• Nobel de physique : le neutrino, cette particule transformiste primée pour la 4e fois

    Nobel de physique : le neutrino, cette particule transformiste primée pour la 4e fois

    Le Monde.fr | 06.10.2015 à 16h05 • Mis à jour le 06.10.2015 à 16h49 | Par David Larousserie

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    Les portraits des lauréats du prix Nobel de physique, Takaaki Kajita et Arthur B. McDonald, sur un écran de l'Académie royale suédoise des sciences, le 6 octobre.

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    Et un Nobel de plus pour une particule élémentaire maintes fois récompensée par le jury de l’Académie royale suédoise des sciences : le neutrino. C’est en effet la quatrième fois qu’elle reçoit directement les honneurs de ce prix.

    Pourtant, elle ne paie pas de mine. Abondante, au point que des milliers de milliards d’entres elles nous traversent chaque seconde en provenance du Soleil, d’étoiles encore plus lointaines en cours d’explosion, ou du cœur de centrales nucléaires – en fonctionnement normal. Discrète : ces traversées se font sans conséquence, car cette particule interagit très peu avec le reste de la matière. Sans charge électrique, d’où son nom de « petit neutre ». Et pour finir, ultralégère, au point qu’en théorie, on estimait qu’elle ne devait pas avoir de masse.

    Du moins jusqu’à ce que les deux lauréats de cette année, lJapon - Takaaki Kajita- université de Tokyo-  Canada-  Arthur B.McDonald (72 ans), de la Queen’s University, pilotent deux expériences indépendantes dans leurs pays d’origine et démontrent que le neutrino a bien une masse. « Ils ont en fait construit les balances les plus précises au monde », résume Thierry Lasserre du CEA, spécialiste de ces particules.

    Ces détecteurs construits dans les années 1990 au fond de mines, de nickel au Canada, de zinc au Japon, sont en fait de gigantesques piscines. Celle de l’Observatoire de neutrinos de Sudbury (SNO) au Canada contient 1 000 tonnes d’eau lourde, tandis que celle de Super-Kamiokande (SK), 50 000 tonnes d’eau normale. Parmi les milliards de neutrinos plongeant dans ces réservoirs, il arrive que certains frappent un atome de l’eau et émettent alors de la lumière, repérée par des milliers d’yeux tapissant la paroi de ces piscines.

    Métamorphoses transgenres

    En 1998 au Japon et en 2001 au Canada, les résultats ont confirmé une étrange attitude du neutrino, associée à sa masse : il est transformiste. Il existe en réalité trois familles de neutrinos et au cours de leur voyage, ces particules peuvent passer d’un genre à l’autre. Les chercheurs de SK ont ainsi constaté une différence de comportement des neutrinos produits au-dessus du ciel japonais et d’autres venants « d’en bas », ayant traversé quelque 10 000 kilomètres de roche terrestre. L’écart trahit des métamorphoses transgenres.

    Takaaki Kajita, le 6 octobre à Tokyo.

    le Japonais Takaaki Kajita le 6 octobre à Tokyo

    Trois ans plus tard, le SNO confirme ces changements en constatant qu’il manque des neutrinos d’un certain type provenant du Soleil, mais qu’à l’inverse, il arrive un surplus d’un autre type, que le Soleil ne produit pas. « Je me souviens que les Japonais étaient assez angoissés à l’annonce de ce résultat, qui finalement confirmait leurs travaux », rappelle Stavros Katsanevas, directeur du laboratoire AstroParticule et Cosmologie, à Paris. « Avec deux sources différentes, les physiciens ont observé le même phénomène. Ce sont des expériences clés et ensuite beaucoup d’autres confirmations sont venues », souligne Antoine Kouchner du CNRS, qui mène l’expérience Antares, ayant déjà observé ces métamorphoses.

    Lire aussi : A la pêche aux insaisissables neutrinos

    L’information majeure est que ce transformisme des neutrinos ne s’explique que parce qu’ils ont une masse. Une sacrée surprise, car dans le modèle qui décrit toutes les autres particules, ils ne devraient pas en avoir. C’est ce qu’a salué le jury Nobel, après avoir les années précédentes récompensé la première observation de ces particules furtives (Nobel en 1995) ou la détection de neutrinos cosmiques provenant d’une supernova (une étoile en explosion) en 2002.

    « Et ce n’est certainement pas fini. Il y aura d’autres découvertes et encore des surprises. Beaucoup d’expériences démarrent », prévoit Thierry Lasserre. « Les neutrinos sont une porte vers une nouvelle physique », renchérit Antoine Kouchner.

    Peser un neutrino

    Plusieurs mystères persistent en effet. D’abord concernant la masse, toujours elle. Grâce aux passages d’une famille à l’autre, les physiciens savent qu’elle existe mais ils ne peuvent en déduire qu’une différence de masse entre les différents genres ; pas les valeurs absolues de chacun. En Allemagne, l’expérience Katrin par exemple, essaie justement d’être la première à peser directement un neutrino. Arthur B. McDonald lui-même dirige une expérience différente, mais visant le même objectif dans son laboratoire canadien.

    Ensuite, il faudra expliquer pourquoi cette masse est si faible. Le mécanisme dit du boson de Higgs, qui apporte la masse aux autres particules et que le Nobel a célébré en 2013, ne marche pas pour ces poids plume.

    Grâce aux neutrinos, on peut aussi tester un autre mystère de la nature : la domination de la matière sur l’antimatière (sa sœur jumelle) au début de l’Univers. Alors que ces deux formes ont été créées en quantité identique, une seule a survécu, celle que nous connaissons. De gigantesques projets sont en cours aux États-Unis, au Japon ou en Europe pour comprendre la nature de l’antineutrino et expliquer ce déséquilibre. « Ce prix va encourager la réalisation notamment du projet Hyper-Kamiokande au Japon, vingt fois plus grand que SK », estime Stavros Katsanevas. Takaaki Kajita n’y participera pas : il se consacre à un autre projet d’envergure, Kagra, un détecteur d’ondes gravitationnelles.

    Quelques idées autour des neutrinos plairaient sans doute à Alfred Nobel – soucieux des applications pratiques de la science : des géophysiciens se servent des neutrinos émis par le cœur de la Terre ou les volcans comme sonde pour rendre visible l’invisible. Les contrôleurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique voudraient utiliser ces particules pour contrôler le fonctionnement civil ou militaire de réacteurs nucléaires.

    Enfin, d’autres physiciens recherchent un autre membre de la famille, un quatrième neutrino qui serait plus lourd que ses cousins et qui pourrait être un bon candidat pour expliquer certaines anomalies cosmologiques. Pour Antoine Kouchner, « les neutrinos jouent un rôle dans l’apparition des grandes structures de l’Univers. On peut dire que sans eux, on ne serait pas là ».


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