"La biodiversité n'a jamais été dans un si mauvais état et elle continue à décliner." C'est cette conclusion des plus pessimistes que rend le directeur de la section biodiversité du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), Neville Ash, alors que débute, lundi 8 octobre, la conférence de l'ONU sur la biodiversité biologique de Hyderabad (Inde). Pendant deux semaines, 160 pays vont tenter de concrétiser les engagements ambitieux pris il y a deux ans à Nagoya, lors de la précédente conférence, afin d'esquisser des remèdes à l'érosion toujours plus rapide des espèces et des écosystèmes.
- Près du tiers des espèces menacées
Selon la Liste rouge de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), inventaire de référence actualisé chaque année, 19 817 espèces s'avèrent menacées dans le monde, sur les 63 837 que l'organisme a passées en revue : 3 947 sont classées dans une situation critique, 5 766 comme en danger et 10 104 comme vulnérables. Dans le détail, 41 % des espèces amphibies, 33 % des barrières de corail, 25 % des mammifères, 20 % des plantes et 13 % des oiseaux sont menacés.
"Il s'agit d'une tendance de fond très inquiétante, qui touche toutes les espèces, tous les milieux et tous les continents, s'alarme Florian Kirchner, chargé du programme Espèces à l'UICN. Chaque année, la Liste rouge s'étoffe, parce que nous évaluons de nouvelles espèces, mais aussi parce que la proportion d'espèces menacées dans le monde ne cesse d'augmenter." Une tendance qu'illustre l'indice Liste rouge (Red list index, RLI), qui mesure les risques d'extinction des espèces, en relevant les diminutions plus ou moins rapides d'effectifs.
<figure class="illustration_haut"> </figure>Entre 1970 et 2008, la biodiversité dans son ensemble a diminué de 28 %, selon un autre indice, l'indice Planète vivante du WWF, qui suit 9 014 populations appartenant à 2 688 espèces de mammifères, oiseaux, reptiles, amphibiens et poissons.
<figure class="illustration_haut"> </figure>Lire : La pression des pays riches sur les ressources des plus pauvres s'aggrave
Au final, la majorité des scientifiques s'accordent à décrire le rythme actuel d'extinction des espèces comme 100 à 1 000 fois supérieur au taux moyen d'extinction depuis l'apparition de la vie sur Terre. En mai 2011, deux biologistes, l'Américain Stephen Hubbell et le Chinois Fangliang He, avaient toutefois estimé, dans la revue Nature, que ces chiffres étaient jusqu'à deux fois supérieurs à la réalité. "Cela ne change pas la donne : même avec un rythme deux fois plus lent, l'érosion actuelle de la biodiversité reste toujours 50 à 500 fois supérieure à l'extinction naturelle des espèces, ce qui est extrêmement rapide", observe Florian Kirchner.
Une tendance qui pousse de plus en plus de scientifiques à avertir que nous sommes entrés dans la "sixième grande extinction" des espèces, la dernière remontant à la fin du Crétacé et des dinosaures il y a 65 millions d'années. "Les cinq précédentes grandes extinctions sont toutes dues à des phénomènes sismiques ou cataclysmiques. Cette fois, il s'agit de l'action de l'homme sur la Terre", note M. Kirchner. En cause, essentiellement : la surpêche, la déforestation, les pollutions ou le changement climatique.
- Des écosystèmes qui s'érodent
Loin de se limiter à la question de la disparition des espèces, cette érosion de la biodiversité touche les écosystèmes dans leur ensemble. L'Evaluation des écosystèmes pour le millénaire, rapport publié par l'ONU en 2005, montrait ainsi que sur les 24 services rendus par les écosystèmes, liés à l'approvisionnement (en aliments, ressources naturelles, eau douce, ressources médicales) ou à la régulation (photosynthèse, régulation du climat, prévention de l'érosion ou pollinisation), 60 % étaient dégradés.
Cinq grandes pressions sont pointées du doigt : la dégradation des habitats et des milieux naturels (comme la déforestation, qui se poursuit à un rythme de 13 millions d'hectares par an dans le monde), la surexploitation des ressources naturelles (75 % des stocks de poissons sont surexploités), l'introduction d'espèces invasives par le commerce (qui concurrencent les espèces locales, essentiellement sur les îles, où les grands prédateurs sont plus rares), les pollutions (hydrocarbures, polluants organiques persistants ou métaux lourds) et le changement climatique.
"Cette érosion menace la capacité de la Terre à produire sufisamment de ressources renouvelables et à absorber le CO2 que nous générons, prévient Christine Sourd, directrice adjointe des programmes de conservation au WWF. Elle met par ailleurs en danger les conditions d'existence de milliards d'êtres humains qui en dépendent pour leur subsistance." En 2010, l'économiste indien Pavan Sukhdev avait comptabilisé les services rendus par la nature, estimant que l'érosion de la biodiversité coûtait entre 1 350 et 3 100 milliards d'euros par an. Les pays en développement sont les plus concernés par ces atteintes au fonctionnement du milieu naturel.
- Des mesures à mettre en œuvre
Les pays négociant dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique de l'ONU ont adopté, en 2010, à Nagoya, un plan stratégique fixant vingt objectifs pour 2020, appelés les "cibles d'Aïchi". Il s'agit notamment de supprimer les subventions néfastes à l'environnement, de réduire le rythme actuel d'appauvrissement de tous les habitats naturels, d'éviter la surexploitation des stocks de poissons, d'étendre les aires protégées terrestres et maritimes mais aussi d'augmenter les financements.
"Il est maintenant urgent de prendre des mesures concrètes pour appliquer ces engagements. Chaque pays doit mettre en place une stratégie nationale pour la biodiversité, ce qu'a fait la France l'an dernier, et surtout il faut trouver les ressources financières suffisantes, explique Sébastien Moncorps, directeur de l'UICN France. La France, qui possède le deuxième domaine maritime mondial, a notamment un grand rôle à jouer."
A Hyderabad, un groupe d'experts a calculé le montant à investir dans les pays en développement sur la période 2014-2018 pour atteindre les cibles d'Aïchi : entre 74 milliards et 191 milliards de dollars (57 milliards et 147 milliards d'euros). Soit, sur quatre ans, un budget trois à huit fois supérieur au financement que l'on estime aujourd'hui être consacré à la biodiversité par les bailleurs de fonds publics et le mécénat.
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