On se rebiffe dans les conseils généraux. Ce mercredi, ce sont les Hauts-de-Seine qui ont voté contre le projet de redécoupage de leurs cantons par le ministère de l’Intérieur. Le Cher et le Loir-et-Cher en débattront vendredi, probablement pour rejeter à leur tour le futur tracé qui doit être mis en place pour les élections départementales de 2015. Sur le Web, les slogans, «cantons redécoupés, ruralité sacrifiée» ou «touche pas à mon canton» essaiment. Sur le terrain, de nombreux élus en ont des sueurs froides. Explications sur ce blocage.

Pourquoi fallait-il un redécoupage ?

Afin d’instaurer la parité dans les conseils généraux, le gouvernement a modifié le mode de scrutin dans la loi du 17 mai 2013. Chaque canton élira non pas un conseiller général mais un binôme homme-femme. Une mesure inédite qui a ulcéré la droite, très remontée contre ce principe de «double commande sur un même canton» qu’elle juge ingérable. Pour ne pas doubler le nombre d’élus, il fallait diviser par deux le nombre de cantons et donc redessiner la carte.

L’occasion aussi de coller à l’actuelle réalité démographique. Car, à part quelques retouches, il n’y a pas eu de refonte générale de la carte des cantons depuis leur création… en 1801. Plus de deux siècles au cours desquels les populations ont énormément bougé, désertant certains territoires, affluant vers d’autres. Dans la moitié des départements, cet écart de population dépasse «un rapport d’un à dix», selon le ministère de l’Intérieur. Le rapporteur de la loi du 17 mai 2013, le député PS Pascal Popelin, a même débusqué le record, dans l’Hérault avec un canton «47 fois plus peuplé que le canton le moins peuplé du département».

Pourquoi la droite râle-t-elle ?

«Tripatouillage», «charcutage», la droite se croit la grande sacrifiée du découpage de Manuel Valls. En décembre, Bernadette Chirac s’est plainte de voir son canton corrézien «partagé en trois lopins de terre acrrochés à des territoires qui n’ont rien à se dire». François Sauvadet (UDI), le président du conseil général de Côte-d’Or qui a voté contre le projet de redécoupage lundi, s’alarme d’une «mise à mort politique des territoires ruraux». Son collègue (UMP) de Charente-Maritime, Dominique Bussereau, regrette un manque de concertation : «Les préfets ont fait un semblant de consultation mais nous ont dit mezza voce que ce n’était pas eux mais le PS qui tenait les ciseaux.» «Je ne voulais pas ne rien changer depuis Napoléon, mais le résultat c’est une tentative de hold-up électoral du PS», attaque Guillaume Larrivé, porte-parole du groupe UMP sur le texte. Plusieurs cantons de droite fondus en un seul, un petit morceau de territoire très à gauche collé à un canton de droite pour le faire basculer : l’UMP accuse la majorité d’avoir fait un découpage partial.

Impossible, se défend Pascal Popelin (PS), selon lequel le gouvernement n’a pas tant de marges de manœuvre et ne peut jouer à sa guise avec les bouts de canton. Surtout, il assure que le critère démographique a prévalu. «Lors du débat parlementaire, le gouvernement a accepté d’introduire des exceptions pour tenir compte des contraintes géographiques d’un territoire comme un cours d’eau, un vallée encaissée», raconte Popelin qui rappelle que c’est le Conseil constitutionnel qui a balayé ces dérogations pour s’en tenir au stict principe d’égalité devant le suffrage. Quant à la disparition de cantons ruraux, elle serait logique puisque ce sont plutôt ses territoires qui perdent des habitants, selon le socialiste.

Le bras de fer UMP-PS est aussi un grand classique des redécoupages. En 2008, quand le secrétaire d’Etat Alain Marleix a redessiné la carte des circonscriptions législatives, le PS a de même hurlé au «charcutage».

Quels sont les recours possibles ?

Les conseils généraux ont reçu les projets de carte électorale du ministère de l’Intérieur et en débattent. D’après un relevé de l’Aserdel - association regroupant les élus départementaux de droite et du centre -, une quarantaine se sont déjà prononcés. Tous les départements tenus par l’UMP ou l’UDI (Côte-d’Or, Gard, Aisne, Sarthe) ont voté contre, sauf la Haute-Loire et quatre départements de gauche ont rejeté le projet (l’Aisne, le Puy-de-Dôme, le Tarn-et-Garonne et la Seine-saint-Denis). Mais la Place Beauvau garde la main, l’avis rendu étant consultatif.

Une fois les décrets sur le découpage publiés - a priori début février -, chaque élu ou citoyen pourra le contester auprès du Conseil d’Etat. L’UMP Dominique Bussereau mise sur des centaines de recours et doute que le gouvernement pourra boucler sa carte comme prévu le 1er mars, un an avant les élections de 2015. Pascal Popelin, lui, ne s’affole pas de la grogne des conseils généraux : les élus «hommes» qui, parité oblige, ont des chances de voir leur poste sauter ou ceux qui voient leur canton disparaître «n’ont pas forcément un sens de l’abnégation consistant à applaudir». Mais il prédit que le Conseil d’Etat n’invalidera qu’à la marge les nouveaux tracés.

Laure EQUY