• Le stratagème du gouvernement pour fermer la centrale de Fessenheim

    Le stratagème du gouvernement pour fermer

    la centrale de Fessenheim

    LE MONDE | <time datetime="2014-01-16T18:23:18+01:00" itemprop="datePublished">16.01.2014 à 18h23</time> • Mis à jour le <time datetime="2014-01-16T19:55:41+01:00" itemprop="dateModified">16.01.2014 à 19h55</time> | Par

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    La centrale nucléaire de Fessenheim, en mars 2011.

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    Et si l'engagement de François Hollande de fermer la centrale nucléaire de Fessenheim fin 2016 était finalement tenu ? Si, sur ce dossier emblématique qui semblait jusqu'à présent lui échapper, la majorité faisait preuve de volontarisme politique, quitte à échafauder un montage législatif de circonstance ?

    Le gouvernement semble en tout cas résolu à reprendre la main, si l'on en juge par un communiqué du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, Philippe Martin, publié mercredi 15 janvier, quelques heures après la nomination d'un nouveau « délégué interministériel à la fermeture de la centrale nucléaire et à la reconversion du site de Fessenheim », Jean-Michel Malerba.

    PROCÉDURES « REMANIÉES »

    Un paragraphe, à la rédaction sibylline, retient l'attention : « Dans le cadre des réflexions en vue du projet de loi de programmation sur la transition énergétique, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a saisi le ministre Philippe Martin de modifications de procédure de mise à l'arrêt définitif et de démantèlement, afin de garantir l'engagement de démantèlement "au plus tôt" de façon générique. Ces modifications seront prises en compte. Ainsi remaniées, ces procédures permettront de respecter le calendrier prévu pour l'arrêt définitif de la centrale de Fessenheim à la fin de 2016 et l'engagement de son démantèlement en 2018-2019. »

    Rien de nouveau dans l'échéance de « la fin de 2016 » pour la mise à la retraite de la doyenne des centrales françaises : c'est celle qu'a toujours fixée François Hollande. La nouveauté vient de quatre éléments, qui donnent les clés du dispositif envisagé par le gouvernement. La référence à la loi sur la transition énergétique comme cadre d'action. L'annonce, inédite, d'une réforme des procédures de fermeture et de démantèlement. La mention explicite du caractère « définitif » de l'arrêt de la centrale alsacienne. Enfin, l'indication, pour la première fois, d'une date pour le début des opérations de démantèlement.

    DEUX OBSTACLES

    Pour bien comprendre, il faut avoir à l'esprit que dans l'état actuel du droit, l'arrêt définitif de la centrale alsacienne fin 2016 est mission impossible. Pour deux raisons. Le premier obstacle est réglementaire. Aujourd'hui, ni le gouvernement ni le parlement ne peuvent imposer la fermeture d'un réacteur, la décision ne pouvant être prise que par l'ASN, en cas de risques, ou par EDF, pour des raisons de stratégie industrielle. Or, l'ASN a jugé que les deux réacteurs de Fessenheim étaient aptes à fonctionner dix ans de plus, sous réserve de travaux de renforcement. Et EDF n'a aucun intérêt économique à renoncer à cet outil de production sur lequel il a engagé de coûteux travaux de modernisation.

    Le deuxième obstacle est celui du calendrier. La procédure actuelle de mise à l'arrêt définitif et de démantèlement d'une installation nucléaire exige la constitution d'un dossier détaillé, puis son instruction, avec enquête publique. « Entre le moment où l'opérateur commence à préparer son dossier et le décret d'autorisation, il faut compter cinq ans: deux ans pour l'élaboration des documents et trois ans pour leur analyse », rappelle Jean-Christophe Niel, directeur général de l'ASN.

    Tant que ce processus n'est pas arrivé à son terme, un réacteur, même en sommeil, n'est pas considéré comme à l'arrêt définitif et peut donc être réactivé à tout moment. Dans le cas de Fessenheim, à supposer même qu'EDF se mette sans tarder à la rédaction de son dossier, le décret de mise à l'arrêt définitif et de démantèlement ne pourrait donc pas être pris avant 2019. Laissant la possibilité, à la majorité qui sortira des urnes en 2017, de relancer les deux tranches atomiques.

    STRATÉGIE ÉNERGÉTIQUE

    Ce sont ces verrous que la loi de programmation sur la transition énergétique, attendue fin 2014, devrait faire « sauter ».  Elle devrait, d'abord, autoriser la fermeture d'un réacteur pour des motifs non plus seulement industriels ou de sûreté, mais aussi de politique énergétique. C'est ce qu'a laissé entendre M. Hollande dans son discours d'ouverture de la deuxième conférence environnementale, le 20 septembre 2013 : « Je souhaite désormais, a-t-il dit, que l'Etat puisse être le garant de la mise en œuvre de la stratégie énergétique de notre pays. Il ne s'agit pas de se substituer à l'opérateur, mais de maîtriser la diversification de notre production d'électricité selon les objectifs que la nation, souverainement, aura choisis. »

    La loi ne désignera probablement pas de centrale à fermer. Mais le texte, a précisé le chef de l'Etat, « posera le principe d'un plafonnement à son niveau actuel de notre capacité de production nucléaire ». Ce qui laisse supposer que l'abandon des deux réacteurs alsaciens, d'une puissance de 900 mégawatts (MW) chacun, sera la contrepartie de la mise en service de l'EPR de troisième génération de Flamanville (Manche), d'une puissance de 1 630 MW.

    DISSOCIER ARRÊT ET DÉMANTÈLEMENT

    La même loi de programmation, indique-t-on aujourd'hui au ministère de l'écologie, devrait aussi « séparer », dans la procédure administrative, la phase de mise à l'arrêt définitif et la phase de démantèlement proprement dit. En d'autres termes, « la mise à l'arrêt définitif pourra être décidée alors même que l'instruction du dossier de démantèlement ne sera pas achevée ». Le caractère « irréversible » de cet arrêt devrait être assuré par des « dispositions » qui restent à définir, mais qui seraient suffisamment contraignantes – comme l'exigence d'une nouvelle autorisation de création d'installation nucléaire – pour dissuader toute volonté de redémarrage.

    C'est grâce à ce double levier – fermeture d'un site nucléaire sur des critères de mix énergétique, dissociation de l'arrêt définitif et du démantèlement – que le ministre de l'écologie affirme que « remaniées, ces procédures permettront de respecter le calendrier prévu pour l'arrêt définitif de la centrale de Fessenheim à la fin 2016 ».

    « AU PLUS TÔT »

    Quant à « l'engagement de son démantèlement en 2018-2019 », il procède, comme l'indique le communiqué ministériel, d'une préoccupation de l'ASN. « Nous souhaitons qu'une fois qu'il sera acté qu'une installation nucléaire n'a plus vocation à fonctionner, son démantèlement soit engagé rapidement, explique Jean-Christophe Niel. D'une part parce qu'un réacteur, même à l'arrêt, présente des risques et que la sûreté doit rester assurée. D'autre part pour bénéficier des compétences des personnels et de leur connaissance des installations. »

    D'où le concept de « démantèlement au plus tôt » mis en avant par l'Autorité de sûreté, qui souhaite sa prise en compte dans la loi sur la transition énergétique « de façon générique », au-delà du seul cas de Fessenheim. La motivation du gendarme du nucléaire est claire : dans l'hypothèse où, pour satisfaire à l'objectif présidentiel de réduction de 75% à 50% de la part de l'atome dans la production d'électricité, d'autres réacteurs seraient fermés dans le futur, il juge dangereuse la situation actuelle qui, souligne M. Niel, « ne fixe pas de délai entre l'arrêt définitif et le démantèlement ». L'exploitant se verrait ainsi contraint d'entamer sans attendre le chantier de « déconstruction », sans possibilité de le différer en raison de son coût ou de sa durée, étalée sur vingt ou trente ans.

    TAILLÉ SUR MESURE

    Même si cette préconisation est formulée « de façon générique », et que les procédures « remaniées » auraient une portée générale, il est difficile de ne pas y voir un dispositif réglementaire taillé sur mesure pour Fessenheim. Interrogé sur ce point, EDF s'abstient de tout commentaire. De son côté, la députée européenne Corinne Lepage, avocate spécialisée en droit de l'environnement, estime que rien ne s'oppose, en droit, à une dissociation de la mise à l'arrêt définitif et du démantèlement. Ni, pour rendre l'arrêt irréversible, à l'instauration d'une possibilité d'abroger l'autorisation de fonctionnement d'un réacteur, sans attendre le décret de démantèlement.

    Pour autant, « l'échéance de fin 2016 sera très difficile à tenir », estime Mme Lepage. « Même si la loi donne à l'Etat la possibilité d'arrêter un réacteur,  se posera la question des critères selon lesquels sera fermé un réacteur plutôt qu'un autre », explique-t-elle. Dès lors que la sûreté ne pourra être invoquée, il sera « très compliqué de définir ces critères ». Il y faudra peut-être un décret, poursuit-elle, des recours en Conseil d'Etat sont probables, ce qui repoussera le calendrier.

    DEUX MILLE EMPLOIS

    D'autant qu'une autre question reste pendante : celle de l'indemnisation qu'EDF pourrait réclamer à l'Etat, ainsi que des compensations financières que pourraient eux aussi exiger les quatre partenaires étrangers – une société allemande et trois suisses – qui disposent d'un droit de tirage, à hauteur de 32,5 %, sur la production d'électricité de Fessenheim.

    Reste aussi la dimension sociale du dossier. Si quelque deux cents manifestants anti-Fessenheim se sont rassemblés, dimanche 12 janvier, devant la centrale alsacienne, les syndicats de l'énergie – notamment la CGT – demeurent déterminés à s'opposer à sa « liquidation ». Le site nucléaire emploie environ 700 salariés d'EDF, auxquels s'ajoutent 200 prestataires permanents, mais son activité représente plus de 2 000 emplois directs et indirects.

    Le ministère de l'écologie indique qu'une « étude d'impact » sur les conséquences de la fermeture de Fessenheim, menée par l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) est « en cours de finalisation ».

    Pierre Le Hir
    Journaliste au Monde


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