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    Gestion des conflits : l’arrivée des médiateurs dans l’entreprise

     

    Certaines entreprises n’hésitent plus à recourir à des médiateurs externes pour désamorcer des conflits qui dégénèrent dans un service. Qui sont ces pacificateurs d’un nouveau genre ? Quelles sont les limites du système ? Enquête.

    La médiation serait-elle dans l’air du temps ? Si elle se diffuse progressivement dans la sphère publique pour régler les litiges avec les usagers, le recours par les entreprises privées à des médiateurs externes pour mettre fin à des conflits individuels au travail semble aussi émerger. À la CPMN (Chambre professionnelle de la médiation et de la négociation), un syndicat qui fédère 90 médiateurs, 700 médiations auraient ainsi été menées en entreprise en 2010, ce qui traduit “une tendance à la hausse”, selon Jean-Louis Lascoux, médiateur et président de la CPMN.

    L'intervention de la dernière chance. Cas les plus courants : des collaborateurs en guerre ouverte avec leur chef, qu’ils jugent “harcelant” ou incompétent, des rivalités souterraines entre des collègues d’un service qui minent l’ambiance de travail. La constante ? “Lorsque les entreprises font appel à nous, la situation est totalement bloquée. Les gens ne se parlent plus ou refusent de travailler ensemble. La direction a l’impression d’avoir tout tenté sans succès. Le recours à la médiation est alors perçu comme une ultime chance de renouer le dialogue, avant une action en justice ou des licenciements”, remarque Jean-Louis Lascoux.

     

    Trouver un accord entre les parties

     

    Quel est le rôle d’un médiateur ? “C’est un tiers neutre qui cherche à faciliter la reprise de dialogue, l’émergence de solutions pour sortir du conflit au travail. Il n’est pas là pour convaincre, ni pour arracher des concessions aux parties”, explique Arnaud Stimec, enseignant-chercheur spécialisé dans la médiation et la gestion des conflits. Des démineurs de tensions, en quelque sorte. Mandatés – et rémunérés – par l’entreprise, ils travaillent à partir d’entretiens confidentiels, basés sur le volontariat : “Lorsque j’interviens, je fais le point avec la direction sur la situation, puis je rencontre séparément les collaborateurs ou le manager pour faire remonter leurs griefs. À la fin, l’objectif est de pouvoir les réunir autour d’une table, afin qu’ils envisagent ensemble une solution pour sortir de l’impasse”, détaille Jean-Louis Lascoux.

    Changer certains axes de management, améliorer la communication.  En avril 2011, ce dernier est ainsi intervenu dans une entreprise confrontée à de fortes tensions au sein d’un service. Entre le chef de service et ses six collaborateurs, l’hostilité planante prenait un tour inquiétant, avec des arrêts maladie à répétition : “Les salariés menaçaient de porter plainte contre leur chef pour harcèlement moral. Ils jugeaient ses propos méprisants, affirmaient qu’il leur demandait de faire des choses dans des délais intenables, que la charge de travail était mal répartie. Le chef de service, lui, estimait qu’il faudrait se séparer de certains membres de son équipe qui manquaient d’implication et créaient une ambiance très nuisible.” À l’issue des entretiens, “qui ont surtout révélé des maladresses de la part de ce manager et un sentiment d’iniquité concernant la charge de travail”, un accord a finalement été trouvé, proposant de changer certains axes de management : modification de l’attribution des tâches afin de mieux équilibrer la charge du travail au sein de l’équipe, principe de réunions plus systématiques pour améliorer la communication…

     

    Un rôle que la direction n’assume pas toujours

     

    Ces solutions managériales n’auraient-elles pas pu être trouvées par l’entreprise ? La mission première d’un dirigeant n’est pas de régler certains conflits individuels dans l’entreprise. “Déconstruire un conflit, c’est un métier”, plaide Jean-Louis Lascoux. “Voir les gens à part pour parler avec eux est une façon pour chacun de ne pas perdre la face, ce qui serait impossible avec un patron ou un DRH”, renchérit Michel Pierdait, médiateur et membre de la FNCM (Fédération nationale des centres de médiation).

    Régler les différents. Pour autant, les médiateurs ne cachent pas un certain déni dans les entreprises : “Derrière la plupart des conflits au travail se cache un problème de légitimité, de concurrence ou de jalousie au sein des équipes, dû souvent à un mauvais accompagnement du management ou au silence de la direction. Or, si le différend n’est pas réglé, les plaintes, le harcèlement s’amplifient, des clans se forment. C’est l’escalade”, explique Christine Lamoureux, directrice de l’Institut français de la médiation, un cabinet de médiateurs professionnels.



    Une efficacité difficile à évaluer…



    Mais si la profession affirme aboutir dans 70 % des cas à un accord entre les parties, à défaut d’en assurer le suivi (qui relève du manager et de la direction), l’efficacité réelle de la médiation professionnelle reste à prouver. Et le pire n’est pas toujours évitable. “Intervenir lors d’un conflit relationnel est quelque chose de complexe. Parfois, la médiation peut ne pas fonctionner ou se solder par le départ du salarié”, prévient Michel Pierdait. Et dans ce cas, à quoi aura donc servi la démarche ? Pour les médiateurs, leurs conclusions permettraient de convaincre la direction de la bonne décision à prendre (muter un salarié, faire évoluer tel autre…).

    Mieux appréhender les modes de fonctionnement. Certains DRH voient aussi dans une médiation bien menée une valeur d’apprentissage. “Une mutation ou un départ bien réfléchi, dans une ambiance apaisée, a plus de chances de réussir au salarié pour son avenir. Au cours de la médiation, les salariés ou leur manager appréhendent mieux leur mode de fonctionnement. Cela peut leur éviter de reproduire certaines erreurs d’attitude ou de comportement”, estime Martine Sepiéter, responsable du projet médiation à la SNCF, une des rares entreprises à expérimenter depuis janvier 2011 une activité de médiation interne.

     

    … et contestée par des syndicats

     

    Pour Martine Sepiéter, la médiation dans les conflits individuels au travail est signe “que l’entreprise prend mieux en compte la souffrance, le soulagement que peut apporter la parole, l’importance de l’émotionnel dans le travail”. Un discours qui n’est pas toujours du goût des syndicats : “Ce système revient à faire peser la décision sur les épaules des salariés. Nous ne sommes pas favorables à ces solutions individualistes et psychologisantes. Les problèmes au sein d’un service naissent rarement seuls. Ils sont souvent le fruit d’une politique d’entreprise qui accentue la pression sur les objectifs et la rentabilité, ce qui encourage un management plus dur et débridé”, lâche Philippe Lattaud, conseiller confédéral à la CGT.

    Permettre aux salariés d’exprimer leur ressenti. À la SNCF, pas question de tout rejeter sur le dos de l’entreprise : “Certes, nous vivons un contexte de transformation importante et d’ouverture à la concurrence qui oblige les agents à travailler autrement. Mais tous les conflits ne sont pas liés à l’organisation du travail. Parfois, les enjeux sont simplement relationnels, dus à des malentendus ou à des incompréhensions mutuelles. De ce point de vue, la médiation, en permettant aux gens d’exprimer leur ressenti, est toujours un plus”, soutient Martine Sepiéter.

    Moins chère qu’une procédure en justice. Derrière cette volonté de pacifier les esprits, soutenue par la nécessité de se préoccuper des risques psychosociaux en entreprise, se cache néanmoins une réalité sonnante et trébuchante que ne nient pas les DRH. À raison de 1.500 à 10.000 € selon la durée des entretiens (entre un et trois mois en général), “une médiation coûte moins cher qu’une procédure en justice pour harcèlement ou licenciement abusif. Et les entreprises soignent aussi leur image”, pointe avec pragmatisme Michel Pierdait.

     

    Une profession encore mal définie

    Bien que quelques structures comme la CPMN ou l’ANM (Association nationale des médiateurs) se soient dotées d’une charte déontologique (incluant des principes de loyauté, de neutralité et d’impartialité), le champ d’action des médiateurs peut parfois poser question. Officiellement mandatés pour éviter le pire, certains interviennent aussi pour “faciliter” une procédure de licenciement individuelle bloquée entre un manager et un salarié… Autre paramètre qui sème le doute : la diversité de leurs “pedigrees”.

    La profession est actuellement très peu réglementée, sans formation obligatoire, très peu de cursus reconnus, et des profils très différents, allant de l’ancien consultant au juriste… Ce nouveau métier manque encore de repères. Et d’une certaine crédibilité. En témoigne la variété des avis sur les compétences nécessaires aux médiateurs : si, pour Arnaud Stimec, “un bon médiateur doit avoir des compétences en psychologie, en droit du travail et dans le management, sans tomber dans l’expertise”, d’autres, comme la CPMN, prônent davantage une expertise méthodologique en gestion des conflits et en communication…

     

    Ce que dit le droit du travail

    Lors d’un conflit collectif grave (grève, occupation des lieux, séquestration ou acte de violence), un médiateur peut être nommé par l’inspecteur du travail ou le préfet en cas de troubles à l’ordre public. En ce qui concerne les conflits individuels au travail, l’article 122-54 de la loi de modernisation sociale de 2002 prévoit une procédure possible de médiation en cas de harcèlement moral ou sexuel (modifié le 3 janvier 2003 en excluant le harcèlement sexuel). Sur le principe, un médiateur peut alors être saisi par le salarié qui s’estime victime de harcèlement, parmi une liste de spécialistes dressée par le représentant de l’État dans le département.


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