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Syrie : le poète Adonis reçoit le prix Goethe
Syrie : le poète Adonis reçoit le prix Goethe mais déçoit la Révolution
Alors que les manifestations continuent à être réprimées dans le sang en Syrie, le poète d'origine syrienne, Ali Ahmed Saïd Esber, dit Adonis, a reçu le prix Goethe, dimanche à Francfort, l'une des récompenses les plus prestigieuses du monde de la poésie décernée tous les trois ans en Allemagne à un artiste pour l'ensemble de son œuvre.
Ce prix est systématiquement remis un 28 août, jour de l'anniversaire de la naissance de Goethe. A 81 ans, Adonis devient le premier poète arabophone ainsi distingué.
Le comité de sélection a considéré Adonis « comme le poète arabe le plus important de sa génération » et il lui a attribué ce prix « en raison de son œuvre cosmopolite et de son apport à la littérature internationale ».
« Adonis a diffusé les idées européennes modernes dans les cercles culturels arabes », a précisé le jury pour expliquer son choix.
Cette distinction a tout pour être un geste culturel politiquement engagé et aurait pu habilement prendre l'allure d'un signe d'encouragement à l'adresse du peuple syrien dans la conduite de sa Révolution. Mais les positions d'Adonis à l'égard de la culture arabe, à l'égard du printemps arabe et à l'égard de la révolution syrienne ne vont pas dans ce sens. Le poète a même déçu la Révolution.
« Un peuple en voie d'extinction »
Né en 1930 dans le village montagneux de Qassabin, près de Lattaquié, ville syrienne des bords de la Méditerranée, Adonis s'est engagé très tôt dans la poésie. En 1947, à l'âge de dix-sept ans, il tente même, sans succès, de se joindre à l'assemblée des poètes locaux pour honorer le président syrien Choukri al-Kouwatli, Il réussi malgré tout à attirer l'attention du Président qui lui paye une bourse afin d'étudier dans les meilleurs écoles. Il deviendra poète vantant la modernité et critique engagé dans la création contemporaine.
Après avoir été emprisonné en 1955 pour appartenance au Parti nationaliste syrien, qui préconise une grande nation syrienne au Moyen-Orient, il s'enfuit pour Beyrouth où il fonde plusieurs revues dans le but de libérer la poésie arabe de ses traditions et rejoindre la création internationale.
Quand la guerre éclate au Liban en 1975, il se réfugie à Paris et devient le représentant de la Ligue arabe à l'UNESCO. De là, il multiplie ses charges contre la tradition poétique arabe et, sans devenir véritablement engagé, il dénonce la dictature et la misère dans les sociétés arabes. À l'approche des grands prix tel que le Nobel qu'il convoite ouvertement, il n'hésite pas à exhorter les Arabes à prendre leur destin en main.
En 2001, il met en garde les dirigeants arabes lors d'une interview accordée à la Deutsche Welle :
« Si la situation politique ne change pas dans le monde arabe, si nos dirigeants ne pensent pas au bien-être du peuple, s'ils ne se préoccupent que de rester au pouvoir, s'ils considèrent que le peuple n'est qu'un instrument du pouvoir alors qu'au contraire le pouvoir est un instrument pour le peuple, en ce cas, ils vont devoir faire face à des catastrophes encore difficiles à imaginer. »
En 2007, il accorde une interview à la chaîne Al-Arabiya, et surprend en annonçant la mort de la culture arabe :
« Nous sommes un peuple en voie d'extinction. […] Nous n'avons plus la capacité créative d'édifier une grande société humaine ni de participer à la construction du monde. »
Pris de court, les intellectuels arabes s'en prendront à son pessimisme et chercheront à oublier une telle bévue.
Adonis, issu de la minorité alaouite, comme El-Assad
Malgré l'occasion donnée à l'aube du « Printemps arabe », Adonis n'est pas au rendez-vous. Lorsque la révolution ébranle les dictatures en Tunisie et en Egypte, il n'accorde aucun crédit à ce que les peuples avaient accompli et qualifie les événements de « rébellion de la jeunesse ».
En suivant, ses compatriotes syriens se soulèvent contre le régime oppresseur. Le moins que l'on pouvait attendre d'un intellectuel, dans de pareilles circonstances, est de se ranger vite aux côtés de ses compatriotes et de saluer leur courage. Ce qu'il ne fait pas.
Il expose son pessimisme dans une chronique qu'il a signé fin mars intitulée : A la lumière du moment syrien actuel et met en avant la possibilité d'un scénario à l'irakienne.
Le poète défend, fidèle à ses idées, une laïcité et la nécessité d'une séparation entre religion et politique pour ne mettre sur le compte des révoltes que l'avènement de l'islamisme. Il est persuadé que seule la séparation de l'Etat et de la religion permettra à la politique, mais aussi à la société, de se moderniser dans les pays arabes.
Bien que toutes les inquiétudes soient justifiées, que la présence d'islamistes soit crainte par les révolutionnaires eux-mêmes, il aurait été de meilleur augure que le poète qui se voulait révolutionnaire épouse la révolution de son peuple. Rien que pour étouffer le doute que la confession alaouite qu'il partage avec le président El-Assad ne puisse le ranger pas de facto auprès de son leader.
Des déclarations tièdes et tardives
Les critiques sur son ambiguïté fusent. Des intellectuels arabes et en particulier syriens l'interpellent, à l'instar de la romancière syrienne Maha Hasan : « Aujourd'hui vous devez être plus clair, plus précis et plus direct en disant la vérité sur ce qui se passe en Syrie. […] C'est votre dernière chance », écrit-elle dans un article paru en avril dans le quotidien libanais, Al-Hayat.
Adonis s'exprime pour la deuxième dans un article, intitulé Le moment syrien, à nouveau, qui n'arrange rien à rien ; une nouvelle charge contre « une politique dirigée au nom de la religion […] violente et exclusive ». Il insiste fermement sur ce qu'il appelle la révolution des imams, loin de la réalité des révoltes d'abord éclatées sur les campus universitaires.
En juin, dans une lettre ouverte publiée dans le quotidien libanais As-Safir, le poète syrien appelle enfin le président El-Assad à démissionner tout en demandant à l'opposition d'adopter une idéologie strictement laïque. Il demande au Président de « remettre la décision au peuple ».
Il réitère sa position dans un entretien publié en août par le journal koweïtien Al-Raï :
« Le président Assad devrait faire quelque chose. Si j'étais à sa place, je quitterais la présidence. »
Ces déclarations ne calment pas la colère de ceux qui l'attendaient au tournant. Dans ces interventions ne figure aucune allusion aux massacres perpétrés par le régime et aucun hommage n'est rendu aux victimes de la répression. Sa lettre ouverte est publiée alors que le monde découvre l'horrible torture, jusqu'à la mort, de l'adolescent Hamza Al-Khatib.
La cérémonie de remise du prix (déjà attribué à Pina Bausch, Ingmar Bergman, Ernst Jünger, Thomas Mann ou encore Hermann Hesse) a eu lieu le 28 août 2011. Ce jour là, les forces du régime syrien ont ouvert le feu dans une localité près d'Idleb, dans le sud-ouest, tuant deux personnes et en blessant neuf autres, portant à 2200 le nombre de morts par la répression.
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