Fidèle à son caractère, Martine Aubry n’a pas mâché ses mots. Vendredi dernier, la maire de Lille a brisé, depuis un café parisien, le silence auquel elle s’était astreinte, pour taper sur la nouvelle carte des régions qui prévoit, dans sa version remaniée par les députés socialistes, la fusion de son fief du Nord-Pas-de-Calais avec la Picardie. Surtout, elle en a profité pour distiller au passage quelques piques bien senties à François Hollande, son adversaire lors de la primaire socialiste de 2011 : "Il n'est pas trop tard pour réussir le quinquennat".
Les répliques n’ont pas tardé. "Cela ne me semble pas véritablement la bonne façon de travailler", a jugé mardi 22 juillet le patron des députés socialistes Bruno Le Roux, reprochant à Aubry son manque de solidarité. Ce week-end, c’est Manuel Valls qui jugeait l’offensive "disproportionnée" dans les colonnes du "JDD". Il faut dire qu’après le vent de fronde qui a soufflé dans les rangs du PS ces dernières semaines, et dont certains des meneurs sont des proches de l’ancienne dirigeante du PS, la sortie de celle-ci a de quoi agacer l’exécutif. Ce dernier a toutefois préféré arrondir les angles : "Il faut toujours entendre les grands élus. Martine Aubry, c'est quelqu'un qui compte énormément. C'est une ancienne première secrétaire du PS [...] Il faut entendre toutes les positions mais aussi à un moment donné, [il faut] acter des choix qui sont faits au niveau du Parlement", a fait savoir l’entourage de Valls.
"Pas de récupération"
Du côté des aubrystes, la lecture de l’épisode est évidemment tout autre. Non, la sortie de la maire de Lille ne tient pas du règlement de comptes mais plutôt d’une franche mise au point. Pour avoir voulu passer en force sur ce redécoupage régional, le gouvernement ne devait pas s’attendre à autre chose, disent-ils en substance. D’autant plus, insistent-ils, que l’ancienne première secrétaire du PS a de tout temps fait preuve d’une loyauté sans faille à l’égard du locataire de l’Elysée. "Elle a toujours joué collectif, en adressant ses critiques, lorsqu’elle en avait, directement à François Hollande ou Manuel Valls", défend le député de l’Ardèche Olivier Dussopt, qui fût son porte-parole au moment des primaires socialistes.
Beaucoup auraient réagi ainsi à sa place. Il ne s’agit pas d'une offensive politique mais d'un désaccord sur la méthode", renchérit le député aubryste de la Nièvre Christian Paul, frondeur de la première heure, qui récuse tout calcul politique.
Les parlementaires proches du Premier ministre n’ont pas manqué pas de voir, derrière la sortie du bois de la maire de Lille, le signe de l’officialisation imminente de son alliance politique avec une partie des frondeurs, quelques mois avant un congrès programmé pour 2015. Avec Christian Paul et Laurent Baumel, le député des Hauts-de-Seine Jean-Marc Germain, fidèle de toujours d’Aubry, en est l’autre tête de pont. "Elle a parfaitement compris le sens de ce que nous faisons et respecte notre initiative, sans vouloir la récupérer", assure Paul. Qui n’ignore pas que la caution d’Aubry, aussi implicite soit-elle, conférerait une nouvelle envergure au mouvement de contestation, qui a donné quelques sueurs froides à l’exécutif.
"Depuis les défaites, elle a besoin de s'exprimer"
Aux traditionnelles universités d’été des socialistes, fin août à La Rochelle, Aubry ne sera pas de la fête. Sa voix n’en aura pas fini de porter pour autant. Son courant s'y réunira, autour de son lieutenant, l'ancien ministre de la Ville François Lamy. L’ex-première secrétaire, qui entend être présente sur le plan de la politique nationale dès la rentrée, a également fait savoirque désormais, elle s'exprimerait "aussi sur les autres questions". Elle a aussi informé Jean-Christophe Cambadélis de sa volonté de s’impliquer dans les états-généraux du parti. "Depuis les défaites électorales aux municipales et aux européennes, elle ressent le besoin de s’exprimer", explique Christian Paul. Une parole qui résonnera sans aucun doute jusqu'à l’Elysée et Matignon.
Audrey Salor - Le Nouvel Observateur
L'assemblée nationale adopte la nouvelle carte des régions