-
« The Paperboy » : le film que Cannes n'espérait plus
« The Paperboy » : le film que Cannes n'espérait plus
On pouvait craindre que la projection de « Paperboy » ce matin prenne la tournure critique d’un « Lawless » ou d’un « Killing them softly » : accueil frisquet, consensuel et tristounet avec en gimmick la tenace impression de films médiocres et faussement futiles, indignes d’une compétition officielle. Si l’on voit bien derrière cette part de toilettage artistique, une intention louable (réhabiliter le cinéma de genre pour adultes, fabriqué et produit à la manière du nouvel Hollywood dans les années 70), il faut reconnaître que, pour l’instant, c’est assez loupé. Réalisé par Lee Daniels, auteur du surgonflé « Precious », « Paperboy » advient pourtant comme une heureuse anomalie : un film fou-fou (ou fo-folle) qui se nourrit d’excès en tout genre (style, narration, numéros d’acteurs), en fait une caricature réjouissante des films pré-cités – les sifflets (copieux) et la consternation (épaisse) n’ont pas manqué à l’issue de la projection. Aux ronchons, on concède volontiers un projet foncièrement détraqué, mais cette déglingue semi-volontaire montée sur images baveuses produit indéniablement quelque chose.
Le pitch est tout simple : une mama floridienne est interrogée sur un fait-divers irrésolu il y a quarante ans. Flash back et méli mélo : on reconnaît la narratrice plus galbée, au service d’une famille de bourgeois en fin de règne, empêtré dans un racisme institutionnel en train de se fissurer (nous sommes en 1969, Luther King est passé par là). Les deux fistons beaux comme des camions (Matthew McConaughey et l’étonnant Zac Efron) enquêtent sur un redneck accusé de meurtre sur la demande de sa femme, shampouineuse un peu radasse (Kidman, qu’on avait pas vue aussi formidable depuis des lustres). Le plus jeune en tombe raide dingue, et la famille de se disloquer sous une écrasante chaleur tropicale qui bousille les nerfs et stimule les hormones. Voilà ce que le film réussit de mieux : plonger sa trame de série noire dans une moiteur sexuelle poisseuse et craspec, diluer les conflits de classes (et raciaux) sous un tombereau d’obscénité. Le film va même assez loin dans le délire sale et trivial : tantrisme au parloir lorgnant vers le peep show crado (point d’orgue : l’orgasme du partenaire dans son froc, avec plan sur jean souillé), SM homo au motel et même une séquence d’uro platonique (Kidman pisse sur les piqûres de méduse qui zèbrent le corps musculeux de son jeune soupirant). S’en dégage un tableau de l’Amérique pas piqué des hannetons, où la torpeur partouzarde ramollit les antagonismes de classe, impose aux personnages un dialogue permanent, cohabitation qui relève moins de la marche forcée que d’un magnétisme irrépressible. Film passionnant à revoir au calme à une heure décente – passé dix jours de festival, les projections à 8 h 30 du matin relèvent de la torture physique.
Torture encore, infligée cette fois hier soir, au pic de forme du critique cannois (19h30, papier du jour rendu, culpabilité évanouie, organisme requinqué par une digestion semi-lointaine : pas une once de somnolence à l’horizon). Forcément, on s’attendait à ce que le mexicain Carlos Reygadas (« Lumière silencieuse ») consolide sa réputation d’enfant terrible. Que cachait donc le titre de film le plus gratiné du festival (« Post tenebras lux ») ? La misère sexuelle d’un couple de jeunes ruppins arrogants dans un village isolé du Mexique (prétexte idéal à une scène de partouze où madame est honorée par une horde de pépouzes francophones pendant qu’une dame à grosses mamelles lui caresse le visage en lui suscurant des mots doux), la culpabilité catho-trash d’une petite frappe sur le fil de la repentance, des gosses de riche qui gambadent autour des vaches (le premier plan, pas mal), une apparition lumineuse d’un diablotin à gros kiki dans la maisonnée, croisement d’un spectre d’Apitchatpong Weerasethakul et du logo Buffalo grill. Tout est clair : ce sur-symbolisme expérimental incapable de produire la moindre émotion ne trompe absolument plus personne, Reygadas signant là son film le plus nullissime à ce jour – les précédents avaient pour eux davantage de fulgurances esthétiques qu’on recense ici à deux-trois. En deux heures de crétinerie monumentale, c’est assez peu. Mais ne râlons pas : le mythe du festival passe autant par les chefs d’œuvre incontestables que par ce type de provo maousse retentissante qui convie le ricanement et la consternation à la grande fête du cinéma. Nul besoin d’en parler à Kirsten Dunst et Kirsten Stewart, croisées à la soirée « On the road » quelques heures plus tard. A cet instant, la quête de champagne vaut cent fois plus que les quéquettes tourmentées de ce bon vieux Carlos.
■
Tags : nicole kidman, Zac Efron, Matthew McConaughey, Paperboy
-
Commentaires