François Hollande n’est jamais aussi bon que lorsqu’il arrête de lire les notes laborieuses préparées par ses collaborateurs et qu’il refait de la politique. On a pu le constater une nouvelle fois hier, devant le Parlement européen à Strasbourg, où il s’exprimait en compagnie de la chancelière allemande, Angela Merkel. Hollande n’a pas laissé passer l’occasion de cogner une Marine Le Pen, éructante et déchaînée, qui venait de copieusement insulter et le président français et la Chancelière allemande.

C’était le moment Hollande. Il faut dire que la présidente du groupe «Europe des nations et des libertés» n’a pas fait dans la subtilité, confondant manifestement le Parlement de Strasbourg réuni en session solennelle pour recevoir les deux chefs de gouvernements les plus importants de l’Union, avec un meeting électoral.

«Aveuglément»

S’adressant à la chancelière, accusée d’avoir commis «un geste irresponsable en décidant d’accueillir 800 000 migrants», Le Pen lui lance : «Merci, madame Merkel, de venir avec votre vice-chancelier administrateur de la province France.» Puis s’adressant au chef de l’Etat : «Monsieur le vice-chancelier, j’aurais aimé vous appeler monsieur le président de la République, mais, pas plus que votre prédécesseur, vous n’exercez cette présidence.» Elle lui reproche «de ne pas défendre la souveraineté française», mais «de se soumettre aveuglément à une politique décidée à Berlin, Bruxelles ou Washington». Et de dénoncer une «tentative absurde d’une domination allemande de l’Europe» : «Je suis la représentante du peuple français», je suis «l’anti-Merkel», lance-t-elle aux deux dirigeants.

Merkel et Hollande hésitent entre l’accablement et le fou rire. Dans sa réponse aux chefs de groupes politiques, Merkel l’ignore ostensiblement. C’est Hollande qui s’y colle. «Si nous ne voulons pas du renforcement de l’Europe, il n’y a qu’une voie», comme le réclame Nigel Farage, le leader de l’Ukip britannique, «c’est de sortir de l’Europe » : «La seule voie possible pour celles et ceux qui ne sont pas convaincus de l’Europe, c’est de sortir de l’Europe, tout simplement. Il n’y a pas d’autre voie. Celle-là est terrible, mais elle est celle de la logique : sortir de l’Europe, sortir de l’euro, sortir de Schengen, et même, si vous pouvez, sortir de la démocratie parce que parfois, en vous entendant, je me pose cette question», a plaidé avec fougue le Président sous les applaudissements de l’hémicycle et d’une chancelière tout sourire. François Hollande a réfuté tout «abandon de la souveraineté», qui n’a «rien à voir avec le souverainisme», a-t-il affirmé. «La souveraineté européenne, c’est d’être capable de décider pour nous-mêmes et d’éviter que ce soit le retour aux nationalismes, aux populismes, aux extrémismes», a-t-il conclu sous les acclamations des eurodéputés ravis et sous l’œil furibard de Le Pen.

La chancelière allemande Angela Merkel, le 7 octobre 2015.

François Hollande et Angela Merkel, mercredi.  (Photo AFP)

Calculs

Un incident franco-français, très inhabituel dans une enceinte où les forces politiques, aussi opposées soient-elles sur le plan intérieur, évitent de s’affronter en public sur des questions nationales. Merkel et Hollande se seraient bien passés de cet épisode : en venant s’exprimer ensemble à Strasbourg, ils ont voulu marquer l’importance du moment que vit l’Europe, la crise humanitaire la plus grave depuis 1945 qui met en jeu ses valeurs fondamentales. La chancelière a rappelé que le seul précédent d’une telle prise de parole commune date du lendemain de la chute du mur de Berlin. François Mitterrand et Helmut Kohl, «avaient conscience du bouleversement qui s’annonçait et ils ont pris l’engagement d’agir ensemble».

Avec succès, a-t-elle souligné : la transition démocratique s’est effectuée sans heurts et toutes les anciennes Républiques populaires (plus trois anciennes républiques soviétiques) sont aujourd’hui membres de l’UE et ont atteint des standards de vie sans commune mesure avec ceux de la fin des années 80. «L’unification du continent» a été un succès majeur de la construction européenne : «Nous avons montré ce dont nous sommes capables.» Pour les deux responsables, l’Union est confrontée, avec l’arrivée des réfugiés, à un défi du même ordre : «Ce que nous vivons est durable» et «cela va modifier l’Europe comme cela a été le cas il y a vingt-cinq ans», a prévenu la chancelière. Le couple franco-allemand a donc pris l’engagement solennel d’agir ensemble, nul mur, nul repli sur le réduit national n’offrant une solution durable, selon François Hollande. Des discours solennels, d’une rare franchise, qui n’ont manifestement pas convaincu les europhobes, comme en a fait la démonstration Marine Le Pen.

Par Jean Quatremer correspondant à Bruxelles