• Les Tunisiennes n'ont pas fini leur révolution

    Dernière modification : 08/03/2012 

    Les Tunisiennes n'ont pas fini leur révolution

    Les Tunisiennes n'ont pas fini leur révolution

    Les Tunisiennes ont été en première ligne des manifestations contre Ben Ali. Mais depuis la victoire des islamistes d'Ennahda à la Constituante, elles redoutent de perdre leurs acquis. À l'occasion de la Journée de la femme, elles s'indignent.

    Par Sarah LEDUC (texte)
     

    Sur son jean et ses baskets habituels, Amel Ben Attia a prévu d’enfiler une tunique traditionnelle tunisienne lors de la manifestation organisée à Tunis à l’appel de plusieurs associations pour la Journée de la femme, le 8 mars. Un acte d’indignation et de provocation de la part de cette artiste et activiste indépendante de 31 ans qui veut "montrer à tous ceux qui ont volé la révolution et qui veulent imposer des coutumes qui ne sont pas les notres que le niqab, ce n’est pas la femme tunisienne !"

    Depuis la victoire du parti islamiste Ennahda à l'élection de l’Assemblée constituante, le 23 octobre dernier, Amel, qui était dans les rues de Tunis en janvier 2011 pour faire tomber la dictature du président Ben Ali, redoute ce qu’elle appelle la "dictature bis de l’islamisme" : "En Tunisie, le soulèvement populaire est parti d’une bonne volonté et il a ensuite été récupéré par des forces étrangères comme les Émirats et les barbus", estime la jeune femme, désolée.

     
    Dénonçant l’influence croissante des salafistes, le retour des valeurs traditionalistes ou la volonté de faire de la charia la seule référence constitutionnelle, les Tunisiennes comme Amel gardent un goût amer de la dite "révolution de jasmin" qui a troqué rêves et espoirs contre défiance et désillusion.
     
    Révolutionnaires de la première heure
     
    Les femmes ont pourtant été les premières à se mobiliser, en décembre 2010, lors du soulèvement populaire qui a conduit à la chute de Ben Ali, le 14 janvier 2011, après 23 ans de pouvoir. "Nous n’avions pas de sexe au moment de la révolution. Nous étions tous dans la même galère : hommes et femmes, nous voulions faire tomber la dictature, hommes et femmes, nous étions menacés par la police, nous nous prenions des balles", se souvient Amel Ben Attia.
     
    Pour de nombreuses Tunisiennes, la démocratie ne pouvait naître que de l’égalité entre les sexes. Sitôt Ben Ali parti, les mouvements féministes ont exigé que laïcité et égalité des sexes soient explicitement énoncées dans la nouvelle Constitution du pays. Des revendications qui n’avaient rien de nouveau pour la Tunisie, qui a toujours fait figure d’exception au Maghreb en matière de droit des femmes. En 1956, le Code du statut personnel (CSP) proclamait ainsi "le principe de l’égalité de l’homme et de la femme" sur le plan de la citoyenneté, interdisant la polygamie et la répudiation et autorisant le divorce et l’avortement... 19 ans avant la loi Veil en France.
     
    Fortes de ces acquis, les Tunisiennes ont obtenu une première victoire : le 11 avril 2011, un article de loi sur la parité des listes électorales est adopté. Toutes les listes doivent désormais être paritaires, une première dans le monde arabe. Celles qui ne respecteraient pas strictement l’alternance de candidats hommes et femmes seraient invalidées, une première mondiale cette fois.
     
    Un statut menacé
     
    Mais la victoire écrasante du parti islamiste Ennahda avec 41,47 % des suffrages lors de l'élection de l’Assemblée constituante, en octobre dernier, est vécue comme un coup de massue.  De nombreuses Tunisiennes redoutent de voir le terrain gagné pendant la révolte volé par la montée d'un leadership religieux. "Aujourd’hui, il y a deux projets politiques et sociétaux qui s’affrontent en Tunisie : l’un rétrograde et liberticide, l’autre moderne et progressiste. Le problème c’est que le premier camp est en train de l’emporter", analyse Meriem Zeghidi, membre du comité directeur de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD).
     
    Pointé du doigt par les organisations de défense des droits de l’Homme, Ennahda cherche à dissiper leurs craintes en promettant de garantir les droits et les libertés des femmes. En signe de bonne volonté, Souad Abderrahim, pharmacienne non voilée, a été propulsée tête de liste du parti dans la circonscription de Tunis-2. Mais très rapidement, celle qui était présentée comme un symbole de modération d'Ennahda s'est révélée être une redoutable moralisatrice. Au lendemain de l'élection de la Constituante, Souad Abderrahim lance un plaidoyer en faveur des "bonnes mœurs " et traite le statut de mère célibataire "d’infamie".
     
    Autant de déclarations qui tétanisent les libéraux. "Aujourd’hui, la question de la femme est au cœur des débats politiques et de la société tunisienne. On en revient à se poser des questions qui n’ont plus lieu d’être. Les droits de la femme n’ont pas encore été touchés, mais entre les références à la charia, les déclarations de Rached Ghannouchi  [le leader d'Ennhada, NDLR] sur la polygamie et les références récentes au mariage coutumier et à l’excision, nous ne sommes pas rassurés…", explique Meriem Zeghidi.
     
    Amel Ben Attia raconte avoir subi plusieurs vexations et intimidations - insultes, menaces, crachats - pour avoir fumé dans sa voiture ces derniers mois à Tunis. "On reparlera de démocratie, d’égalité, d’émancipation plus tard… On vit un retour en arrière. Alors pour l’instant, il faut sauver les meubles et ne pas perdre nos acquis", conclut-elle. Un cri d’alarme.
     
     

     


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