• Manuel Valls et "les hypocrites" du non-cumul

    Manuel Valls et "les hypocrites" du non-cumul

    Créé le 03-10-2012 à 18h26 - Mis à jour le 04-10-2012 à 18h40 
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    Que met précisément François Hollande derrière "le non-cumul des mandats" ? Une facilité, dénoncée tantôt par Valls, ou l'amorce d'un renouveau de la République?

     

    Que met précisément François Hollande derrière "le non-cumul des mandats" ? Une facilité, dénoncée tantôt par Valls, ou l'amorce d'un renouveau de la République ? (JOEL SAGET / AFP)

    Que met précisément François Hollande derrière "le non-cumul des mandats" ? Une facilité, dénoncée tantôt par Valls, ou l'amorce d'un renouveau de la République ? (JOEL SAGET / AFP)

     

    Le candidat Hollande s’était engagé à faire voter une loi "sur le non-cumul des mandats". Sans autres précisions sur la date de son entrée en application ou sur la nature exacte des mandats concernés. C’est donc par pure déduction qu’on peut dire aujourd’hui que le président entend interdire le cumul d’un mandat parlementaire (député, député européen ou sénateur) et d’une fonction exécutive locale (maire, président de conseil général ou régional). Hollande n’a jamais parlé de "mandat unique". Ce n’est sûrement pas un hasard.

    C’est encore par simple déduction qu’on peut aussi penser que cette loi entrera en vigueur lors des élections municipales du printemps 2014. Cette célérité relative, en dépit des résistances qui se sont manifestées récemment, y compris dans les rangs socialistes, doit beaucoup au contexte politique : celui d’un début de quinquennat dominé par le doute et la déception. Comme le confiait, il y a peu, un proche du président : "Les Français peuvent comprendre qu’on retarde l’application de certaines promesses, en raison de la crise. Mais ils n’admettront jamais qu’on ne tienne pas des engagements qui ne coûtent pas un sou". Dans la liste des réformes hollandaises, le non-cumul est la seule qui fasse l’objet d’un large consensus au sein de l’opinion. Pourquoi donc tergiverser ?

    Le coup est parti, rien ne l'arrêtera

    Dans quelques semaines, la commission présidée par Lionel Jospin rendra son rapport sur la modernisation de la vie politique française. L’ancien Premier ministre ne sera pas le seul à tenir la plume, mais on voit mal comment il pourrait ne pas proposer, lui aussi, une réglementation drastique du cumul des mandats. Jospin est un homme de parti et de gouvernement. Il n’a jamais été l’un de ces féodaux qui peuplent aujourd’hui le PS. Durant sa longue carrière, il n’a été qu’une seule fois en situation d’empiler les mandats. C’était au début des années 90. Il voulait alors devenir président de la région Midi-Pyrénées, mais il a échoué avant d’être ensuite battu aux élections législatives. Comme Martine Aubry et à la différence de Bertrand Delanoë, il fait parti de ces responsables politiques qui n’ont pas choisi le non-cumul mais qui s’y sont un jour résignés. Ce qui n’a fait que renforcer leur hostilité à l’égard de pratiques qu’ils ont d’ailleurs contribué à restreindre lorsqu’ils étaient en responsabilité.

    Dès lors que les Français le veulent, qu’Hollande l’a promis et que Jospin, du haut de sa sagesse, s’apprête à en faire, à son tour, la proposition, le non cumul relèvera bientôt de la loi et non plus de règles de comportement individuel. On peut imaginer des adaptations. On peut envisager la prise en compte de situations particulières et souvent justifiées. On peut même penser que tout cela suppose une part de négociations avec les parlementaires qui sont les premiers concernés et qui, au final, devront voter ce texte au Parlement. Mais on sent bien que le coup, désormais, est parti et que rien ne pourra l’arrêter.

    Quand Valls torpillait le non-cumul

    C’est dommage. L’apparente évidence de cette réforme cache beaucoup de faux semblants. Lorsque ce projet de loi viendra devant l’Assemblée, le ministre de l’Intérieur sera chargé de le défendre. Or, il y a quelques années, en 2008, Manuel Valls a tenu, dans un livre d’entretien ("Pour en finir avec le vieux socialisme… ", éditions Robert Laffont), des propos qu’il faut citer en entier. Pour leur vigueur, leur cruauté et surtout leur profond réalisme : "Le non-cumul, déclarait ainsi le député-maire d’Evry, j’y croyais et j’ai eu tort. C’était une diversion. Ca fait partie des histoires qu’on se raconte pour s’étourdir quand on a perdu son identité. Quand la gauche, qui doit être le camp du progrès, ne sait plus comment l’inventer, elle se rabat vers une morale simplette : député ou maire, gentil ! Député et maire, ou député et président de département, méchant! C’était assez innocent, tant ça portait peu à conséquence. Mais c’était d’une telle hypocrisie!"

    En bon soldat de la Hollandie, Manuel Valls devra bientôt faire contre mauvaise fortune bon cœur. La manière dont il pointait, il y a quatre ans à peine, "la morale simplette" de cette promesse, en suggérant à ses camarades de se concentrer "sur l’essentiel", c’est-à-dire sur "les pouvoirs d’initiative et de contrôle du Parlement", montre toutefois que la modernité et l’efficacité démocratique du non-cumul mériteraient aujourd’hui ce brin de réflexion qui fait trop souvent défaut dans le débat public.

    Les faux-semblants d'une belle promesse

    Une spécificité française : oui mais... 

    Le premier argument avancé par les adversaires du cumul est qu’il constitue une spécificité française. Si nulle autre démocratie européenne ne le pratique à ce point, c’est bien qu’il ne répond à aucune logique! On peut répondre à cela que le cumul, en France, est une conséquence du mode d’organisation des collectivités locales. 38.000 communes, qui dit mieux ? Un échelon départemental doublé d’un échelon régional, qui fait mieux? En matière d’originalité, notre République se distingue surtout par la prédominance du pouvoir présidentiel. Faut-il s’étonner que des parlementaires, ravalés aux rangs de godillot, trouvent ailleurs qu’au Palais Bourbon ou au Palais du Luxembourg, l’occasion d’exercer leurs talents? Réglementer le cumul sans toucher à l’architecture du système ne peut conduire qu’à de nouveaux dysfonctionnements. On peut se faire plaisir en se contentant d’une réforme à laquelle aspirent les Français. Si on s’arrête là, on risque fort de décevoir leurs attentes.

    On ne peut faire deux choses à la fois : ah bon ? 

    Le second argument avancé par les contempteurs du cumul est qu’il interdit à ceux qui le pratiquent de remplir correctement leurs responsabilités. Comment faire deux choses à la fois! Tout cela semble de bon sens. Quand un parlementaire gère aussi une ville, un département ou une région, il est contraint de délaisser l’un ou l’autre de ses mandats. D’où un absentéisme chronique au sein des Assemblées. Est-ce aussi évident? Hollande vient d’exiger de ses ministres qu’ils quittent les exécutifs locaux. Il suffit pourtant de regarder leurs emplois du temps pour constater que la plupart d’entre eux retournent sur leurs terres dès le jeudi soir pour ne revenir à Paris que le lundi matin (au mieux). C’est que les dits ministres savent mieux que quiconque la source de leur pouvoir. Déserter leur ancienne circonscription ou bien la ville qui les a élus est une faute qu’ils ne veulent pas commettre. Formellement, ils ne cumulent plus mais, dans leur tête, ils conservent plusieurs ports d’attache. Au cas où…

    Si demain les parlementaires doivent abandonner leurs responsabilités locales, qui peut imaginer qu’ils seront plus assidus dans l’hémicycle ? Tout élu reste un candidat en puissance qui repart en campagne, dès le lendemain de sa victoire. On peut déjà prévoir qu’un parlementaire, sans l’ancrage d’une mairie, d’un département ou d’une région, aura besoin de passer sur ses terres encore plus de temps qu’aujourd’hui. Sauf si l’on modifie son mode de désignation en substituant la proportionnelle au scrutin de circonscription. Là encore, c’est donc moins le cumul qui pose problème que les règles d’un système qui y poussent irrésistiblement et qu’il vaudrait mieux modifier avant de s’attaquer à ses effets naturels.

    Le cumul freine le renouvellement des élus : rien d'autre ?  

    Troisième argument des adversaires du cumul : celui-ci empêche ou freine le renouvellement des élus. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’il est aussi populaire chez les jeunes mâles de la classe politique. Ceux-ci pestent d’avoir dû laisser la place à leurs consoeurs, au nom de la parité. Ils aimeraient que leurs aînés cessent de s’autoriser des carrières au long court, dans un jeu où chaque mandat perdu est l’occasion d’un rebond, dès lors qu’il peut s’appuyer sur un mandat de secours.

    Reste que si l’objectif est le renouvellement de cadres, mieux vaudrait restreindre la durée des carrières en interdisant, par exemple, de briguer plus de deux fois de suite une même fonction élective. Mais est-ce vraiment le souhait des électeurs? Les règles qu’ils réclament, dès lors qu’elles valent pour tous, leurs agréent-elles encore quand elles s’imposent à leurs propres élus? La loi, en l’occurrence, attente à un principe de base de toute démocratie : la liberté de choix. Si les électeurs ne veulent pas que leurs élus cumulent ou s’ils veulent de nouvelles têtes, ils disposent d’une solution d’une rare simplicité : ne plus voter pour eux. S’ils ne le font pas – ou peu - sans doute est-ce parce que, derrière les principes, il y a des réalités ou des aspirations plus complexes qu’on veut bien le prétendre.

    Un système anti-démocratique : plus ou moins...

    D’où le dernier argument des anti-cumulards : cet emboîtement de mandats nationaux et locaux expliquerait que les électeurs n’aillent pas jusqu’au bout de leurs aspirations réelles. Pour eux, le cumul est, par nature, d’essence anti-démocratique. On évoque souvent le conflit d’intérêts auquel se livrent tous ceux qui exercent des responsabilités dont les logiques viennent à se contredire. On pointe parfois aussi les pressions que feraient subir à leurs mandants des élus qui utilisent leurs différentes casquettes pour mieux verrouiller leur pouvoir d’influence. Ce soupçon-là ne vaut guère pour un député cumulard, élu par plusieurs milliers d’électeurs. Quand il mène campagne, à l’occasion d’une élection législative, sans doute peut-il se prévaloir de son action à la tête d’une mairie ou d’un département. De là à imaginer qu’il ait, grâce à ces mandats multiples, les moyens de tenir la main des électeurs jusque dans l’isoloir…

    Un sénateur, en revanche, est immanquablement placé devant pareille tentation. Ses électeurs sont les représentants des collectivités locales. Lesquelles ne peuvent se passer des subventions des départements et des régions. Le cumul est alors une distorsion de concurrence. Il rompt le principe d’égalité devant les électeurs. Le problème est réel. Sauf qu’il renvoie à la nature même de la haute assemblée. Le système bicaméral n’est ni spécifiquement français, ni particulièrement républicain. Ceux qui en ont été les principaux promoteurs, l’ont justifié de deux manières. Les uns ont expliqué qu’un Sénat conservateur était le contrepoids nécessaire aux emballements d’une Assemblée soumise aux lois changeantes de l’opinion. D’où un mode de désignation indirecte par de grands électeurs. D’où aussi la longueur du mandat de ceux qui sont conduits à y siéger.

    Dans un registre différent, qui n’est d’ailleurs pas contradictoire, d’autres ont imaginé le Sénat comme la chambre attitrée des collectivités locales. Sous la Ve République, c’est dans cette double mission que la haute Assemblée a fini par trouver son assise politique. Or la première a été écornée par l’accroissement constant du nombre des sénateurs élus à la proportionnelle, devenus du même coup les représentants des courants de pensée nationaux, et par l’alignement progressif de la durée du mandat sénatorial sur celui des députés. Six ans, au lieu de neuf, pour les uns ; cinq ans pour les autres. Une limitation du cumul introduirait un coin supplémentaire dans ce qui légitime l’existence d’une seconde chambre en France. A l’heure où beaucoup invoquent le modèle vertueux des autres démocraties européennes, faut-il rappeler qu’en Allemagne – nation fédérale, il est vrai - les membres du Bundesrat sont les représentants attitrés des Länder qui d’ailleurs les désignent au lieu de les élire.

    Le non-cumul : facilité ou début du renouveau ? 

    Qu’est-ce donc qu’un Sénat dont les élus seraient interdits de cumul? Plutôt que de passer tous les parlementaires sous la même toise, quitte à attenter à la spécificité de la Haute Assemblée, il vaudrait mieux s’interroger sur ce qui justifie son existence dans notre système institutionnel. Si c’est "une anomalie", comme l’affirmait autrefois Jospin, mieux vaudrait la supprimer, tout bonnement. Si ce n’est plus une chambre conservatrice ou une assemblée de notables, représentants les collectivités locales, il vaudrait mieux le dire et organiser, devant les Français, une transition assumée vers un nouvel équilibre démocratique.

    Par quel que bout qu’on le prenne, le combat contre le cumul débouche toujours sur la même conclusion. Soit la loi à venir n’est qu’une manière de calmer des Français, avides de changement et pressés de châtier des élus qu’ils jugent trop gourmands, et alors le ministre de l’Intérieur a milles fois raisons. C’est une facilité, doublée d’une belle "hypocrisie". Soit c’est le point de départ vers une République plus "normale" ou, pour le dire autrement, plus conforme aux canons d’une démocratie équilibrée et alors, en effet, le jeu en vaut la chandelle. C’est en mesurant ces enjeux qu’il faudra lire demain le rapport de la commission Jospin. Avec, en filigrane, l’arbitrage nécessaire entre les craintes de Valls et les jeux de Hollande. Entre la peur d’une habileté sans lendemain et l’espoir d’un détour créateur. Joli défi !


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