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«Ni sucre, ni pain, seulement Kadhafi !»...
À Tripoli, la peur affleure malgré la mise en scène
Un tank de l'armée libyenne surveille un carrefour, dans la banlieue de Tripoli. (Photo réalisée lors du circuit organisé pour les journalistes étrangers par le régime libyen.) Crédits photo : CHRIS HELGREN/REUTERSREPORTAGE - Le régime libyen a organisé mardi une opération de séduction à l'attention des médias étrangers. Sans parvenir à masquer totalement l'anormalité de la situation dans le pays.
«Ni sucre, ni pain, seulement Kadhafi !» Des photos du Guide portées à bout de bras, une trentaine de partisans du régime sautillent gaiement sur la place principale de Qasr Ben Ghachir. Cette petite localité, située à 20 kilomètres de Tripoli, a accueilli, mardi, un groupe de journalistes étrangers invités à assister au départ d'un «convoi humanitaire» pour les populations de Benghazi, ville «rebelle» de l'est du pays, sous les youyous d'une partie de ses habitants.
«Les terroristes de l'Est sèment la terreur auprès de la population. Vous savez, tout ça, c'est à cause des Tunisiens et des Égyptiens qui ont donné de la drogue aux populations libyennes pour qu'elles se soulèvent contre notre cher leader… Mais ce sont des actes isolés. La Libye se porte bien. Et on va leur prouver qu'on l'aime, notre colonel !» lâche Nabil Mohammad, un étudiant de 23 ans aux cheveux gominés.
Cette étonnante opération de séduction vise, de toute évidence, à déjouer les rumeurs selon lesquelles le leader libyen, apparemment retranché dans son pré carré, ne contrôle plus que Tripoli. Quelques heures plus tard, même son de cloche du côté de l'hôpital El Khadar, à Tripoli, où nous sommes conviés à sonder le personnel des urgences sur l'état des patients. «Nous avons reçu 50 blessés en cinq jours», précise le Dr Mohammad Awaz. Interrogé sur les blessures, il évoque des impacts de balles. Mais à la question de savoir si ces blessés - que nous ne verrons pas - sont des manifestants, le médecin se ressaisit, évoquant de simples «accidents de la route».
Alors que la contagion révolutionnaire continue à gagner du terrain à travers le pays, Tripoli - épargnée par le couvre-feu - semble, à première vue, vivre des jours relativement tranquilles. Au souk Rachid, les boutiques ont rouvert leurs rideaux de fer. Les écoles et les universités fonctionnent à peu près normalement. Les hôtels sont encore remplis d'hommes d'affaires.
Des hordes de passagers s'entassent dans l'aéroport de Tripoli, dans l'espoir de décrocher une place sur un vol. Crédits photo : -/AFP«Nous vivons dans une grande prison»
Illustration directe d'une volonté affichée de maintien de l'ordre, de nombreux postes de contrôle sont tenus, ici et là, par des miliciens armés, le visage masqué par des foulards verts, qui fouillent régulièrement les voitures. Mais certains signes de contestation ne trompent pas. Par la fenêtre des minibus affrétés pour la presse étrangère, on aperçoit ici un graffiti mural antirégime, là un portrait du leader perforé par de probables jets de pierres. Partout, des montagnes de poubelles s'empilent le long des avenues. Mais c'est à l'aéroport international de Tripoli que l'anormalité de la situation reste le plus palpable.
Le regard hagard, des hordes de passagers y vivent entassés, depuis des jours, dans l'espoir de décrocher une place sur un vol. Ils sont libyens, égyptiens, tunisiens, mais aussi pakistanais ou encore indiens. Le terminal est tellement bondé que des milliers de personnes ont même pris d'assaut le parking, en y installant, pour certains, des campements de fortune. «Ces gens-là regardent trop la télévision. Ils ne devraient pas avoir peur», tempère Abdullah, un partisan de Kadhafi. Cette peur, qu'on lit sur les visages, est pourtant difficile à inventer. «Nous vivons dans une grande prison. Mais je m'excuse, je suis trop surveillé pour vous en dire plus», nous confie, la voix tremblotante, un infirmier de l'hôpital El Khadar.
Tags : tripoli, peur, khadafi, folie
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