• New Delhi : Sex and the City

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    New Delhi : Sex and the City

    Le Point - Publié le <time datetime="2014-10-25T11:47" itemprop="datePublished" pubdate="">25/10/2014 à 11:47 </time>lien 

    La révolution sexuelle est en marche dans la capitale indienne. Dans un pays très conservateur, les femmes aisées et urbaines aspirent à l'amour et au plaisir.

    <figure itemprop="associatedMedia" itemscope="" itemtype="http://schema.org/ImageObject">Un bar à New Delhi.<figcaption>Un bar à New Delhi. © Mustafa Quraishi/AP/Sipa</figcaption></figure>
     
     
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    La "soirée filles" a commencé tôt, dans un appartement de Vasant Vihar, un quartier aisé de New Delhi. Amies de longue date, huit femmes âgées de 28 à 40 ans boivent, fument et discutent. Un joint passe de main en main. Entre une bouteille de vodka et un vin australien, des plats sont disposés sur la table basse : humus, chicken tikka et toasts au fromage de chèvre, à l'image du tsunami d'influences qui déferle depuis une décennie sur la capitale indienne. 

    Galvanisée par l'afflux brutal de l'argent, la mégalopole transforme fébrilement son quotidien : goûts, apparences, moeurs, mentalités. Sexe, aussi. Ce soir-là, ces femmes en parlent. Elles racontent l'échec du mariage arrangé, la quête du compagnon rêvé, les aventures éphémères. Parfois, elles font circuler leur iPhone pour montrer la photo d'une cible potentielle ou d'un amant passé. "Pas mal !" acquiescent les amies solidaires.

    Deepika, la benjamine célibataire, est accaparée par la gestion de l'entreprise paternelle et n'a pas le temps de s'offrir une vie sentimentale. Sunita, la plus délurée, veut la convaincre d'utiliser Tinder, le réseau social de rencontres géolocalisées. "Sinon, tu peux toujours aller sur YouPorn !" lance-t-elle en riant. Neera, une divorcée au visage de poupée, intervient : "Moi, je n'ai plus peur d'être seule. Il faut apprendre à s'aimer." Les amies approuvent par un véhément hochement de tête.

    Un dramatique paradoxe

    Les Indiennes des villes changent. Elles s'émancipent. À l'heure où les acteurs de Bollywood ont osé le baiser à l'écran, la sexualité est moins taboue au sein des classes moyennes et des élites. Portée par la modernisation et l'influence occidentale, Delhi offre un espace de liberté. "Les relations hommes-femmes ont davantage progressé en dix ans qu'au cours des 3 000 années précédentes", écrit l'auteur Ira Travedi. "Une libéralisation sexuelle est à l'oeuvre, confirme le sociologue Deepak Mehta. Mais la façon dont la femme envisage son corps a évolué en deux tendances opposées : l'octroi d'une plus grande liberté et, simultanément, l'accentuation d'une anxiété."

    À l'échelle nationale, la condition des Indiennes est l'une des plus difficiles au monde. Les violences dont les femmes sont victimes sont très médiatisées depuis le viol collectif d'une étudiante à Delhi en décembre 2012. Elles sont une litanie de l'horreur : violences conjugales, agressions sexuelles, meurtres pour dots insuffisantes, esclavage, mariages d'enfants... Et "Delhi-la-Sauvage", nébuleuse de 17 millions d'habitants, a reçu le sinistre surnom de "Capitale du viol". Ces réalités pèsent sur les mentalités des femmes, écartelées entre les aspirations à l'émancipation et la rigidité de l'ordre moral. La capitale caricature le dramatique paradoxe de l'Inde : dans une chambre au néon glauque, une femme essuie les coups d'un mari ivre, pendant qu'une autre, dans un bar-lounge, flirte librement en commandant des mojitos.

    Une éducation sexuelle de l'ordre du néant

    Au sein des classes privilégiées, la révolution sexuelle a transformé le comportement féminin. "Dans mes relations amoureuses, mes partenaires sont ouvertes et indépendantes, estime Vikram, un célibataire de 37 ans. Un fait est indéniable : l'institution sacro-sainte du mariage est en train de voler en éclats." Depuis la fin des années 1990, les tribunaux pour les divorces se sont multipliés et les procédures sont simplifiées.

    Mais les cliniques pour avortements ou les maternités précoces prolifèrent tout autant. Pour le commun des Indiens, l'éducation sexuelle est de l'ordre du néant. Le docteur Watsa, spécialiste du sujet dans la presse depuis des années, se refusait à employer les termes "pénis" ou "vagin" jusqu'à récemment. Au pays du Kama-sutra prévaut une pudibonderie toute intacte de l'ère victorienne. La culture sexuelle est d'une pauvreté confondante. "Les autorités ne font pas leur travail, dénonce le sociologue Deepak Mehta. Les livres scolaires, scrutés par les hindous conservateurs, ne s'aventurent pas au-delà de la reproduction." La politique du ministère de la Santé est si austère qu'elle a été parodiée dans une vidéo vue par plus de deux millions de personnes sur YouTube.

    REGARDEZ la parodie d'un cours d'éducation sexuelle en Inde

    Sur l'ensemble du pays, les études réalisées ne sont guère une ode à l'exploration sexuelle : la fréquence des rapports est faible et la position du missionnaire de rigueur. Mais sentant le vent du changement, la presse cherche à dompter la diversité de la psyché indienne en multipliant les sondages. Et tous le prouvent : l'Indienne accorde davantage d'importance à son propre plaisir. À la génération précédente, et comme l'a souligné la journaliste Shobha De, l'acte sexuel était une formalité : les épouses retroussaient leurs saris, fermaient les yeux et pensaient à Dilip Kumar, l'acteur alors en vogue. La tradition hindoue pose la femme dans l'abnégation et l'obéissance.

    Aujourd'hui, des articles expliquent "comment choisir un homme" et "les positions préférées des femmes". Les homosexuels, ostracisés par le tabou et la législation, gagnent eux aussi en visibilité. L'érotisme s'immisce avec le désir. Après les boutiques de lingerie, cette année voit l'explosion remarquée du marché des sex toys en Inde. Le milieu de la nuit se démocratise et, à Delhi, le quartier des bars de Hauz Khas est assailli par des meutes joyeuses de jeunes femmes en talons hauts accrochées aux bras de leur amoureux. 

    50 "dates" en 6 mois, mais pas de sexe

    Le "date", le rendez-vous galant avec un homme, fascine. De Orkut à Facebook, de OkCupid à Tinder, les réseaux sociaux les ont facilités. "2014 rentrera dans l'histoire comme l'année où nous avons embrassé Tinder", ironise une journaliste face au succès de l'application à Delhi. "Je consulte Tinder plusieurs fois par jour, admet Ruchika, productrice télévisée de 36 ans. Quand on vit en Inde, c'est tellement libérateur de dire simplement "oui" ou "non" à des hommes grâce à Tinder !" Elle projette de créer une application mieux adaptée aux besoins des Indiennes pour protéger leur identité. Ruchika se définit en "femme libérée" : "Quand on a la liberté financière en Inde, personne ne questionne vos choix."

     

     ©  VD

     

    Dans cet esprit, un blog fait couler de l'encre : "50 dates in Delhi", lancé par une Indienne de 32 ans sous le pseudonyme d'Alice. Elle narre ses rencontres au fil des jours, non sans une certaine désillusion, mais avec l'envie de comprendre ce nouveau monde du flirt assumé. Elle se donne néanmoins des limites : pas de rapports sexuels et des rencontres millimétrées. Pas si libérée, en somme.

    Le culot d'Alice, c'est d'assumer sa quête dans une société du secret. Dans les campagnes, les amants se retrouvent à la va-vite dans les champs de canne à sucre. Dans les villes, ils s'enlacent et se cachent derrière les arbres des parcs publics. "Évidemment, il y a toujours eu des histoires de sexe, en Inde, commente Ishan, un designer de 39 ans. L'homosexualité et la bisexualité sont très présentes dans notre société. Mais on ne dit rien. L'apparence doit être préservée à tout prix." D'après un sondage, 76 % des Indiennes et 61 % des Indiens pensent que l'infidélité n'est pas un grand péché. Mais seules les élites de Delhi ne s'entravent pas d'embarras. Dans le cercle richissime de leurs soirées gorgées d'alcool et de cocaïne, leur permissivité n'a rien à envier aux élites des autres capitales du monde.

    Où sont les hommes avec lesquels nous aimerions sortir ? 

    Mais, comme souvent, cette libération des moeurs n'est pas sans ambiguïté. Aux yeux des femmes libérées, le concept du mariage arrangé n'est pas forcément une hérésie. Ruchika, par exemple, le conçoit comme une sorte de "dating" à l'ancienne. Une étrangère vivant à Delhi remarque : "Les Indiennes n'appliquent pas à elles-mêmes l'égalité revendiquée. Elles ont des exigences très formatées concernant leurs partenaires et aiment être traitées en princesses." Pour Salman, un célibataire de 30 ans aux nombreuses aventures, les femmes de Delhi "affirment assumer une sexualité libre, mais, en réalité, elles recherchent toujours l'amour..." 

    Les concernées rétorquent que leurs partenaires, quant à eux, font preuve de double jeu. "Ils restent toujours un peu conservateurs, même s'ils prétendent l'inverse", juge Ruchika. "Nous, les hommes indiens, vivons dans une frustration fondatrice, sur les bases de l'absence d'éducation sexuelle, réfléchit Ishan. Les hommes comme moi gardent en eux une soif, un manque." L'écart se creuse avec l'âme soeur : " Mais où sont les hommes avec lesquels nous aimerions sortir ?" écrit la féministe Richa Kaul Padte, dépitée de constater la persistance du machisme. Pas sûr qu'elle les trouve sur Tinder.

    Note : certains noms ont été changés.


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