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    Tunisie : l’opposition entre laïques et islamistes au cœur des législatives

    Le Monde.fr | <time datetime="2014-10-24T20:21:01+02:00" itemprop="datePublished">24.10.2014 à 20h21</time> • Mis à jour le <time datetime="2014-10-25T13:50:51+02:00" itemprop="dateModified">25.10.2014 à 13h50</time> |Par Charlotte Bozonnet (Tunis, envoyée spéciale)

     
    <figure>Dans le quartier populaire de Ezzouhour, banlieue de Tunis, vendredi soir, dernier jour de campagne.</figure>

    Comme en 2011, le camp dit progressiste et démocrate, opposé aux islamistes d’Ennahda, se présente en ordre dispersé. L’union de l’été 2013, qui avait suivi l’assassinat de deux membres du Front populaire (extrême gauche), a fait long feu.

    • Peut-on s’attendre à un scrutin sans irrégularités et sans violence ?

    Après les vingt-trois années de règne du président Zine El-Abidine Ben Ali, laTunisie a renoué avec un processus électoral démocratique et transparent. Les élections législatives de 2011, premier scrutin libre du pays, se sont bien déroulées. Le processus avait notamment bénéficié de l’autorité de l’Instance supérieure indépendante des élections (ISIE), chargée d’organiser le scrutin, et de son président, Kamel Jendoubi, un opposant très respecté au régime déchu. Le scrutin du 26 octobre est organisé par l’ISIE, présidée par Chafik Sarsar, un professeur de droit constitutionnel à la réputation de droiture. Quelque 5,3 millions de Tunisiens sont inscrits sur les listes électorales (pour un corps électoral estimé à environ 8 millions de personnes).

    Comme en 2011, les opérations de vote – environ 11 000 bureaux de vote sur tout le territoire – vont être surveillées par plusieurs milliers d’observateurs nationaux et internationaux. Les représentants des partis seront également plus nombreux : en 2011, seul Ennahda avait eu les moyens humains de déployer des observateurs dans chaque bureau. Cette fois, le parti Nidaa Tounes (destourien), son principal rival, se dit aussi en mesure de le faire. Le principal défi pour l’ISIE sera de garder la tête froide face aux réclamations que les partis – une centaine participent au scrutin, quelque 1 300 listes ont été déposées dans le pays – ne manqueront pas de présenter après le 26 octobre, et de résister à la pression.

    Au cours de la campagne électorale, certaines formations politiques se sont plaintes de pratiques clientélistes de leurs adversaires, mais rien qui n’ait jusqu’ici remis en cause la bonne tenue du processus. Les responsables des deux principaux partis en lice, Ennahda et Nidaa Tounès, répètent qu’ils accepteront les résultats quels qu’ils soient. Les craintes de violences concernent avant tout la menace d’actions terroristes. La Tunisie a annoncé jeudi qu’elle allait fermerpendant trois jours – les 24, 25 et 26 octobre – l’accès à son territoire depuis laLibye voisine. La coopération est renforcée avec les autorités algériennes à leur frontière commune pour empêcher les infiltrations. Selon le ministre tunisien de ladéfense, jusqu’à 80 000 hommes – policiers et gendarmes – pourraient êtredéployés sur le territoire, dimanche, pour sécuriser les bureaux de vote.

     

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    • Le parti islamiste Ennahda a-t-il changé ?

    Le parti islamiste, dirigé par Rached Ghannouchi, a probablement perdu en popularité au cours des trois dernières années. En 2011, Ennahda avait remporté haut la main les élections (89 sièges sur 217). Opposant de longue date au régime de Ben Ali, il bénéficiait d’une assise locale forte au sein de la population, dont une bonne partie s’est tournée vers lui au lendemain de la révolution, séduite par son opposition sans concession et sa défense de l’identité islamique. Mais son bilan négatif à la tête du gouvernement –difficultés économiques, multiplication des actes terroristes, crise politique avec l’opposition – lui a certainement valu un recul dans l’opinion. Son électorat fidèle est estimé à 15-20 % de la population. Ennahda conserve toutefois une force militante unique (plusieurs dizaines de milliers de militants). Structuré, très bien organisé, le parti a, comme en 2011, mené une impressionnante campagne de terrain dans tout le pays.

    <figure>Vendredi, dernier jour de la campagne, le parti islamiste investit en fin de journée l'artère principale de Tunis, l'avenue Habib Bourguiba, pour un meeting ponctué de chansons, discours et prières.</figure>

    Idéologiquement, le discours du parti a beaucoup évolué en trois ans, comme en ont témoigné les débats autour de la nouvelle Constitution tunisienne adoptée le 26 janvier. Le texte final, qui consacre la liberté de conscience et l’égalité entre les hommes et les femmes, est le plus progressiste du monde arabe. Les dirigeants islamistes tunisiens ont notamment été traumatisés par la façon dont les Frères musulmans égyptiens et le président Mohamed Morsi ont été chassés du pouvoirpar un coup d’Etat militaire. Confronté lui aussi à une forte contestation politique et populaire en 2013 dans la rue, Ennahda a accepté de nombreux compromis, notamment de quitter le pouvoir en janvier au profit d’un gouvernement de technocrates. Le discours du parti est aujourd’hui entièrement tourné vers la préservation de la démocratie et des libertés acquises avec la révolution. Autre axe de cette nouvelle stratégie de prudence : le parti ne veut plus assumer seul la responsabilité du pouvoir et prône un gouvernement d’union nationale. Sesadversaires dénoncent, eux, une évolution idéologique feinte, une simple tactique destinée à reprendre le pouvoir.

    Lire aussi : « Sous Ben Ali, même les plus pauvres pouvaient survivre »

    • Sur le plan économique et social, quel bilan tirer de la transition ?

    Le bilan économique d’Ennahda et du gouvernement intérimaire de Mehdi Jomaa, en place depuis janvier, n’est pas bon. La croissance atteint péniblement 2 %. L’économie informelle a explosé depuis 2011 : elle représenterait aujourd’hui 50 % du PIB. Gagne-pain pour de nombreux Tunisiens, elle est aussi une inquiétante source de trafics et un important manque à gagner pour les finances publiques. Selon l’Utica, le Medef tunisien, elle a contraint de nombreuses entreprises ayant pignon sur rue à fermer. Les Tunisiens se plaignent aussi de l’augmentation du coût de la vie. Quant au chômage, il est officiellement de 15 % mais serait en réalité bien supérieur, surtout chez les jeunes. Le tissu économique a aussi souffert des grèves et mouvements sociaux qui se sont multipliés après une révolution qui a aussi libéré la parole dans les entreprises. L’incertitude politique et sécuritaire a découragé les investissements étrangers, en baisse depuis 2011, et durement frappé le secteur touristique. Sur le fond, l’économie de la Tunisie continue à souffrir de problèmes structurels qui existaient déjà sous l’ancien régime : une industrie à faible valeur ajoutée, des régions intérieures non mises en valeur...

    • Quel est le poids politique du camp laïque ?

    Le poids du camp progressiste est important et serait certainement supérieur à celui des islamistes d’Ennahda si les partis politiques s’en réclamant s’étaient présentés unis aux élections. Mais, comme en 2011, cette famille politique va aux élections en ordre dispersé, au grand désespoir de ses électeurs. Une tentative d’union a eu lieu à l’été 2013 après les assassinats de Chokri Belaid et Mohamed Brahmi (Front populaire, extrême gauche). Mais elle n’a pas résisté à l’épreuve des urnes.

    Nidaa Tounes, « Appel de la Tunisie », créé autour de Béji Caïd Essebsi, figure de la vie politique tunisienne, âgé de 88 ans, a refusé de se présenter autrement que sous son propre nom. Lancé en 2012 avec l’objectif affiché de faire échec aux islamistes, le parti est composé de syndicalistes, de militants de gauche mais aussi d’anciens du régime de Ben Ali. Outre Nidaa Tounes, le spectre politique du camp séculier va du centre droit à l’extrême gauche. Pour de nombreux observateurs, sa division s’explique avant tout par des questions d’ego, plus que par des divergences de fond.

    <figure>Rassemblement des militants de l'UPL dans le quartier populaire de Ezzouhour, banlieue de Tunis, vendredi soir.</figure>

     

    • Quels rôles jouent les anciens bénalistes dans le paysage politique actuel ?

     

    Leur présence est incontestablement plus forte dans ces élections que lors du scrutin de 2011. Du moins est-elle plus visible. Au lendemain de la révolution, plusieurs personnalités de l’ancien régime ont été arrêtées par la police, souvent pour détournement d’argent, mais toutes sont sorties de prison. Un projet de loi d’exclusion – qui aurait empêché les membres de l’ancien régime de participer à la vie politique – a été discuté pendant plusieurs mois mais n’a pas été voté. Outre leur présence au sein de Nidaa Tounes, qui leur a largement ouvert ses portes, les anciens bénalistes se présentent aux législatives (mais aussi à l’élection présidentielle du 23 novembre) sous leur propre étiquette, à l’instar du Mouvement destourien de Hamed Karoui, premier ministre de Ben Ali entre 1989 et 1999 ou du parti Initiative de Kamel Morjane, ancien ministre des affaires étrangères. Expliquant avoir avant tout servi leur pays sous l’ancien régime, ils s’appuient sur le désenchantement d’une partie des Tunisiens et font valoir leur compétence d’hommes d’Etat ayant déjà exercé des responsabilités au plus haut niveau.

    Lire aussi : En Tunisie, les figures du régime Ben Ali de retour


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