• Une journée bolchevique à la Berlinale

    11 février 2012

    Une journée bolchevique à la Berlinale

    Dans la salle du FriedrichstadtPalast, à l'Est de l'emplacement du mur, la Berlinale organise chaque année la projection d'un monument d'avant le parlant, qu'accompagne un orchestre symphonique. Le matin de cette projection (cette année le 10 février), la répétition générale sert de projection de presse. Cette année, la caisse claire de l'orchestre de la radiodiffusion de Berlin a été très sollicitée: la partition qu'Edmund Meisel a composée pour Octobre, de S.M. Eisenstein est résolument martiale, scandée par des roulements de tambour et des fanfares qui célèbrent le prolétariat.

    C'est l'un des privilèges de la Berlinale que de pouvoir faire résonner plus fort certains films historiques. Octobre, projeté en 1928 au Bolchoï pour célébrer dix ans de pouvoir bolchevique. Une année de retard qui s'explique par la nécessité de purger le métrage de toutes les vues montrant Trotsky. La version projetée au Friedrichstadt-Palast utilise une bobine de métrage censurée, retrouvée à Moscou dans les années 1960, si bien qu'on voit (fugacement) Trotsky, et l'on se demande quelle version était montrée à Berlin-Est avant 1989, avec ou sans Lev Davidovitch.

    Restauré numériquement, Octobre est un film splendide et terrible, qui ne laisse aucune chance à ses ennemis, les bourgeois, les popes, les mencheviks, les socialistes révolutionnaires. Jamais Eisenstein n'hésite à les stigmatiser, à les déshumaniser, aussi bien par le cadrage que par le montage. Regardez comment la plongée réduit la pose héroïque de Kerensky à celle d'un petit garçon boudeur.

    Et au cas où il y aurait encore un doute sur les qualités du chef du gouvernement provisoire, Eisenstein enchaîne sur un plan montrant une statue de Napoléon Ier (resté assez impopulaire en Russie) les bras croisés.

    Les hasards de la programmation m'ont fait enchaîner les projections d'Octobre et d'Indignados, de Tony Gatlif, qui est aussi un film d'agit-prop.

    Le cinéaste français s'est inspiré du livre de Stéphane Hessel pour un collage qui mêle les tribulations d'une immigrée clandestine (de la fiction) et des images des manifestations d'indignés à Madrid et à Paris. Il n'est pas question ici de comparer deux cinéastes incomparables mais de remarquer  à quel point l'espèce de gentillesse qui prévaut dans les discours les plus radicaux de notre temps pâlit face à la volonté furieuse d'imposer ses raisons qui parcourt tout le film d'Eisenstein.

    Pour compléter ce menu rouge comme l'Orient, j'ai vu trois documentaires réalisés pour le studio Prometheus à la fin des années 1920 en Allemagne. Lié au Secours ouvrier international, l'une des organisations de masse du Komintern, Prometheus et son organisation soeur en Russie soviétique, Mezhrabpom Film, produisaient des films (de fiction, d'animation, documentaires) destinés à entretenir la foi dans la révolution prolétarienne. Dans la salle de cinéma du musée de l'histoire allemande, on a vu deux courts métrages (Comment vivent les travailleurs et Dans l'ombre de la métropole) qui montraient les conditions de vie dans les quartiers ouvriers de Berlin, l'insalubrité, les propriétaires toujours prêts à expulser les mauvais payeurs. La beauté des panoramiques sur les cours sordides, les plans  qui détaillent la maigreur de ces petits enfants blonds qui, dix ans plus tard partiront à la guerre sont autant d'appels aux armes. Le long métrage qui complétait le programme, Um's Tagliche Brot (Pour notre pain quotidien), de Phil Jutzi mélange la description minutieuse de la vie quotidienne des mineurs de charbon de Silésie et une fiction dramatique, dans laquelle le prolétaire isolé est vaincu.

    Et ce samedi matin, en compétition, on a vu Barbara, de Christian Petzold. Barbara (Nina Hoss) est médecin dans une petite ville de RDA, en 1980.  Un médecin regarde une reproduction de la Leçon d'anatomie de Rembrandt et dit à sa collègue "j'aimerais aller le voir à La Haye". Elle répond "Pose une demande", et toute la salle a ri, pas très fort, comme par réflexe, en souvenir de la vie au temps de la victoire des héritiers d'Octobre.


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