Faut-il davantage taxer les contrats courts ? A l'unanimité, le patronat est contre. Mais les dirigeants du Medef y regardent à deux fois. Car les syndicats en ont fait un point incontournable de la négociation sur "la sécurisation du marché de l'emploi", en l'absence duquel ils ne signeront pas. Le principe est simple : augmenter le montant de la cotisation versée par les entreprises à l'assurance chômage pour les personnes en CDD. Aujourd'hui, cette cotisation à l'Unedic ne dépasse pas 6,4% du salaire, quel que soit le type de contrat. Ce pourcentage pourrait être d'autant plus grand que le contrat est court, afin d'inciter les entreprises à signer plus de CDI, ou des CDD plus long. En inscrivant ce principe sur l'accord que les partenaires sociaux doivent signer avant vendredi, Laurence Parisot ouvrirait ainsi la voie au "compromis historique" voulu par François Hollande. Surtout, elle acterait en retour les mesures de flexibilités en faveur des entreprises que le Medef a négociées avec les représentants des salariés. Pourtant, après des mois de discussions et à l'approche de la réunion de la dernière chance, rien n'est encore acquis.
Pour réduire la dualité du marché du travail
La demande des syndicats semble légitime a priori. Entre 2000 et 2010, le nombre de CDD de moins d'un mois signés dans l'année est passé de 6,6 millions à 12,4 millions. Il représente désormais 73% des contrats signés en France. "Il y a toujours la même proportion de CDI au total (86%), mais les contrats précaires sont de plus en plus courts, les salariés en signent donc de plus en plus souvent", explique Charles de Froment, expert de l'Institut de l'entreprise, responsable des relations publiques chez Manpower. Cela se traduit par une dualité du marché du travail". Les syndicats souhaitent mettre fin à ce phénomène générateur d'inégalités. Outre l'incertitude liée à la précarité, les salariés en CDD perdent certains droits lorsqu'ils sont entre deux contrats : complémentaire santé, droit à la formation, et indemnités chômages précédemment acquises. "La question n’est pas uniquement de créer de l’emploi. Mais aussi de mieux protéger les salariés qu'actuellement", rappelle Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière.
Côté patronat, on est bien obligé d'admettre que certaines entreprises abusent du contrat court. Dernier exemple médiatique en date, en novembre, l'ex-PDG de TF1 Patrick Le Lay a été condamné pour le cas de cinq salariés ayant cumulé de 5 à 19 ans d'ancienneté, dont "l'emploi exercé était lié à une activité normale et permanente de l'entreprise", selon l'avocate du syndicat ayant déposé plainte. Au comité exécutif du Medef, on rappelle toutefois que la fonction publique est aussi un grand utilisateur de contrats précaires. Une spécialiste du cancer de l'Inserm n'a-t-elle pas récemment saisit la justice à l'issue de son douzième CDD depuis 2011 ?
"Au-delà des abus, les entreprises ont intégré que le marché du travail actuel répondait à leur besoin en flexibilité grandissant", estime Charles de Froment. "En période d'accroissement d'activité, elles retrouvent facilement les salariés correspondant à leurs exigences". Entre deux contrats, c'est l'Etat qui assume le coût financier. Une modulation de la cotisation à l'assurance chômage aurait-elle un effet dissuasif ? Seulement si la hausse est très importante, estime les observateurs. "Les entreprises ont très peu de visibilié sur le carnet de commandes", explique Eric Heyer, économiste à l'OFCE. Selon Charles de Froment, "il faudrait dans ce cas que le consommateur soit prêt à payer ce qui relève de cette flexibilité". Comme payer plus cher ses cadeaux de Noël, vendus par des salariés en CDD en raison du surcroît d'activité. Cette solution radicale permettrait de réduire les déficits cumulés de l'Unedic (17 milliards d'euros fin 2013), mais n'a aucune chance d'être validée par le Medef.
La taxation divise le patronat
Le patronat a déjà du mal à accepter une faible modulation sur les contrats courts. Depuis octobre, il ne l'a d'ailleurs toujours pas inscrite dans le texte débattu avec les syndicats. Simple technique de négociation ? L'ensemble des organisations patronales sont bien évidemment opposées à toute hausse du coût du travail. "Je ne vois pas en quoi cela favoriserait l'emploi", s'interroge Laurence Parisot. "En supprimant la flexibilité dont les entreprises ont besoin en période de crise, cela pourrait même en détruire", estime Mathieu Plane, économiste à l'OFCE. Cependant, certaines fédérations sont prêtes à céder un peu de terrain en échanges d'avancées significatives sur la flexibilité. C'est le cas notamment de l'industrie, peu consommatrice de CDD.
Le problème, c'est que le patronat n'est pas homogène. Les fédérations représentant la restauration et l'hôtellerie, par exemple, sont directement concernées par l'utilisation massive de contrats précaires : il n'y avait plus qu'un contrat sur trois de plus d'un mois en 2010 dans le secteur, contre un sur deux en 2000. Il est donc peu probable que ces entreprises soient prêtes à faire les mêmes concessions que l'industrie. Ensuite, les fédérations ne demandent pas non plus les mêmes contreparties. Celles qui comptent beaucoup de petites entreprises ne sont pas tellement intéressées par davantage de flexibilité dans les procédures de licenciements collectifs, auxquelles elles font peu appel, mais plaident en revanche pour une réduction des recours judiciaires sur les autres types de licenciements. Enfin, d'autres sujets interfèrent, comme l'extension des complémentaires santé : certaines branches sont pour, d'autres ont déjà des systèmes efficaces, résultats de plusieurs années de travail, tandis que d'autres encore s'inquiètent de leur coût, environ 1% de la masse salariale.
Ces divergences d'intérêts sont peu à peu apparues au cours des discussions, d'abord entre la CGPME et le Medef. La CGPME est désormais partante pour signer une surtaxation des contrats courts motivés par un surcoît d'activité de manière abusive. "Nous demandons tout simplement ce qu'est un 'CDD abusif'. Y a-t-il une définition ?" répond Laurence Parisot à quelques jours de la deadline. Les deux organisations doivent se réunir mardi pour fixer une position commune. Bien que plus discrètes, des divergences sont perceptibles au sein même du Medef. Chaque fédération est en train de faire ses comptes, et toutes ne s'y retrouvent pas forcément encore. Elles doivent se réunir mercredi soir pour un dernier point avant la reprise des discussions finales avec les syndicats. Tout est affaire de dosage. C'est bien au niveau interprofessionnel que sera prise la décision in fine, mais Laurence Parisot, avant de trancher, tente d'obtenir la combinaison qui satisfera le plus grand nombre. L'organisation, outre la responsabilité d'un éventuel échec de la grande négociation du quinquennat de François Hollande, joue gros : dans quelques jours débute la campagne pour la succession de sa présidente. La nature du compromis, si compromis il y a, sera donc également une clé de son avenir. "Chaque fédération est indépendante financièrement", rappelle un membre du comité exécutif du Medef. "Et on en a déjà vu en claquer la porte".