Le G8 qui s'ouvre lundi 17 juin à Lough Erne, en Irlande du Nord, sera-t-il enfin le début d'une réelle lutte contre l'évasion fiscale des multinationales ? On se souvient des déclarations de Nicolas Sarkozy en 2009, lors du sommet de Pittsburgh : "Les paradis fiscaux, la fraude bancaire, c’est terminé." Depuis, les banques françaises n'affichent plus de filiales dans les pays figurant sur la liste des paradis fiscaux de l'OCDE ? C'est un trompe l'oeil : elles sont toujours présentes dans les nombreux Etats qui en sont sortis, qui se sont conformés aux critères de l'OCDE, mais qui sont toujours très avantageux fiscalement. "Il n'y aurait plus de paradis fiscaux ? Ce n'est pas vrai", expliquent les spécialistes, qui jugent que le Luxembourg, l'Autriche, l'Etat du Delaware, ou la City de Londres devraient en faire partie.
Cette réunion des grandes puissances aboutira-t-elle de nouveau à de simples déclarations d'intentions ? Les récentes publications rapportant les montants des impôts payés par les grandes multinationales donnent froid dans le dos. Le taux d'imposition moyen des entreprises du CAC 40 ne dépasse pas 10%. Loin des 33% en vigueur ! L'une des deux plus grosses capitalisations boursières mondiales, Apple, ne paie presque aucun impôt dans les pays où elle commercialise ses produits par millions. Même chose pour Amazon ou Google, qui ont-elles aussi optimisé leurs structures, au grand dam des membres du G8, qui tentent de rétablir leurs finances publiques à coup de coupes budgétaires ou de hausses d'impôts. Sans parvenir à stopper la fuite des flux financiers en dehors de leurs frontières.
La bataille est-elle perdue ? "Non, il n’y a pas que des mauvaises nouvelles", estime le ministre du Développement, Pascal Canfin. L'ancien eurodéputé en pointe sur tous les sujets financiers, rappelle que "même si cela ne fait pas la une du 20 heures, il y a eu ces trois derniers mois des avancées majeures pour imposer aux grandes entreprises davantage de transparence, notamment fiscale". Et selon l'ancien membre de Finance Watch, la France a montré l’exemple.
Transparence pour les banques et le CAC 40 en France
La réforme bancaire présentée en février prévoit d'obliger les banques françaises à publier des informations détaillées sur leurs activités dans chaque pays étranger : effectifs, chiffre d'affaires, bénéfices, impôts, etc. Des informations particulièrement intéressantes dans les paradis fiscaux, mais insuffisantes pour toucher les grandes multinationales.
Toutefois lors de son vote en 2e lecture à l'Assemblée nationale mercredi 5 juin, le chapitre transparence de la réforme bancaire a été considérablement renforcé : un amendement PS a étendu ces obligations aux grandes entreprises, dont la taille sera fixée par décret du ministre de l'Economie. "Au minimum, tout le CAC 40 sera concerné", précise la députée PS Karine Berger, rapporteur de la loi. Pour ne pas pénaliser les entreprises françaises, cette mesure ne sera applicable "que lorsque la Commission européenne aura légiféré", a précisé le ministre des Finances Pierre Moscovici.
Ce n'est pas tout. Dans un rapport publié jeudi 6 juin, l'Inspection des finances préconise une batterie de mesures pour lutter contre l'optimisation des prix de transferts, ces flux financiers internes à un groupe qui permettent de délocaliser les bénéfices dans les pays les plus généreux fiscalement. "Elles inspireront celles du gouvernement", affirment Pierre Moscovici, ministre de l'Economie et Bernard Cazeneuve, délégué au Budget. Là encore, un travail international sera nécessaire.
Banques et sociétés exploitant les ressources naturelles dans le viseur européen
Une directive européenne prévoit l'obligation pour les banques européennes de publier leurs informations dans tous les pays du monde dès 2014. Par ailleurs, début avril, le Parlement et les Etats membres se sont mis d'accord sur un texte imposant aux entreprises minières, pétrolières, gazières et forestières de publier l'ensemble des flux financiers avec les Etats où elles opèrent. "Cet accord assure que les exigences de publication s’appliquent à l’ensemble des sociétés exerçant des activités dans ces domaines, cotées en Europe", explique le Commissaire Michel Barnier.
Et les autres multinationales ? Le 23 mai, le Conseil européen a décidé détendre la transparence imposée aux institutions financières. "Il faut que toutes les grandes entreprises dont on a beaucoup parlées récemment comme Apple, Google ou Amazon – mais pas seulement celles-là – soient obligées de dire combien elles paient d'impôts, à qui et où", déclarait le même jour Michel Barnier lors d'un discours à Amsterdam. Pour l'instant, cependant, la Commission réfléchit encore au moyen législatif qui permettrait de rendre cette décision effective.
La fin de l'évasion fiscale des multinationales est-elle proche ?
La transparence est une étape nécessaire. "C'est la première clé de la responsabilité et de la lutte contre l'évasion fiscale", estime Michel Barnier. Une fois que les administrations sauront où est l'argent, elles pourront mettre en place des impôts reposant sur des assiettes larges. Il leur restera ensuite à s'accorder sur le moyen d'en prélever une partie équitablement. Sur ce point, la communauté internationale avance doucement. Avec le soutien des Etats-Unis et du Royaume-Uni, l'OCDE a récemment engagé des travaux sur la question. Et le Premier ministre britannique David Cameron a multiplié les déclarations à l'approche du G8 qu'il préside :
Nous savons bien qu'avec la mondialisation, aucun pays n'est en mesure, par lui-même, de s'attaquer effectivement à l'évasion fiscale et aux techniques d'évitement les plus agressives. Mais puisque nous formons un groupe de huit économies majeures, nous avons l'occasion de galvaniser des interventions collectives à l'échelle internationale. Chacun de nous a intérêt à pouvoir dire à ses contribuables respectifs, qui travaillent dur et paient la part d'impôts qui leur revient, que nous allons nous assurer que tous les autres en font autant."
Toutefois, il reste du chemin à parcourir. Sur le secret bancaire, qui facilite l'évasion fiscale des particuliers, l'Union européenne ne parvient pas à mettre en place un système d'échange automatique des données entre pays, à laquelle le Luxembourg et l'Autriche sont opposés. Ainsi, lors du dernier sommet européen, comme le rapportait le Monde, le Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker glissait : "Les paradis fiscaux, le secret bancaire, c’est fini, disait Sarkozy il y a trois ans. Les présidents français ont le sens de l'humour."