• Syrie : al-Qaida vient en aide à l'opposition ?

    Le Point.fr - Publié le 15/02/2012 à 17:31 - Modifié le 15/02/2012 à 18:33

    Le groupe terroriste a décidé de défendre les manifestants syriens, qui se seraient bien passés d'un tel soutien.

    Ayman al-Zawahiri a exhorté les musulmans de Turquie, de Jordanie et du Liban à soutenir la rébellion syrienne et à renverser le régime de Damas.

    Ayman al-Zawahiri a exhorté les musulmans de Turquie, de Jordanie et du Liban à soutenir la rébellion syrienne et à renverser le régime de Damas. © Ho / AFP

    Bachar el-Assad dit-il vrai ? Répétant à l'envi que les manifestants ne sont que des groupes terroristes armés, malgré l'implacable réalité du terrain, le président syrien a été conforté dimanche dans ses propos par une déclaration pour le moins inattendue. Dans une vidéo, intitulée "En avant, les lions de Syrie", le chef d'al-Qaida, Ayman al-Zawahiri, a apporté son soutien à la contestation en Syrie, accusant le régime de Damas de "crimes contre ses citoyens". Le successeur d'Oussama Ben Laden a en outre exhorté les musulmans de Turquie, de Jordanie et du Liban à soutenir la rébellion et à renverser le régime actuel, qu'il a qualifié d'anti-islamiste.

    Un soutien dont se seraient passés volontiers les millions de manifestants syriens, en majorité sunnites, qui n'ont eu de cesse depuis le début de la révolte de rappeler le caractère non confessionnel et démocratique de leurs revendications, malgré la répression sauvage et sans limite qui leur est infligée par la minorité alaouite chiite au pouvoir. "Pendant 11 mois, il n'y a eu aucun élément sur le terrain indiquant la présence de djihadistes et de terroristes", insiste Mathieu Guidère*, spécialiste d'al-Qaida, qui qualifie les accusations du président syrien de "manipulation".

    "Les manifestants sont uniquement des civils, face à une armée surentraînée de 130 000 hommes", rappelle l'islamologue. "Les "terroristes" dont parle le régime syrien sont des militaires dissidents, qui ont rejoint l'Armée syrienne libre pour protéger les civils. Ils seraient entre 20 000 et 25 000 déserteurs." Pourtant, d'autres éléments récents accentuent l'hypothèse d'une présence de soldats djihadistes en Syrie.

    Une occasion inespérée pour al-Qaida

    Mardi, des responsables irakiens ont indiqué que des insurgés sunnites armés traversaient la frontière syrienne pour alimenter la violence. Une information qui consolide les déclarations de responsables américains, indiquant que la branche irakienne d'al-Qaida était probablement derrière des attentats à la voiture piégée qui ont fait 28 morts et plus de 200 blessés vendredi à Alep (nord de la Syrie). "La réapparition d'al-Qaida et des djihadistes correspond à l'échec des pays occidentaux et arabes à adopter une résolution condamnant Damas à l'ONU, suite aux veto russe et chinois", estime Mathieu Guidère.

    Absent du Printemps arabe, le groupe terroriste, qui appelle au "djihad" (guerre sainte, NDLR), a terriblement souffert du succès des révoltes démocratiques et pacifiques au Maghreb. Totalement déstabilisés, nombreux sont les membres d'al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) à avoir publiquement exprimé leur désarroi face à l'échec de leur doctrine politique, certains allant même jusqu'à quitter l'organisation. Dépassé par la mort de Ben Laden, aucun chef n'a pu apporter de réponse convaincante. "Face à l'impasse que vit la crise syrienne, Ayman al-Zawahiri a trouvé le créneau politique pour s'affirmer et démontrer l'utilité des djihadistes", ajoute Mathieu Guidère.

    Dans sa vidéo, le médecin d'origine égyptienne a incité les contestataires syriens à établir "un État qui défend les pays musulmans, cherche à libérer le Golan et continue son djihad jusqu'à hisser la bannière de la victoire au-dessus des collines usurpées de Jérusalem". Et il n'est désormais plus seul. Dans une interview accordée à Libération, l'imam salafiste de Deraa se présente comme le premier religieux à avoir appelé au renversement de Bachar el-Assad. Réfugié au Liban, Cheikh Louai al-Zouabi indique avoir publié deux fatwa : la première, appelant les Syriens à protester pacifiquement ; la seconde, permettant à l'Armée syrienne libre de protéger les civils.

    "Le mouvement pacifique est terminé"

    Surtout, ce dernier, qui se définit comme un "salafiste moderniste", "tolérant" des autres confessions, pointe du doigt certains membres de la minorité alaouite : "À Homs, les alaouites ont reçu des armes (...) À présent, on peut dire que chaque alaouite est mieux armé qu'un soldat de l'armée nationale", affirme-t-il. Seule issue, selon l'imam, une intervention armée de l'Occident. "Car, maintenant, le mouvement pacifique est terminé." Et Cheikh Louai al-Zouabi se dit très écouté : "Si l'Occident veut vérifier ce que je représente militairement, je suis prêt à faire exécuter des opérations militaires en des endroits déterminés à l'avance."

    Dès lors, la menace d'une guerre confessionnelle, sans cesse brandie par le régime syrien, et désormais favorisée par la présence de djihadistes sunnites, va-t-elle devenir réalité ? Mathieu Guidère l'écarte. "Les positions djihadistes ont évolué depuis la guerre en Irak, où le combat mené contre les chiites, qui avaient joué le jeu des Américains, n'a pas apporté de résultat probant", note l'islamologue. "Pour ne pas reproduire cette expérience, les insurgés ont décidé d'adopter un "djihadisme défensif", pour protéger l'ensemble des musulmans victimes de la répression". Pourtant, leur mobilisation pourrait s'avérer contre-productive.

    Tout d'abord parce qu'elle va donner l'occasion aux forces gouvernementales syriennes de réprimer d'autant plus les manifestants, maintenant qu'ils sont confortés dans leurs accusations. Mais surtout, parce que les djihadistes n'ont pas les moyens de leurs ambitions. "Al-Qaida et les djihadistes n'ont aucune force de mobilisation, et ne disposent pas des moyens de se diriger massivement vers la Syrie", affirme Mathieu Guidère. "Leurs combattants ne pèsent par lourd face à une armée structurée et soutenue, tant militairement que logistiquement, par la Russie et l'Iran."

    D'ailleurs, la République islamique, mais aussi l'Irak chiite devenu expert dans la répression des djihadistes sur son sol, auraient tout intérêt à exagérer la présence terroriste en Syrie pour conforter Bachar el-Assad.


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    *Professeur d'islamologie à l'université de Toulouse-II, auteur du Choc des révolutions arabes (éditions Autrement, 2011)


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