Que l'on nous appelle les "bas-bleus" et cela nous enchante. Dans les années 40, lorsque l'écrivaine féministe Benoîte Groulx avait 18 ans, cette expression visant les femmes érudites donc forcément prétentieuses, et dont elle a été affublée plus d'une fois, faisait ricaner ces messieurs. On n'en est plus là, et c'est heureux.
Mais si aujourd'hui, la formule n'est plus guère employée, les dents grincent toujours lorsque les femmes donnent de la voix pour réclamer leurs droits. Toutefois, plus personne n'ose contester l'égalité homme-femme sans risquer le politiquement incorrect. Quant aux partis au pouvoir, ils multiplient les tours de passe-passe à coups de lois peu respectées et, au finish, rien n'est vraiment mis en place pour faire avancer la cause des femmes.
Tout le monde admet volontiers que sexisme il y a, et pourtant les inégalités demeurent. Depuis quelques années, et malgré des évolutions trompe l'œil, c'est le no woman's land. Comme si la révolution féministe et plus particulièrement le MLF des années 60 en avait déjà trop fait (droit à l'avortement, à la contraception, à l'indépendance financière, à la liberté sexuelle, au partage des taches…) et qu'il faille s'en satisfaire car il y a, de par le monde, matière à plus urgent. Certes. Mais la surenchère de drames ne doit pas faire oublier que ces inégalités de genre sont la source de bien des dérives. Et qu'elles doivent être combattues.
Le tout est de savoir comment. Ce 8 mars, la Journée Internationale de la Femme officialisée par les Nations Unies en 1982, fête ses 30 ans. Pas de quoi être fier, en réalité. Coluche disait, à propos des Restos du Cœur, "Si dans 10 ans on existe toujours c'est qu'on a tout raté."
Qu'en est-il de cette journée créée à l'origine pour éradiquer le sexisme ? Elle est devenue une institution. Ce sont quelques heures pendant lesquelles les féministes descendent dans la rue pour réclamer encore et toujours l'égalité. Dans la vie privée, la vie professionnelle, la vie sociale. Elles insistent sur le fait que ce 8 mars est une piqure de rappel. Oui, mais elle ne soigne pas le mal. Et l'effet placebo est toujours de courte durée.
Avons-nous tout raté ?
Est-il donc si pertinent de conserver cette journée qui nous éloigne toujours un peu plus du sexe opposé ? Ce jour anniversaire n'est-il pas la preuve que nous avons " tout raté" ? Sans doute pas. Mais selon la "nouvelle" féministe, Lydia Guirous, fondatrice de l'association "Future, au féminin", elle nous ghettoïse quand on a plus que jamais besoin des hommes pour avancer : "Cette journée dessert les femmes, elle n'est rien moins que condescendante et infantilisante, dit-elle. Elle entretient la victimisation des femmes dans la société -en la réduisant à l'état de problème- et la stigmatisation des hommes."
Isabelle Alonso, membre des "Chiennes de garde", l'association féministe la plus médiatisée en France, n'est pas de cet avis, elle qui aime à répéter que "le 8 mars est une occasion d’affirmer, une fois encore, qu’une réelle politique de lutte contre la violence faite aux femmes exige le vote d’une loi anti sexiste.", s'exclamant ironiquement : "Une journée de LA femme ? Et pourquoi pas une journée du pingouin de la Baltique ou du caramel au beurre salé ? Sans compter qu’il y a déjà la Fête des Grand-mères, celle des Secrétaires, sans compter la Saint Valentin et les trois jours des Galeries Farfouillette ! En d’autres termes, y’en a que pour les gonzesses, alors qu’est ce qu’elles veulent encore et à quand une journée de l’Homme ? Tous les ans, on a droit à ce genre de tir à vue sur la journée des femmes. Alors affûtez vos arguments. "
C'est ce que fait Lydia Guirous qui considère que "cette journée place l'engagement féministe au rang de gadget politique que l'on sort une fois par an. Les partis politiques ne se gênent pas pour l’instrumentaliser, surtout à la veille d’élections nationales."
Une journée de la femme et 364 journées de l'homme ?
Un argument peu convaincant pour Jessica Scale, auteure d'un livre sur la communication politique, "Bleu, Blanc, Pub - trente ans de communication gouvernementale" (Le Cherche Midi), directrice générale en charge des opérations et des programmes métier chez Logica, et par ailleurs enseignante à Sciences Po Paris : " Mais la journée a été créée par les politiques !, relève-t-elle. Yvette Roudy nous confiait, pour les besoins de notre livre, qu'elle avait eu à convaincre ses camarades socialistes de l'importance de la communication pour préparer l'opinion et faire passer sa loi sur l'égalité professionnelle au Parlement. Je ne crois pas à la récupération : les Français sont intelligents et gardent davantage en mémoire les vraies avancées - une femme ministre de la Défense, par exemple - ou les reculs - l'épisode malheureux des jupettes virées du deuxième gouvernement Juppé-, que de beaux discours prononcés le 8 mars de chaque année. En revanche, il serait bon que davantage de politiques se soucient de cette cause. Peu de candidats à l'élection présidentielle s'inquiètent que les femmes restent économiquement les plus vulnérables dans notre société, et encore moins font des propositions pour tenter d'y remédier. "
Mais Lydia Guirous insiste : "Cette journée augmente les clichés sur les femmes (vulnérable, faible, fragile,) et ne les encourage pas à entreprendre, avancer et oser exploiter les opportunités. Par ailleurs, le fait qu'il n'y ait qu'une journée de la femme par an, sous-entend que l’engagement pour la justice homme-femme ne se fait qu’une fois par an. Pour moi, c’est un engagement que l’on porte tous les jours ! Et quoi ! Les autres journées de l’année seraient donc des jours de l'homme ? En tout cas, cette journée le laisse à penser."
Et si on militait pour le "vivre ensemble"?
La fondatrice de "Future, au féminin" n'est pas la seule à le penser. C'est aussi le cas des très jeunes lectrices du magazine pour pré-ados "Julie" qui publie ce mois-ci un dossier intitulé "Halte aux clichés sur les filles !": "Certaines lectrices se demandent pourquoi une journée de la femme s'il n'y a pas une journée des garçons. Cela signifie-t-il que c'est la fête tous les jours pour les garçons ?", explique la rédactrice en chef Stéphanie Saunier qui alimente le débat chaque année sur le site et se félicite de l'intérêt suscité par le sujet : "Cela crée des débats en classe, avec leur copine ou avec nous, dit-elle. Beaucoup se réfèrent à l'égalité ou plutôt au manque d'égalité des droits entres filles et garçons. Mais, comme nous à la rédaction, elles trouvent dommage que l'on ait besoin d'une journée pour cela. Un magazine comme "Julie" s'adresse aux filles, certes, mais revendique le "vivre ensemble" et ne veut pas non plus stigmatiser les garçons."
Jessica Scale n'est pas dupe, elle non plus, sur l'efficacité de cette journée : "Il est évident que la journée de « la femme » n'est qu'une gentille passe d'arme dans ce combat, admet-elle. Je vois l'efficacité de l'outil législatif pour faire progresser les choses, que ce soit la parité hommes/femmes dans les scrutins de liste ou l'instauration de quotas dans les conseils d'administration. Je constate aussi que, dans les entreprises, grandit la préoccupation de féminiser davantage les couches managériales et dirigeantes. Dans mon entreprise, qui conseille et accompagne les entreprises pour mettre la technologie au service de leurs besoins, c'est en train de devenir une question centrale. Les femmes dominent aujourd'hui en matière d'usages des technologies : c'est pourquoi nous agissons avec détermination pour attirer davantage de jeunes diplômées et les fidéliser avec des carrières passionnantes, et aussi bien rémunérées que celles des hommes."
Un combat de tous les âges : "Les filles, rappelle Stéphanie Saunier, ont le droit de se rêver avocate, chef d'entreprise, styliste, coiffeuse ou pompier. Elles ont le droit d'être fan de mode ou de ne pas du tout se préoccuper de leur look. On se doit de les informer sur l'historique, leur rappeler que, il n'y a pas si longtemps, une femme n'avait pas le droit de vote, qu'il y a eu des femmes courageuses qui ont ouvert la voie pour elles et qu'elles doivent être vigilantes pour leur avenir. "
Il leur faut réaliser que l'égalité ne se réclame pas seulement un jour frisquet de mars mais tout au long de l'année, dès le plus jeune âge. Et les aider à comprendre cela n'est pas seulement le boulot de la presse, c'est aussi celui des mères. Et des pères.