer que la censure n’existe pas qu’en Chine, c’est un fait.
La discrétion dans « Grenouilles » sur les scènes d’avortement pourrait s’expliquer par la peur des éditeurs américains, soumis aux pressions des Evangélistes, pour ce genre de sujets. Mo Yan serait en droit d’évoquer la censure du marché : la manière dont ses livres ont été fortement coupés aux Etats-Unis par son traducteur à la demande de ses éditeurs, c’est aussi une forme de censure ; mais ceci ne justifie pas cela.
MERCI RIVERAINS ! TilôInfos pratiquesLes romans de Mo YanLes romans de Mo Yan qui sont cités ci-dessus sont publiés aux Editions du Seuil, sauf « La Joie » chez Philippe Picquier, et « Explosion » aux Editions Caractères.
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