Les sicaires du djihad global se sont sentis suffisamment forts pour dire non à Ayman al-Zawahiri, lorsque le chef d'al-Qaida, caché entre le Pakistan et l'Afghanistan, leur a demandé de rentrer en Irak pour ne pas aggraver la fracture inter-djihadiste. S'ils auront du mal à régner sur un «al-Qaida land» de l'est de la Syrie aux portes de Bagdad, ils entendent en revanche sanctuariser leur organisation dans l'est de la Syrie, pour en faire un trou noir propice à l'extension de la guerre sainte contre le Liban, la Jordanie et Israël, après une éventuelle chute d'Assad.-La libération des journalistes français est-elle le résultat de la guerre qu'a lancée en début d'année à leurs ravisseurs de l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL) le groupe al-Nosra, qui représente al-Qaida en Syrie, et des factions salafistes qui ne pouvaient plus tolérer leurs exactions contre la population? Toujours est-il que, depuis, l'EIIL a dû se replier sur son bastion de l'est de la Syrie, au terme de luttes fratricides qui se poursuivent.
Mais même affaibli, le groupe djihadiste le plus radical de la rébellion anti-Assad est loin d'avoir dit son dernier mot. Sur le terrain, son objectif est désormais de faire la jonction avec l'Irak voisin, où son antenne locale occupe depuis trois mois, avec l'aide de tribus, la ville de Faloudja à 60 km à l'ouest de Bagdad, ainsi que des quartiers de Ramadi, un peu plus au nord. L'EIIL a toutefois subi un revers il y a dix jours, lorsque ses rivaux islamistes l'ont bouté de la ville frontalière de Boukamal en Syrie, l'obligeant à se replier vers un site pétrolier voisin, dont l'exploitation constitue une précieuse ressource.
Créé en janvier 2012, huit mois après le début de la révolution contre Bachar el-Assad, l'EIIL n'est rien d'autre que le prolongement syrien d'al-Qaida en Irak (AQI), la terrifiante organisation terroriste responsable des pires sauvageries contre leurs ennemis: les chiites, l'armée américaine et irakienne. Ses chefs militaires sont des Irakiens ou des Libyens, ses cadres religieux, plutôt des Saoudiens et des Tunisiens, tandis que les combattants sont en majorité syriens - soit au total plus de 10.000 hommes. Et c'est auprès de l'EIIL que vont combattre des dizaines de jeunes Français attirés par le djihad.
Anciens officiers irakiens
«Au début, l'État islamique a fait venir en Syrie les étrangers qu'il ne pouvait plus garder en Irak», souligne Moktar Lamani, l'ancien représentant de l'ONU à Damas. «Plus aguerri qu'al-Nosra, avec lequel l'EIIL a collaboré contre Assad jusqu'au début de l'année, l'EIIL, grâce à un solide réseau de bailleurs de fonds dans le Golfe, a commencé de recruter parmi al-Nosra, parce qu'il avait besoin de Syriens, ce qui a fait naître de premières frictions», ajoute l'expert.
Jusqu'aux affrontements du début de l'année, le groupe ravisseur des Français était la force montante de l'insurrection syrienne. «Ses combattants jouent sur la surprise, c'est un groupe très fermé», relève Moktar Lamani. Rien d'étonnant. La plupart des cadres de l'EIIL sont en fait des anciens officiers de la garde républicaine ou des services de renseignements de Saddam Hussein, renvoyés par les Américains après la chute de Bagdad en 2003, qui ont embrassé ensuite la cause djihadiste.
Leurs expériences militaires, renforcées par des années de guérilla anti-américaine, expliquent leur capacité à faire exploser le même jour une voiture piégée à Bagdad, à tenir Faloudja et Ramadi, à attaquer de l'autre côté de la frontière des positions de l'armée syrienne et à résister aux ripostes d'al-Nosra et des salafistes. Sans oublier leur faculté à garder en otages pendant de longs mois et dans un contexte délicat plus d'une douzaine d'Occidentaux. Mais contrairement à l'ex-chef d'al-Qaida en Irak, le sanguinaire Abou Moussab al-Zarqaoui, qui faisait systématiquement exécuter ses captifs au milieu des années 2000, l'EIIL en Syrie sait négocier ses otages.