Publiée par une agence de placement, l’annonce concerne un poste de secrétaire de direction à Genève. Les missions n’ont rien que de très classique : prise de rendez-vous, tenue d’agenda, correspondance. Le profil idéal ? Il allie «aisance rédactionnelle», «sens de l’initiative», «maîtrise des outils informatiques» et... un passeport suisse. Ou, à la rigueur, un permis de travail de type C, réservé aux ressortissants de l’Union européenne ayant séjourné ou travaillé cinq ans dans la Confédération.
En clair : frontaliers s’abstenir. Une courte recherche sur des sites d’offres d’emploi fait ressortir d’autres annonces excluant ces personnes passant la frontière tous les matins pour travailler en Suisse. Environ 65 000 frontaliers actifs sont enregistrés dans le canton de Genève : la quasi-totalité sont français, et les trois quarts viennent de Haute-Savoie. Mais le Groupement transfrontalier européen, une association qui représente leurs intérêts, se plaint de la montée d’une «préférence cantonale» à l’embauche.
«La politique de Genève vis-à-vis des frontaliers est de plus en plus restrictive, estime Jean-François Besson, secrétaire général du GTE. Le phénomène monte en puissance depuis trois ou quatre ans. Le pire, c’est que l’administration du canton dissuade elle-même les entreprises d’embaucher des transfrontaliers. Nous avons envoyé plusieurs lettres de protestation à la Commission européenne, car cela est contraire aux accords conclu entre l’UE et la Suisse.» Un mécontentement partagé par Soazig. Cette Parisienne est arrivée à Genève en juillet dernier, pour y chercher un emploi. Trois semaines ont suffi, durant lesquelles elle affirme pourtant avoir constaté que «la plupart des annonces [étaient] réservées aux Suisses ou aux personnes résidant en Suisse».
«Le climat est tendu»
Le marché de l'emploi genevois reste pourtant largement ouvert aux frontaliers, qui occupent 20% environ des postes du canton. «La libre circulation a amené à Genève une prospérité inouïe, souligne fièrement Patrick Schmied, directeur général de l’Office cantonal de l’Emploi (OCE). En 2009, en pleine crise, Genève a créé 1000 emplois. Sans les frontaliers, notamment dans le secteur de la santé, le canton ne survivrait pas.» Et le taux de chômage local, à 5,3%, a de quoi provoquer l’envie du voisin français. Vu de Suisse, pourtant, la situation est inquiétante : 5,3%, c’est déjà deux points de plus que la moyenne nationale.
Les dernières années ont par ailleurs vu l’émergence du Mouvement des citoyens genevois (MCG), un parti xénophobe désormais bien représenté au conseil municipal de la ville. Celui-ci fait notamment campagne contre les frontaliers, et réclame une «vraie politique de préférence pour les résidents de notre canton». «Le climat est tendu en permanence sur cette question», confirme Patrick Schmied.
Faut-il y voir un lien ? En juin 2011, les autorités cantonales ont annoncé que les services publics dépendant d’elles - transports, parkings, hôpitaux - devraient désormais, pour toute embauche, donner la préférence aux candidatures issues de l’OCE. Autrement dit à des chômeurs résidant à Genève, même si tous ne sont pas suisses. Le directeur général des hôpitaux genevois est même allé au-delà, début 2012, déclarant son intention de promouvoir en priorité les résidents aux postes de responsables d’unités de soin.
La mesure avait alors été soutenue par le président du Conseil d’Etat de Genève, qui souligne que «deux tiers des responsables sont frontaliers, alors que ce taux est à 40% sur l’ensemble de l’hôpital».
Les banques prudentes
Et du côté des entreprises privées ? «Nous leur recommandons l’embauche de chômeurs résidents, mais ne pouvons en aucun cas le leur imposer», explique Patrick Schmied. Sur les sites d’offres consultés par Libération, la plupart des annonces ne comportent pas de condition de nationalité ou de résidence. «Cela arrive de temps en temps, explique-t-on chez une agence de placement. C’est le client qui le demande, sans que l’on sache pourquoi.»
Directeur adjoint du site Jobup.ch pour la Suisse romande, Renauld Perroux estime que ces pratiques «sont surtout vraies dans le domaine bancaire, pour préserver le secret fiscal. Pour les autres cas, ils peuvent s'expliquer par l'immobilier hors de prix à Genève : il est alors plus simple d'embaucher quelqu'un qui, déjà sur place, n'aura pas à gérer un déménagement. Enfin, l'employeur peut souhaiter une proximité géographique de son employé». Cette dernière explication est difficilement invocable : Genève étant presque enclavé dans l’Hexagone, elle est plus proche de plusieurs villes frontalières françaises que d’autres cités suisses.
Quant au secteur bancaire, en revanche, la tendance à l'embauche locale est confirmée par Steve Bernard, qui dirige la Fondation Genève place financière : «Il est vrai que les établissements prennent plus de précautions. Les employés de l’autre côté de la frontière sont sous une autre juridiction, soumis à d’autres obligations qu’en Suisse. L’affaire Falciani [du nom d’un informaticien franco-italien ayant dérobé les fichiers de HSBC à Genève, ndlr] a pu faire réfléchir, concernant les embauches sur certains poste-clés». Le Groupement transfrontalier européen promet de rester vigilant.