• Nucléaire iranien : pourquoi la France a dit "non"

    Dernière modification : 11/11/2013 

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    Nucléaire iranien : pourquoi la France a dit "non"

    Nucléaire iranien : pourquoi la France a dit "non"
    © AFP

    Intransigeante, la diplomatie française a empêché la signature d’un accord lors des négociations sur le nucléaire iranien à Genève, le 9 novembre. Une position tranchée qui suscite, selon les camps, autant de critiques que de louanges.

    Par Marc DAOU (texte)
     

    Accusée tout au long du week-end d’avoir joué les trouble-fêtes à Genève par certains observateurs et diplomates, la France est désignée comme responsable de l’échec des pourparlers sur le nucléaire iranien. En effet, alors que l’Iran et les États-Unis faisaient miroiter au cours de ces derniers jours un accord imminent qui permette un allègement des sanctions contre Téhéran en échange de la suspension partielle de son programme atomique, la France s’est opposée à un projet intermédiaire au rabais.

    Le "non" français a notamment porté sur la question de la fermeture du réacteur d'Arak, produisant du plutonium susceptible d'être employé pour fabriquer la bombe atomique, et le sort du stock d'uranium fortement enrichi qui peut être également utilisé à des fins militaires.

    Si rien n’est encore joué, puisque les discussions ont été renvoyées au 20 novembre et que l'Iran s'est engagé lundi auprès de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) à prendre une série de mesures censées améliorer la transparence de son programme nucléaire, l’intransigeance française a fait le buzz.

     
    "Vive la France"
     
    La position de la France, qui disait craindre un marché de dupes par trop favorable à la République islamique, a ainsi enchanté les conservateurs américains, partisans d’une ligne dure sur le dossier nucléaire iranien. Le républicain John McCain, ex-candidat à la Maison Blanche, a lui aussi rendu hommage à Paris. "La France a eu le courage d'empêcher un très mauvais accord avec l'Iran", a-t-il écrit sur Twitter, avant d'ajouter en français dans le texte : "Vive la France !". Même le prestigieux Wall Street Journal a publié ce lundi un éditorial, intitulé lui aussi “Vive la France” et s’en étonne presque: “Nous n’aurions jamais pensé dire cela mais Dieu merci pour l’exceptionnalisme français!”
     
    Officiellement, la diplomatie française a mis en avant sa position traditionnelle de fermeté en matière de lutte contre la prolifération des armes comme la preuve qu'elle agit, dans le dossier du nucléaire iranien, par principe. Toutefois, son intransigeance, calculée ou pas, a sans aucun doute satisfait Israël et les pays du Golfe, qui non seulement craignent plus que tout une éventuelle bombe iranienne, mais qui sont également préoccupés par la détente actuelle qui prévaut entre leur allié américain et leur ennemi iranien.
     
    "Diplomatiquement, la stratégie de la France est payante auprès d’Israël, de la Turquie et surtout de l’Arabie saoudite, puisque Paris s’est posé comme l’interlocuteur privilégié de tout ceux qui ont une peur bleue de la bombe iranienne", décrypte Gauthier Rybinski, spécialiste des questions internationales à FRANCE 24. Il y va également des intérêts économiques de la France dans la région, où, ces derniers mois, Paris a multiplié les signatures de contrats notamment avec l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. La France compte également sceller assez rapidement un accord capital avec la monarchie wahhabite sur la livraison de missiles sol-air et pour la vente d'avions Rafale au Qatar.
     
    Une diplomatie qui agace
     
    Mais, sans surprise, cette posture n’a pas valu à la France que des louanges. La première salve de critiques a été lancée par Téhéran, où des élus et des médias officiels ont dénoncé l’intransigeance de sa diplomatie. "La France était pointée du doigt à Téhéran, mais aussi aux États-Unis, où l’on sentait poindre tout au long du week-end un sentiment d’agacement face à la décision française de faire cavalier seul", ajoute Gauthier Rybinski.
     
    Selon le journal "Le Monde", un membre de l'entourage du secrétaire d’État John Kerry a lâché à Genève une phrase qui en dit long : "Les Américains, l'Union européenne et les Iraniens travaillent intensément ensemble depuis plusieurs mois sur cette proposition et ceci n'est rien d'autre qu'une tentative de M. Fabius de se montrer pertinent à un stade tardif des négociations". Il est vrai que, pressée de conclure un accord pour redorer son blason terni par ses tergiversations sur la crise syrienne, Washington était prêt à signer l’accord qui n’a pas donné satisfaction aux Français. Depuis, John Kerry a rejeté, ce lundi, sur Téhéran l’échec d’un accord à Genève. "Le groupe des 5+1 était unifié samedi lorsque nous avons présenté notre proposition aux Iraniens, (...) mais l'Iran ne pouvait l'accepter, à ce moment particulier, ils n'étaient pas en mesure d'accepter", a-t-il déclaré.
     
    Un désir de revanche
     
    Interrogé sur la position de la France et les accusations de blocage des pourparlers, Laurent Fabius a estimé que "les choses ne se présentent pas comme ça". “Certains disent ‘la France est isolée, elle est suiviste’”, a-t-il déclaré, ce lundi sur les ondes d’Europe 1. “La France n’est ni isolée, ni suiviste, la France est indépendante, elle travaille pour la paix. Nous sommes fermes, nous ne sommes pas fermés, et j'ai bon espoir qu'on arrive à un bon accord”.
     
    D'après plusieurs sources officielles françaises citées par le journal "Le Monde", la France, sachant que les Américains et les Iraniens discutaient en bilatéral depuis plusieurs semaines, redoutait que Washington ne cherche à court-circuiter ses partenaires du groupe des "5 + 1", lors de la reprise des discussions avec Téhéran.
     
    "Échaudés depuis qu’ils se sont retrouvés esseulés en rase campagne après la volte-face d’Obama sur le bombardement punitif contre le régime syrien, les Français sont sans doute animés par un désir de revanche", note Gauthier Rybinski. Et un esprit de méfiance. Et ce, sans compter la déception de l’Élysée provoquée par les réticences de l’administration américaine à soutenir l'intervention militaire au Mali, qui avait pour objectif de bloquer la progression de groupes extrémistes affiliés à Al-Qaïda.
     
    Toutefois, cette politique adoptée par la France, qui a retardé la signature d’un accord, même insatisfaisant, n’est pas sans risque. "L’attitude française, qui est à la fois justifiée par des raisons techniques et diplomatiques, est politiquement à double tranchant, car à Téhéran, l’aile dure du régime guette avidement tout échec, même partiel, des négociations pour discréditer et démolir le président Hassan Rohani, qui avait promis la levée des sanctions en tendant la main à l’Occident".

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