Il est encore trop tôt pour établir son degré de responsabilité dans les attentats qui ont fait au moins 129 morts à Paris et Saint-Denis, vendredi 13 novembre. Mais les enquêteurs ont désormais une certitude : Abdelhamid Abaaoud, un djihadiste belge qui a rejoint les rangs de l’Etat islamique (EI) au début de 2013, a participé d’une façon ou d’une autre à l’élaboration des attaques simultanées qui ont endeuillé la capitale française.
Il est établi qu’Abdelhamid Abaaoud est un proche de l’un des auteurs présumés de l’attaque : Salah Abdeslam, actuellement en cavale et frère du kamikaze qui s’est fait exploser dans le bar Comptoir Voltaire (11e arrondissement) sans faire de mort. Les deux hommes ont été incarcérés ensemble en 2010 en Belgique pour des affaires de braquage.
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Cible potentielle des frappes aériennes françaises
Or Abdelhamid Abaaoud, un Belge de 28 ans originaire de Molenbeek-Saint-Jean, est une des figures les plus médiatiques du djihadisme belge en raison notamment de son activité sur les réseaux sociaux depuis 2013. Il est par ailleurs considéré depuis plusieurs mois par les services de renseignement français comme l’un des principaux architectes des projets d’attaques visant le sol français.
Les enquêteurs le soupçonnent fortement, sans que son degré d’implication puisse être établi avec certitude, d’avoir joué un rôle dans l’attentat avorté contre une église de Villejuif, le 19 avril 2015, un projet déjoué d’attaque contre une salle de concert, dont l’auteur avait été interpellé le 11 août, et l’attaque du Thalys dix jours plus tard, le 21 août. Il était également en contact avec Mehdi Nemmouche, le tueur du Musée juif de Bruxelles du 24 mai 2014.
Selon une source proche des services de renseignement, cet individu était considéré comme suffisamment dangereux pour que son nom ait circulé à la fin de septembre comme étant une des cibles potentielles des frappes aériennes françaises.
Cerveau présumé d’un réseau démantelé en Belgique
Abdelhamid Abaaoud, alias Abou Omar Al-Soussi, fait pour la première fois les gros titres de la presse quelques jours seulement après les attentats du 7 janvier contre Charlie Hebdo. Il est en effet considéré comme le cerveau d’un réseau démantelé le 15 janvier à Verviers, en Belgique, dont deux membres avaient été tués par les forces de police belges.
Cette cellule projetait de passer à l’acte le 16 janvier et pouvait, selon les écoutes effectuées, compter sur l’appui d’une dizaine d’« étrangers ». Déjà à l’époque, les enquêteurs belges collaboraient étroitement avec divers services européens pour tenter de déterminer jusqu’où s’étendait ce réseau et creuser ses éventuelles ramifications avec la France.
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Le 19 avril 2015, Sid Ahmed Ghlam, un étudiant algérien, est interpellé après s’être tiré une balle dans la jambe. Il est soupçonné d’avoir assassiné une jeune femme à Villejuif et d’avoir projeté de mitrailler le matin même la sortie de messe d’une église dans la ville.
En l’état actuel de l’ enquête, Abdelhamid Abaaoud n’apparaît pas avec certitude comme un commanditaire de cette opération. Les enquêteurs le suspectent par contre fortement d’être impliqué dans le projet, explique au Monde une source policière.
« Ils cherchent vraiment à frapper la France et l’Europe »
Le 11 août, un djihadiste français, Reda Hame, est interpellé à son retour de Syrie. Il reconnaît en garde à vue s’être entraîné pendant six jours dans un camp de Rakka avant d’être missionné pour rentrer en Europe. Cette fois-ci, le nom d’Abdelhamid Abaaoud apparaît de façon explicite. Il est désigné comme le commanditaire qui aurait demandé à Reda Hame de passer par Prague, pour éviter d’être repéré, avant de frapper la France. Il aurait remis au jeune homme une clé USB contenant des logiciels de cryptage et 2 000 euros en lui demandant de viser une cible « facile », telle une « salle de concert », pour « faire un maximum de victimes ».
Interrogé durant sa garde à vue sur l’existence d’autres projets d’attaques, Reda Hame avait prévenu les enquêteurs : « Tout ce que je peux vous dire, c’est que cela va arriver très bientôt. Là-bas, c’était une vraie usine, et ils cherchent vraiment à frapper la France et l’Europe. »
Dix jours plus tard, un homme est maîtrisé dans un train Thalys alors qu’il s’apprête à faire usage d’une kalachnikov et d’un pistolet automatique Luger. Né à Tétouan, dans le nord du Maroc, le suspect, Ayoub El-Khazzani, avait séjourné quelque temps en Belgique avant de passer à l’acte. Comme dans le dossier de l’église de Villejuif, le nom d’Abdelhamid Abaaoud revient avec insistance sans que son degré d’implication puisse être établi avec certitude. L’assaillant du Thalys aurait été en lien avec une mouvance djihadiste belge proche d’Abdelhamid Abaaoud.
L’analyse téléphonique a par ailleurs permis d’établir qu’Abdelhamid Abaaoud avait été en contact avec Mehdi Nemmouche en janvier 2014, quatre mois avant le quadruple assassinat du Musée juif de Belgique, à Bruxelles. Selon le journaliste spécialisé dans les mouvements djihadistes David Thomson, Abdelhamid Abaaoud a d’ailleurs fait partie du groupe de combattants auquel appartenait Mehdi Nemmouche.
Des allers-retours entre la Syrie et la Belgique
Le parcours d’Abdelhamid Abaaoud est une preuve édifiante des ratés des services de renseignement belges. Parti en Syrie au début de 2013, il serait rentré en Belgique à la fin de cette même année en passant par la Grèce pour repartir ensuite sans être inquiété par les autorités belges, explique une source proche du dossier. En mars 2014, il apparaît dans une vidéo de propagande de l’Etat islamique à bord d’un véhicule traînant des cadavres au sol.
En février 2015, Abdelhamid Abaaoud s’était vanté dans le magazine de l’Etat islamique Dabiq de ses multiples allers-retours entre la Syrie et la Belgique. Selon David Thomson, il affirme avoir séjourné en Belgique jusqu’à l’attentat déjoué de Verviers, en janvier 2015, qui l’aurait incité à regagner la Syrie… sans être intercepté.