• Pas de nucléaire sans vraie autorité de sûreté

    Pas de nucléaire sans vraie autorité de sûreté

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    François Lévêque | 28/09/2012, 07:14 - 

    A l'origine de la catastrophe de Fukushima, la régulation publique de la sûreté nucléaire au Japon s'est avérée absente, incohérente ou inappliquée. Elle n'existe toujours pas, alors que des centrales nippones sont rouvertes...

    Que mes amis japonais me pardonnent. C'est bien à eux qu'il appartient d'arbitrer entre le bénéfice d'une énergie à meilleur marché et le risque toujours possible d'un nouvel accident majeur sur le parc existant. Il est pourtant légitime de les exhorter à ne pas relancer des réacteurs avant que la nouvelle autorité de sûreté nucléaire soit à pied d'œuvre.
    Bien sûr, chaque nouvel accident rend moins probable des catastrophes analogues ailleurs, et les failles qui en sont à l'origine ont permis d'améliorer la sûreté sur quasiment l'ensemble du parc mondial. À la suite de Fukushima Daiichi, la protection des groupes électrogènes de secours contre les inondations a été partout revue pour les centrales en bord de fleuve ou de littoral. Bien sûr, l'émotion soulevée par les nouveaux accidents n'a toujours pas conduit à des décisions hasardeuses (dépenses de sûreté coûteuses inutiles, brusque virage de politique énergétique...). Les attentats terroristes du 11 septembre 2001 ont par exemple conduit pendant quelque temps les Américains à moins prendre l'avion et plus leur voiture. En trois mois, le nombre de morts supplémentaires sur la route a dépassé celui des passagers qui ont péri dans des avions détournés. L'effet domino et global des accidents nucléaires rend donc légitime l'intrusion des étrangers dans les débats japonais.
    Il faut donc leur dire que c'est l'absence de régulation effective de la sûreté nucléaire au Japon qui est à l'origine de Fukushima Daiichi et que, là, rien n'a bougé. La cause immédiate réside bien sûr dans la conjugaison d'un séisme et d'un raz-de-marée, tous deux de très grande ampleur. Environs de la centrale dévastés, réseau électrique coupé, diesels de secours noyés, refroidissement des réacteurs empêché, la centrale est restée sans alimentation électrique pendant onze jours. Il ne s'agit cependant pas d'un double événement imprévisible, ni même imprévu - sauf à la construction, à la fin des années 1960.

    Plus difficile de fermer une centrale que de s'opposer à son redémarrage

    Depuis, les connaissances scientifiques des sismologues ont progressé. La digue initiale de six mètres aurait dû être rehaussée. Mais le régulateur de la sûreté est resté muet et inactif. Il a laissé l'opérateur de la centrale, Tepco, agir, ou plutôt ne pas agir, à sa guise. Ainsi la régulation publique de la sûreté nucléaire au Japon est-elle restée absente, incohérente ou inappliquée. Le président de la Commission pour la sûreté nucléaire a reconnu que « jusqu'à aujourd'hui, les réglementations en matière de sûreté sont le fruit d'une collusion entre les électriciens et les autorités de sûreté. Les premiers proposaient les normes de sûreté les moins coûteuses, et les secondes les approuvaient. Ce qui a conduit à un système vicieux dans lequel les électriciens ne faisaient rien et justifiaient leur inaction en disant que le gouvernement avait approuvé les normes de sûreté ».Les caractéristiques de la nouvelle autorité de sûreté en gestation marquent en creux les défaillances d'hier : indépendance vis-à-vis de l'industrie et des pressions politiques, transparence des décisions, dotation en ressources humaines de qualité, efforts de collecte d'information en propre et dans le suivi des connaissances scientifiques. Mais, dix-sept mois après la catastrophe, elle n'a toujours pas vu le jour. La nomination de son président n'a pas encore été validée par les parlementaires ; les services non encore réorganisés. Et pourtant deux centrales ont déjà été redémarrées. Toute nouvelle autorisation décrédibiliserait cette autorité avant même sa naissance. Un redémarrage précoce signalerait que la nouvelle institution compte pour peu de chose, que la réforme réglementaire est en fait uniquement cosmétique. Ou, à l'inverse, que le gouvernement craignant une agence de sûreté trop peu malléable cherche à la mettre devant le fait accompli. Il est en effet plus difficile pour un nouveau régulateur d'enjoindre le gouvernement de fermer une centrale pour des raisons de sécurité que de s'opposer à son redémarrage. Dans les deux cas, la confiance des Japonais dans la sûreté nucléaire ne pourra être rétablie, et le regard des étrangers restera suspicieux.
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    François Lévêque est professeur d'économie à Mines ParisTech, membre du Club des économistes de l'énergie.


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