Après deux projets de terrain au Québec (2003-2005 et 2008-2010), Peuple Loup se prépare pour une nouvelle période d’observations. Ce projet ne se déroulera pas au Canada mais en France, dans le Vercors. Malheureusement (et nous l’avons vécu lors du dernier projet), il ne nous est pas possible de rester au Canada suffisamment longtemps pour réaliser nos observations convenablement. Le choix du Vercors n’est cependant pas un choix par dépit : Observer les loups en France, dans une région magnifique, est tout aussi intéressant et permettra peut être d’apporter une vision différente que celle montrée par les médias traditionnels (souvent friands d’images chocs et de propos houleux). Nous allons vous détailler dans cet article comment tout cela va se dérouler.
Le concept
Ce projet a une durée minimale de 3 ans, nécessaires à une bonne intégration et une bonne connaissance du territoire de la meute. Le principe fondateur est de réaliser une présence permanente sur le territoire de la meute de la zone choisie (cette meute est appelée « meute du Vercors-Ouest ») et de réaliser un suivi des activités lupines. Cette présence permanente durant une longue période doit permettre aux loups d’identifier l’intervenant et de l’introduire dans son schéma de fonctionnement. Cette méthode, qui peut s’apparenter à une habituation positive, devrait favoriser les rencontres visuelles et les interactions entre les loups et l’intervenant.
Ce projet fait suite à deux précédentes expériences qui sont déroulées dans la région de la Baie-James, au Canada et dont les données sont visibles sur ce site internet. Le changement radical de la zone d’étude sera intéressant pour comparer les données recueillies dans des régions où l’environnement est différent (climat, taille du territoire, proies, présence humaine). Les différences observées permettront de mettre en avant l’importance de l’environnement dans le fonctionnement d’une meute et la faculté d’adaptation des loups.
Description de la zone d’étude
Le massif du Vercors est un massif des Préalpes situé dans le Sud-Est de la France, à cheval sur les départements de l’Isère et de la Drôme (région Rhône-Alpes), à une centaine de kilomètres au sud de Lyon. Sa superficie est d’environ 135 000 hectares, avec soixante kilomètres de longueur du nord au sud et quarante de largeur d’ouest en est, ce qui en fait le plus grand massif des Préalpes du Nord.
Il est entouré par le massif de la Chartreuse au nord-est, le massif du Taillefer face à la Matheysine à l’est et le massif du Diois au sud. C’est avec ce dernier qu’est établi le seul prolongement géographique, à l’extrémité sud-est du Vercors, au niveau du col de Menée à 1 457 mètres d’altitude. Il est arrosé du nord-est au nord-ouest par l’Isère, à l’est par le Drac (Trièves) et au sud par la Drôme (Diois). À l’ouest, il domine la vallée du Rhône.
La majeure partie de la zone d’étude se déroule dans le Vercors Dromois. La partie nord se prolonge un peu dans le Royans et la limite Ouest, moins définie car plus urbanisée et sans frontière naturelle, se prolonge sur le Gervanne.
La zone présente une importante zone forestière avec les forêts domaniales de Lente et de Léoncel, ainsi que des zones plus clairsemées avec les plateaux d’Ambel et de Font d’Urle, hauts lieux du pastoralisme. Ces zones sont pourvues de nombreux sentiers de randonnées et de pistes en toute saison. Cette particularité permet un relevé d’indices important et une couverture du terrain plus facile. L’inconvénient étant une présence humaine importante et la présence d’animaux domestiques (chiens) faussant certains relevés.
Le loup dans le massif du Vercors
Revenu en France naturellement depuis l’Italie en 1992 dans le Mercantour, le loup est réapparu officiellement dans le Vercors en 1996 après 50 années d’absence (Lire cet article). Un suivi important est réalisé, notamment par l’association Mille-Traces. Il existe actuellement deux meutes établies : la meute des Hauts Plateaux et la meute Vercors-Ouest. Nous nous intéressons dans ce projet à cette dernière.
Le suivi hivernal 2011-2012 de la meute du Vercors Ouest (QDN n°27) par l’ONCFS estime la meute à 2-3 loups, avec un changement d’utilisation du territoire par rapport aux années précédentes. et un nombre d’indices relevés à la baisse.
Que pourra apporter Peuple Loup dans la connaissance de cette meute ? Nous pensons qu’une présence permanente permettra un relevé d’indices plus complet, sur une zone plus large (hors des itinéraires « classiques »). Dans ce sens, Nous souhaitons travailler en harmonie avec l’association Mille-Traces en suivant leur protocole de relevé d’indices et ainsi participer à un travail déjà bien organisé par des personnes compétentes.
Nous tenons à préciser que les relevés d’indices ne seront pas disponibles sur le site Internet. Ces informations ne sont pas d’un intérêt vital pour suivre le projet et leur publication pourrait mettre en danger la meute. Vous n’êtes pas sans savoir que la situation du loup est difficile en France et il n’est pas acceptable que notre projet puisse être utilisé pour des actes de braconnage.
Nous sommes conscient que notre connaissance de la région est inexistante, mais c’est à notre sens un avantage sur certains points : Nous allons découvrir une région riche et prendre plaisir à parcourir la zone au fil des mois et des saisons. Nous tenterons de partager via notre site et nos photos toute cette richesse rencontrée, que ce soit la faune, la flore, les paysages ou les hommes. Car, vous le savez déjà : le loup n’est rien sans son environnement et nous trouvons important d’apprendre où le loup vit pour mieux le comprendre.
Suivi et observation d’une meute de loups en milieu naturel
Présence permanente
Le fondement de nos projets d’observation peut se résumer en deux mots : « présence permanente ». Il nous paraît indispensable en effet de vivre dans la zone d’étude en toute saison et sur une longue période pour avoir une chance de se faire, sinon accepter, connaître des espèces présentes. C’est le principe de l’habituation, terme utilisé en éthologie et dont voici la définition :
« Méthode systématiquement utilisée pour étudier le comportement d’animaux sauvages qui vivent en groupe ou qui se déplacent sur de longues distances : on habitue ces animaux à la présence de l’observateur par une présence permanente, ce qui permet une étude des comportements sans influence de celui-ci. »
Les loups répondent parfaitement aux critères de la définition : ce sont des animaux sauvages vivant en groupe et qui se déplacent souvent dans un territoire plus ou moins vaste. Comme tout prédateur occupant un territoire, le loup se doit de savoir ce qui se passe sur celui-ci et qui l’occupe (proies, concurrents) pour agir en fonction.
Comme l’homme n’est pas une proie pour le loup mais plutôt une source de danger, le prédateur développe une attitude de méfiance envers nous, ce qui ne facilite pas les interactions. Le principe de l’habituation est d’attenuer cette méfiance vis à vis de l’intervenant au fil du temps de présence et donc de favoriser les interactions, notamment lors du contrôle du territoire par les loups de la meute.
Pour que l’habituation se révèle efficace, il est nécessaire de se faire reconnaître par les loups en laissant son odeur sur l’ensemble de leur territoire en toute saison. Leurs facultés sensorielles leur permettant d’identifier un individu parmi d’autres, ils pourront alors adopter un comportement adapté : contrairement aux randonneurs, chasseurs et autres utilisateurs de la zone, l’intervenant permanent occupe leur territoire et obtient une attention plus soutenue, du fait de sa présence continuelle sur l’ensemble du territoire.
Dans la pratique, l’intervenant doit donc adopter un mode de vie permettant une telle habituation. L’objectif de base est de rester dans la zone d’étude sans interruption et d’être suffisamment mobile pour parcourir l’ensemble du territoire régulièrement. La recherche d’indices de présence et l’inventaire de l’écosystème sont des moyens particulièrement adaptés à la réalisation de cet objectif.
Règles
Afin de réaliser cette habituation, plusieurs règles sont fixées :
- Il est exclu se tenir plusieurs jours éloigné de la zone d’étude y compris pour les ravitaillements.
- Les déplacements dans la zone d’étude devront se faire sans moyen motorisé, pour laisser des traces identifiables.
- L’intervenant devra privilégier la mobilité afin de couvrir l’ensemble de la zone d’étude régulièrement.
Il est important de préciser que le terme habituation peut préter à confusion. Nous ne comptons que sur la présence permanente pour mettre en place cette habituation, qui est donc passive. Nous ne placerons pas de nourriture pour attirer les loups et favoriser les interactions.
Pour que ces règles s’appliquent réellement, il est nécessaire de prévoir une logistique adaptée, notamment pour l’établissement du camp de base, les déplacements dans la zone et les ravitaillements.
Camp de base
Afin de permettre un suivi optimal de la meute et de vivre dans la zone d’étude pendant trois ans, il est nécessaire d’établir un camp de base. Celui ci devra permettre de travailler sur le projet (stockage et traitement des données, communication, entretien et stockage du matériel) et d’apporter un espace de vie à l’intervenant (repos, nourriture, chaleur, premiers soins et hygiène).
Dans cette optique, l’association met à disposition une camionnette aménagée et un camp en toile. Ces deux structures permettront l’établissement d’un camp de base efficace (chauffage au gaz, batteries couplées avec des panneaux solaires, matériel de cuisine et d’hygiène). Il y aura sur le terrain l’eau potable et idéalement une connexion electrique.
Camps itinérants
En complément du camp de base, il est nécessaire que l’observateur puisse se déplacer dans tout le territoire d’étude pendant plusieurs jours consécutifs. Lors de ses déplacements, il devra alors ériger un camp mobile, ou camp itinérant, qui devra être léger et facilement transportable.
Pour des raisons de sécurité et de réglementation, les feux de camp sont interdits et l’emploi d’un réchaud à gaz est nécessaire. De plus, l’intervenant s’engage à respecter le réglement de la réserve naturelle du Vercors en ce qui concerne les bivouacs : le camp itinérant devra être démonté chaque matin. Cette règle s’applique dans toute la zone d’étude (la réserve naturelle ne fait pas partie de la zone d’étude).
Afin de rester opérationnel lors de ces sessions itinérantes, il sera nécessaire d’acquérir du matériel solaire moblie. En effet, nous devrons recharger les batteries des appareils photo et du GPS, indispensables au projet.
Ravitaillement
Afin de pouvoir être autonome, il faut prévoir les ravitaillements en nourriture et gérer les déchets. Il est exclu de recourir à la pêche ou à la chasse. Suivant l’emplacement du camp de base, l’intervenant ira se ravitailler dans les commerces locaux à intervalles réguliers. Dans le cas des ravitaillements en itinérance, la présence de plusieurs localités dans la zone d’étude permettra de se ravitailler en cours d’itinérance. Les déchets seront ramenés et devront suivre la procédure locale de traitement des déchets (recyclage).
Déplacements
Toute l’étude se fera sans véhicule motorisé. Ceci est d’abord un choix d’intégration. L’intégration sur le territoire implique de parcourir celui ci et de laisser des marques de présence, obligatoires même si minimisées (déchets organiques, odeurs, empreintes), que ne permettrait pas un véhicule motorisé. Un véhicule pose ensuite des problèmes d’entretien et de ravitaillement.
Les déplacements se feront donc à pied (raquettes ou ski de fond en hiver). En période estivale, un chariot de transport (Carrix) pourra être utilisé pour permettre le transport du matériel et ne pas se limiter au sac à dos. En hiver, une luge sera indispensable pour remplir le même office.
Mise en avant de l’importance de la biodiversité
A travers l’étude d’une meute de loups, domaine qui peut sembler très restreint, il apparaît que nous avons une opportunité tout à fait intéressante de sensibiliser les gens sur l’importance de la biodiversité et de redéfinir notre rapport avec la faune sauvage.
Le fait que le loup soit une espèce emblématique ayant subi maintes exterminations le place comme un symbole dans la sauvegarde de la biodiversité et dans le respect de l’environnement en général. Si notre société accepte de cohabiter avec ce prédateur, cela sera un bon espoir que notre état d’esprit a changé et que nous sommes prêt à prendre des mesures environnementales plus globales et tout aussi urgentes.
Inventaire de l’écosystème
La présence continue sur la zone d’étude offre une opportunité intéressante d’observer et d’inventorier l’écosystème de la zone. Cet inventaire vise à trois objectifs différents importants :
- Identifier et montrer la variété de cet écosystème afin de mettre en valeur la région d’étude.
- Ouvrir le projet à une sensibilisation environnementale globale, et non uniquement axée sur le loup.
- Chercher à définir les interactions entre les espèces.
Interaction avec le milieu scolaire
La priorité du projet de sensibilisation étant le public jeune, il est convenu d’inviter les écoles qui le désirent à échanger de manière régulière afin que les élèves se sentent impliqués dans le développement du projet. Le loup étant régulièrement au programme dans les établissements scolaires, ce projet peut permettre une approche plus naturaliste, recherchée par de nombreux enseignants.
Échanges réguliers via Internet
Le principal moyen d’interaction avec le public est Internet. Toutes les données seront disponibles librement sur le site et pourront être commentées au fil du projet. Les carnets de routes quotidiens permettront de suivre au plus près l’évolution du projet, tandis que des articles plus techniques présenteront l’écosystème de la région d’étude. Le principe du Chat, assorti de vidéos, permettra un dialogue en direct, nettement privilégié par les enfants et indispensable pour un projet d’école plus poussé.
La connexion n’étant pas assurée au camp de base, il conviendra de s’organiser lors des ravitaillements pour publier les photos et les carnets de route. Nous pensons pouvoir mettre à jour le site une à deux fois par mois. Les interactions avec les écoles devront se faire également dans ces périodes.
Cycle de conférences
Suite à la phase finale de traitement et d’analyse des données, une présentation informatique sera mise en place. Cet outil sera utilisé pour des conférences publiques et principalement scolaires. Le document en question permettra de présenter une sélection des images fortes recueillies au court du projet et servira de trame pour illustrer les trois années sur le terrain.
Comme les deux précédents cycles de conférences (2005-2008 et 2010-2013), la présentation sera proposée gratuitement dans tous les départements de France et soumise à l’approbation des inspections académiques.
Éthique
Que ce soit pour l’observation de la meute que pour l’ensemble des espèces vivant dans la zone, nous priorisons un dérangement minimal. Nous partons du principe que ce projet ne doit pas perturber l’équilibre du milieu, ni le comportement de la faune par notre présence.
Consultation d’avis extérieurs
Nous partons du principe que nous n’avons pas la science infuse, loin de là. Nous respectons le travail déjà effectué par des personnes ou organismes dans la région qui ont une bonne connaissance de celle ci. C’est pourquoi nous avons pris contact avec des personnes compétentes avant de lancer ce projet et que nous continuerons à nous référer à celles ci pendant la durée du projet. Nous tenons à remercier vivement l’association Mille-Traces, Jean Paul Vieron et Michel Olivier de Nature et Biodiversité pour le temps passé et les informations partagées.
Contraintes d’observation
Afin de minimiser le dérangement de la meute de loups, nous avons choisi une approche passive d’observation, c’est à dire que les initiatives de rencontres seront laissées principalement aux loups pendant toute la durée du projet. Nous comptons sur la curiosité naturelle connue du prédateur et une présence permanente sur le terrain pour amorcer les rencontres et faire en sorte que l’observateur soit reconnu sur le territoire. Nous ne placerons aucun type d’appât et ne provoquerons pas de hurlements, susceptibles de troubler les activités de la meute.
Respect de la zone d’étude
Afin de respecter un maximum la zone d’étude et de minimiser l’impact de la présence humaine sur les lieux d’observation, l’association s’engage notamment à respecter les principes « Sans Trace », visibles sur le site www.sanstrace.ca, la règlementation locale et celle du parc naturel du Vercors.
Pour finir
Nous terminons ce long article en vous donnant rendez vous, ici même, à partir de mai-juin pour le début de ce projet. Comme pour les deux précédents projets, vous pourrez suivre l’évolution de celui ci au fil des mois à travers des carnets de routes réguliers et des photos.
Si des écoles sont intéressées à nous suivre et à participer à des chats réguliers, c’est bien sur possible, il suffit de nous contacter !
D’ici là, nous devons trouver le financement pour faire quelque chose de bien. Dans le désordre, il nous manque encore :
- Du matériel solaire itinérant. (de ce type : Kit solaire).
- Du matériel solaire fixe pour alimenter le camp de base.
- Du matériel de ski de fond (il y a beaucoup de pistes de ski de fond dans la forêt de Lente et il faudra les contrôler).
- Un appareil photo numérique à déclenchement.
- Un trépied photo (ou monopode).
- De quoi manger (50€/mois).
N’hésitez pas à faire passer ce projet si vous trouvez qu’il a du sens.