C’est l’un des fronts oubliés de la guerre syrienne. Dans le désert de l’est du pays, au milieu des champs pétroliers, la ville et la province de Deir el-Zor restent l’un des principaux objectifs de conquête de l’Etat islamique (EI). Dimanche, les jihadistes ont lancé une nouvelle offensive dans la banlieue nord-ouest de la ville, à Al-Bgheliyeh. Ils ont tué au moins 85 civils et 50 combattants prorégime, la plupart exécutés, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH).
L’EI aurait également enlevé au moins 400 personnes. Parmi elles figurent des femmes, des enfants et des membres de familles de combattants loyalistes, selon l’OSDH, qui craint des exécutions de civils et la mise en esclavage de femmes capturées. Les 400 personnes kidnappées, toutes sunnites, ont été emmenées vers des régions contrôlées par l’EI dans la province de Deir el-Zor et dans celle, voisine, de Raqqa. L’agence officielle syrienne Sana a de son côté dénoncé un «massacre» et évoque «300 civils tués» à Al-Bgheliyeh.
Frontalière de l’Irak, la province de Deir el-Zor est disputée depuis le début de la guerre en Syrie. Le régime a largement reculé mais il n’en a jamais été totalement chassé. Il conserve aujourd’hui le contrôle d’environ la moitié de la ville et celui de l’aéroport militaire. Le reste est aux mains de l’EI.
«Une zone où les tribus sont fortes»
L’organisation jihadiste a commencé à s’y implanter en 2013. Elle faisait alors face à des groupes issus de l’Armée syrienne libre (ASL) et au Front al-Nusra, la filiale syrienne d’Al-Qaeda. En 2014, les combats avaient provoqué l’exode de 60 000 civils. En août de la même année, l’EI avait commis un massacre : 900 membres de la tribu des Chaitat, dont une grande majorité de civils, avaient été exécutés pour s’être opposés à la prise de contrôle de l’EI. Une semaine plus tôt, le chef de la tribu, le cheikh Rafaa Aakla al-Radjou, avait appelé les autres tribus de l’Est syrien à s’allier contre les jihadistes. «Elles sont les prochaines sur la liste. Si l’EI nous bat, elles seront la prochaine cible», avait-il déclaré dans un message diffusé sur YouTube.
La province de Deir el-Zor est doublement stratégique pour le califat autoproclamé d’Abou Bakr al-Baghdadi. Elle permet de relier Raqqa, son fief syrien, à l’Irak, et de faire transiter armes et combattants. Elle est aussi l’une de ses principales sources d’approvisionnement en pétrole et en gaz. La coalition et, depuis septembre, l’armée russe multiplient les bombardements dans la région. «L’EI est dans une situation beaucoup plus compliquée à Deir el-Zor qu’à Raqqa. C’est une zone où les tribus sont fortes et l’une des seules où l’EI et le régime s’affrontent directement. En comparaison, Raqqa est beaucoup plus calme et facile à gérer, même s’il y a aussi des bombardements de la coalition», explique un spécialiste du conflit syrien.
La guerre à Deir el-Zor a également piégé près de 200 000 civils, assiégés dans les quartiers contrôlés par le régime de Bachar al-Assad. Selon un communiqué de l’organisation Justice for Life in Deir el-Zor, publié en décembre, les habitants souffrent d’une pénurie alimentaire nourrie par l’explosion des prix des produits de base. Le kilo de riz vaut désormais 2 000 livres syriennes (8,3 euros) et celui de sucre coûte le double. En décembre, plus de la moitié des fours à pain ont cessé de fonctionner faute d’essence pour faire fonctionner les générateurs. L’électricité est coupée depuis près d’un an et l’approvisionnement en eau reste erratique.
Les activistes de Justice for life Deir el-Zor affirment que les soldats et les miliciens prorégime en profitent pour faire de la contrebande, l’armée syrienne continuant, elle, à recevoir de la nourriture. Ils dénoncent aussi l’attitude du Comité internationale de la Croix-Rouge (CICR) qui a annoncé avoir envoyé plus de 160 tonnes de nourriture et de matériel médical en 2015. Selon eux, le CICR ne s’est pas assuré que ces aides avaient bien été distribuées aux civils et non pas accaparées par des proches du régime.
Les habitants de ses quartiers sont aujourd’hui doublement piégés. Soit ils restent, souffrent de pénurie et risquent de mourir ou d’être enlevés lors de combats entre les forces du régime et l’EI, soit ils tentent de fuir mais doivent alors traverser des zones contrôlées par ces mêmes jihadistes.