Chapeau anglais vissé sur la tête, pipe dans la main gauche, loupe dans la main droite : Sherlock Holmes est depuis maintenant plus d’un siècle l’archétype du détective. C’est aussi une inépuisable source d’inspiration artistique et un des personnages de fiction les plus représentés au cinéma.
Un engouement dont les ayants droit de l’auteur, Sir Arthur Conan Doyle, entendaient depuis des années tirer profit, bien que la majorité des célèbres aventures soient déjà dans le domaine public, à l’exception de dix nouvelles encore protégées par le droit d’auteur.
DES AYANTS DROIT GOURMANDS ?
Arguant que le personnage créé par Conan Doyle était unique et ne pouvait voir sa personnalité changer au gré des différentes adaptations, les ayants droit souhaitaient étendre la protection à l’ensemble de l’univers d’Holmes. Dès lors, la simple présence dans une œuvre du détective, de son fidèle Watson ou de son nemesis Moriarty aurait suffi à réclamer le paiement de droits d’utilisation.
Lorsque l’éditeur américain Leslie Klinger a souhaité publier une anthologie d’histoires inédites, les ayants droit lui ont réclamé 5 000 dollars, bien que son recueil ne contienne aucune référence aux nouvelles toujours protégées. Refusant de payer, Leslie Klinger s’est heurté à une forme de chantage et à des menaces de blocage de la diffusion de son livre sur des plates-formes comme Amazon. Il s’est alors retourné contre les ayants droit et a été conforté par la justice. Les héritiers ont décidé de faire appel.
DOMAINE PUBLIC
La nouvelle décision, rendue le 16 juin dernier, a confirmé le verdict : Sherlock Holmes est dans le domaine public et son utilisation est libre, à l’exception des dix nouvelles encore sous droit d’auteur.
Pour Pierre Lautier, avocat franco-américain spécialisé en droit de la propriété littéraire et artistique, la démarche des ayants droit est pourtant compréhensible. « À partir du moment où certains éléments sont encore protégés, il m’apparaît normal que les détenteurs de ces droits gardent la main sur le personnage. »
Si la liberté d’utilisation est désormais très large, les éléments contenus dans les nouvelles sous protection du droit d’auteur restent pour leur part inutilisables. La Société Sherlock Holmes de France (SSHF) rappelle ainsi que « Le Vampire du Sussex » est toujours protégé et que dès lors, la référence au passé de rugbyman de Watson implique de passer par les ayants droit.
ADAPTATION PLUS FACILE AUX ÉTATS-UNIS
Le droit américain, comme dans la plupart des pays de common law(prééminence de la jurisprudence), prévoit la règle du « fair use » (« usage équitable »), qui permet d’autoriser certains usages pour faciliter la création. Leslie Klinger a d’ailleurs exprimé sur son site personnel sa confiance en ce système. Mais selon Pierre Lautier, il serait presque plus simple d’utiliser un morceau d’une œuvre d’Andy Warhol qu’un extrait d’une nouvelle protégée de Conan Doyle, car « la règle du fair use est beaucoup plus facilement appliquée en matière d’arts graphiques ». Mais « les États-Unis accordent volontiers une marge d’adaptation plus large qu’en France » reconnaît-il.
Ce n’est cependant pas la première fois que les ayants droit de Sir Arthur Conan Doyle font obstacle à l’adaptation de Sherlock Holmes. Au début des années 1980, la série d’animation « Meitantei Holmes », coproduction sino-italienne, avait dû suspendre un temps sa production pour régler un conflit avec les héritiers de l’auteur écossais. Un certain Hayao Miyazaki officiait alors à la réalisation, avant de partir sur un projet plus personnel,« Nausicaä, de la vallée du vent ».
RETARDER L’ÉCHÉANCE
La stratégie de prolongement du droit d’auteur déployée par les héritiers est assez courante outre-Atlantique. En la matière, la référence est ainsi la loi surnommée « législation Disney », qui a permis au groupe américain de reporter l’entrée de Mickey Mouse dans le domaine public… s’assurant encore pour quelques décennies de confortables rentrées financières.
L’avenir de Sherlock Holmes sera-t-il donc placé sous le signe de la transgression ? Le 7e art n’a en tout cas pas attendu la justice américaine pour se sentir libre envers le légendaire détective. En 1969, avec La vie privée de Sherlock Holmes, Billy Wilder explorait ainsi les zones d’ombre du personnage, sans pour autant trahir l’esprit de Conan Doyle. Plus récemment, les films de Guy Ritchie, avec dans le rôle-titre Robert Downey Junior, s’éloignent sensiblement des enquêtes feutrées du résident du 221B Baker Street.
À partir du 17 octobre prochain, le Museum of London consacrera une grande exposition à toutes ces adaptations et, plus largement, au mythe de Sherlock Holmes, en plongeant ses visiteurs dans un décor typiquement victorien.