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Non, le vin naturel n’est pas une mode pour embobiner les bobos
No wine is innocent
La France exporte l'équivalent de 130 Rafale par an en pinard... Si ça ne cache pas une ou deux bonnes histoires ! Ici, je parle donc du vin dans la bouteille, mais surtout de ce qui se trame autour d'elle.
Non, le vin naturel n’est pas une mode pour embobiner les bobos
Du raisin (Dizzy-eyed/Flickr/CC)
Le vin naturel n’a pas de définition officielle. Il n’est pas réglementé. Nombreux sont ceux qui ignorent ou nient son existence.
Mais pas le vigneron Lilian Bauchet, installé dans le Beaujolais depuis 2007, pour qui ce vin naturel – en principe bio, sans béquille chimique ou technologique, affranchi du système agro-industriel – pourrait être le signal d’une nouvelle forme de révolution : une « révolution par l’estomac ».
Le vin naturel, c’est quoi ?
Pour Lilian Bauchet, il y a urgence à clarifier ce qu’on entend par vin naturel :
« Certains disent que leur vin est naturel parce qu’ils l’ont vinifié sans sulfite, d’autres parce que leur vin n’a pas été levuré, d’autres estiment qu’un vin naturel doit être libre de tout intrant œnologique et n’avoir subi aucune opération jugée dénaturante, comme le chauffage à haute température ou encore la filtration stérile.
Il y aussi le problème de la matière première, les raisins. Certains prétendent faire des vins naturels à partir de raisins non bio, c’est pour moi une imposture. »
Pour régler la question, il faudrait plutôt aller chercher du côté du consommateur :
« Comme il est le principal intéressé – c’est lui qui achète, lui qui boit – on ne peut pas le tromper en acceptant d’autres définitions du vin naturel que celle qu’il s’est intuitivement construite, faute de référentiel clair. Et pour lui, qu’est-ce qu’un vin naturel, sinon un jus de raisin bio, qui aurait naturellement fermenté, et qu’on aurait mis directement en bouteille après élevage ?
Cessons donc d’appeler naturels les vins qui n’entrent pas dans cette acceptation, informelle mais largement partagée. C’est une question de respect du consommateur, qui fait vivre toute la filière. »
Le vin naturel a 8 000 ans
Le vin naturel, pour Lilian Bauchet, ce n’est pas une mode tricotée pour embobiner la clientèle des bars branchés ; mais avant tout un vin ancestral, originel, à l’opposé du vin « technologique », invention de la science moderne :
« Les historiens estiment que les premiers humains à avoir domestiqué l’activité fermentaire du raisin ont vécu il y a 8 000 ans… Que représentent quelques décennies de production de vins technologiques, au regard de ces millénaires de vins naturels ?
On peut également s’interroger sur un éventuel lien entre la baisse de consommation de vin en France et la récente arrivée des vins technologiques. »
Lilian Bauchet ne nie pas la « somme de recherche considérable » accumulée depuis Pasteur, notamment. Mais il y voit des failles, et un grand oublié, le goût :
« La chimie du vin est rapidement devenue une science à part entière, l’œnologie. On a isolé les souches de levures responsables de la transformation du sucre en alcool, on a mesuré leur aptitude à influencer le profil aromatique du vin, on les a modifiées génétiquement...
Aujourd’hui, grâce aux travaux des œnologues, les itinéraires de vinification ont été sécurisés, les accidents fermentaires sont devenus rares. Mais quid du goût du vin ?
Parce que les œnologues ne sont pas capables aujourd’hui d’embrasser la complexité du vivant à l’œuvre lors des fermentations, nous ne devons plus accepter, au prétexte de leur sécurisation, une simplification à outrance des itinéraires de vinification. Cette simplification conduit à une perte de complexité aromatique des vins et à une réduction inéluctable de leur diversité naturelle. »
Des vins non alignés qui défient la grande distribution
En outre, le vrai gagnant de cette simplification ou homogénéisation, ce serait la grande distribution :
« Rien de plus stable que ces vins fortement sulfités, dépouillés de leurs micro-organismes par des filtrations stériles, qui peuvent tranquillement prolonger leur pseudo-vieillissement dans les linéaires des supermarchés.
Et rien de plus conforme à leur logique de distribution déshumanisée – celle où la permanence du goût des produits de marque a permis l’élimination du conseil humain auprès du consommateur – que cette homogénéisation des vins.
Personne n’a besoin d’un conseiller pour savoir quel goût a le Coca-Cola. Et personne ne doit avoir besoin du conseil d’un sommelier pour connaître le goût du vin vendu au supermarché.
Quand on sait que la grande distribution écoule plus de la moitié des vins vendus en France [75% des ventes de vin aux ménages, ndlr] on comprend pourquoi les vignerons nature sont perçus comme des empêcheurs de tourner en rond, y compris par les instances de gestion de leurs bassins viticoles qui s’obligent à tenir compte des exigences de leurs principaux distributeurs... »
Et si certains ersatz ont pu faire leur apparition, les vins naturels semblent irrécupérables par la grande distribution :
« Il est bien sûr peu probable que la grande distribution finisse par s’intéresser à ces vins. Les obstacles à leur commercialisation paraissent insurmontables. Le premier d’entre eux étant le refus probable des vignerons nature à alimenter la grande distribution, comme le font nombre de producteurs bio dans d’autres secteurs, pour des raisons idéologiques.
Il n’est d’ailleurs pas impossible que la grande distribution perde des parts de marché au profit de circuits de commercialisation alternatifs. A voir le nombre de nouveaux cavistes ou bars à vin avec qui j’ai pu être en contact ces dernières semaines, j’ai envie de croire à ce changement. Il traduit une demande croissante pour un commerce de proximité, plus humain, associé une alimentation plus saine, vins compris. »
Le vin naturel révélé par Internet
Pour Lilian Bauchet, le levier principal de l’avènement médiatique des vins naturels, c’est Internet :
« La communication autour du vin a été chamboulée par l’arrivée d’Internet. La parole autour du vin était occupée par une poignée de journalistes, et sans remettre en question leur professionnalisme, combien d’entre eux se sont aventurés en dehors des sentiers balisés par les interprofessions pour déguster les vins des vignerons nature ?
Avec le Net, avec les blogs, les amateurs de vins nature ont pu porter ces vins à la connaissance du plus grand nombre, et on peut affirmer que des blogueurs comme Olif ont fait beaucoup plus pour la promotion des vins nature que la majorité des guides papier publiés jusqu’à l’arrivée du Net.
Aujourd’hui, avec cette parole libérée et exponentiellement partagée, on est entré dans l’ère de la subjectivité triomphante. C’est la forme la plus accomplie de démocratie qu’on ait pu vivre, une agora numérique que les politiques souhaiteraient voir devenir la démocratie participative, sous leur botte, mais qui leur échappe. »
De la buvabilité révolutionnaire
Pour les lendemains qui chantent, la révolution passerait moins par les réseaux que par l’estomac :
« Le vin naturel, en effet, ça se boit moins avec la tête qu’avec l’estomac. On peut toujours le soumettre à l’analyse sensorielle, tenter d’en décortiquer le profil gustatif à la manière d’un sommelier, mais ce que j’apprécie par-dessus tout avec les vins naturels, c’est qu’un verre en appelle spontanément un autre.
C’est un concept que certains jugeront fumeux mais qui pour moi a tout son sens, celui de buvabilité. Je ne dis pas qu’il ne m’arrive jamais de trouver à des vins qui ne sont pas naturels des profils gustatifs sympathiques, mais j’éprouve plus rapidement à leur dégustation un sentiment de satiété… Comme si mon estomac avait ses raisons que ma raison ignore.
L’homme a conduit des révolutions avec son cœur, d’autres avec sa tête, voici venu le temps pour lui de conduire une nouvelle révolution, avec son estomac. »
Aller plus loin-
Sur lesvinsnaturels.orgAssociation des vins naturels (AVN)
Tags : vin naturel- mode- embobiner- bobos
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