Les marchés pétroliers sont à la recherche de la moindre décision susceptible de faire remonter les cours. Ils viennent d’en trouver une : la perspective d’une réunion, courant février, entre les pays producteurs, membres ou non de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), qui pourrait déboucher sur une baisse de production de brut. Les prix sont remontés, jeudi 28 janvier, pour terminer à 34,48 dollars le baril de Brent à Londres et à 33,68 dollars le baril de WTI à New York.
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« Certains pays ont proposé une telle initiative et la question est actuellement étudiée par les différents pays, a annoncé, jeudi, le ministre russe de l’énergie. De notre côté, nous avons confirmé la possibilité de notre participation. » Alexander Novak a évoqué une « coordination » avec l’OPEP dans un contexte où les prix sont tombés, mi-janvier, sous les 28 dollars le baril.
« Actuellement, les pays de l’OPEP tentent de convoquer une réunion avec la participation de pays membres de l’OPEP et de pays non-membres en février », a déclaré M. Novak, cité par les agences russes.
M. Novak est allé plus loin en indiquant que le royaume saoudien, chef de fil des treize membres de l’OPEP, avait plusieurs fois proposé de réduire la production pétrolière de chaque pays jusqu’à 5 % pour soutenir les prix. L’Arabie saoudite ne serait pas hostile à une telle baisse, pourvu qu’elle soit partagée ; mais elle ne voudrait pas supporter seule les efforts de rééquilibrage du marché au détriment de ses parts de marché.
Véritable retournement
Une telle issue constituerait un véritable retournement. Jusqu’à présent, le cartel s’est montré divisé et Riyad a imposé sa stratégie, qui a entraîné un effondrement des prix (- 70 % depuis juin 2014). Tous ses membres pompent désormais au maximum de leurs possibilités, sauf l’Arabie saoudite, pour conserver leurs parts de marché. La Russie a pris part à ce mouvement effréné : sa production quotidienne a atteint 10,7 millions de barils en 2015, un record depuis la chute de l’Union soviétique en 1991.
Pour l’heure, l’Arabie saoudite n’a pas réagi officiellement, et la perspective de voir l’OPEP changer de politique en resserrant les vannes s’éloigne. Quatre membres du cartel ont même indiqué n’avoir jamais entendu parler des discussions évoquées par M. Novak.
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Malgré un lourd déficit budgétaire en 2015 et 2016, l’Arabie Saoudite n’est pas aux abois. Il n’en va pas de même en Russie, dont 50 % des recettes budgétaires proviennent du pétrole et du gaz. Déjà frappée par les sanctions occidentales imposées après l’annexion de la Crimée, elle est entrée en 2016 dans sa deuxième année de récession, avec un rouble à son plus bas historique face au dollar. Le gouvernement doit sortir de cette situation. « Si les prix restent longtemps à un bas niveau, une certaine baisse [de la production] est possible, a récemment déclaré le vice-premier ministre, Arkadi Dvorkovitch. Nos partenaires le savent. »
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On peut s’interroger sur le terme de « partenaires » s’agissant notamment des pétromonarchies du golfe. La Russie n’a qu’une place d’observateur à l’OPEP. Le cartel et la Russie pèsent certes 40 % de la production mondiale, mais ils n’ont jamais voulu coordonner leur action. Quand Riyad, Abou Dhabi ou Koweït City resserraient les vannes, Moscou profitait de la remontée des cours sans avoir à réduire sa production, sinon à la marge. En outre, les deux pays ont des intérêts politiques divergents au Moyen-Orient : la Russie soutient le régime de Bachar Al-Assad et son allié iranien, l’ennemi juré du royaume saoudien.
Prudence
Il faut donc prendre ces annonces avec beaucoup de prudence. Il faudrait aussi que la Russie et ses nombreux producteurs fassent preuve de discipline. Rien n’est moins sûr. M. Novak les a bien réunis, mercredi, pour leur proposer « une possible coordination » avec l’OPEP. Mais la concurrence est rude au sein même du pays qui, par ailleurs, ne dispose pas de grandes capacités de stockage, indiquent les experts. L’année 2015 a prouvé que tant que le prix du baril est au-dessus des coûts opérationnels d’extraction, les compagnies continuent de pomper.
En septembre 2015, le PDG du géant public Rosneft indiquait que l’OPEP avait proposé à la Russie de la rejoindre. Mais plusieurs éléments rendent cette démarche utopique, de l’aveu même d’Igor Setchine, un proche de Vladimir Poutine. Une partie de la production est assurée par des sociétés privées qui ne sont pas aux ordres du Kremlin, « ce qui est atypique pour les pays de l’OPEP », où la compagnie publique est le plus souvent une excroissance de l’Etat. En outre, les conditions climatiques extrêmes du Grand Nord et de Sibérie rendent difficile une régulation rapide de la production russe. Et, plus profondément, Moscou ne peut envisager de soumettre sa production - et ses recettes budgétaires - aux décisions d’un cartel international.
Quant aux Etats-Unis (environ 9,5 millions de barils par jour), en partie responsables de la surproduction actuelle et de l’effondrement des prix, ils n’ont pas vocation à se rendre à une telle réunion. Seule la loi d’airain du marché fera plier les oilmen texans. Et certains analystes se demandent si la Russie n’entretient pas à dessein la rumeur d’une telle réunion pour faire remonter les prix.
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