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    Italie : nouvelle enquête pour corruption contre Berlusconi

    Le Monde.fr avec AFP | <time datetime="2013-02-28T12:26:05+01:00" itemprop="datePublished">28.02.2013 à 12h26</time>

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    Silvio Berlusconi.

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    La justice italienne a ouvert une nouvelle enquête pour corruption contre l'ex-chef du gouvernement Silvio Berlusconi, soupçonné d'avoir "acheté" il y a plusieurs années un sénateur appartenant à l'époque à l'opposition de gauche, rapportent jeudi les médias. "Selon l'hypothèse du parquet de Naples, il aurait payé trois millions d'euros au sénateur De Gregorio", écrit le quotidien de gauche La Repubblica sur son site internet.

    L'affaire remonte aux législatives de 2006, remportées de justesse par la coalition hétéroclite de gauche dirigée par Romano Prodi qui n'avait qu'une poignée de voix en plus que Silvio Berlusconi au Sénat. Quelques mois à peine après les élections, Sergio De Gregorio, l'un des sénateurs élus dans l'un des partis de la coalition de M. Prodi, quitte son camp en passant avec armes et bagages chez Silvio Berlusconi, accélérant la chute du gouvernement de gauche qui jette l'éponge en 2008, moins de deux ans après le scrutin.

    L'enquête est de la compétence du parquet de Naples car Sergio De Gregorio a été élu dans cette circonscription. Selon le site internet du Corriere della Sera, deux magistrats du parquet de Naples et trois magistrats de la direction régionale anti-mafia sont chargés de cette affaire.

    Le Cavaliere a été accusé à plusieurs reprises par ses adversaires politiques d'avoir "acheté" des voix ou des élus, mais c'est la première fois qu'il se retrouve officiellement sous enquête pour un cas concret de corruption d'un homme politique.

    </article>

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    Hessel - Morin : "Résistons à la tentation réactionnaire !"

    LE MONDE | <time datetime="2013-02-28T14:32:02+01:00" itemprop="datePublished">28.02.2013 à 14h32</time> • Mis à jour le <time datetime="2013-02-28T17:16:56+01:00" itemprop="dateModified">28.02.2013 à 17h16</time>

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    Stéphane Hessel.

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    Stéphane Hessel et Edgar Morin : deux résistants, deux tempéraments, deux figures phares de l'engagement. L'ancien diplomate et le sociologue se sont rencontrés le 19 juillet 2011, au Théâtre des idées, le cycle de rencontres intellectuelles du Festival d'Avignon. Vifs, graves, alertes et enjoués, ils ont donné ce jour-là quelques raisons d'espérer, malgré la crise mondiale, quelques motifs de croire en la politique en dépit de toutes les désillusions auxquelles nous a conduit le règne des cyniques. En tontons flingueurs de la pensée, ils s'en sont même pris aux nouvelles forces réactionnaires droitières comme aux impasses d'un progressisme de reniement.

    En France, c'était le crépuscule des années Sarkozy, le moment où la volonté de récupérer la "politique de civilisation" d'Edgar Morin par le président de la République s'était depuis longtemps noyée dans le discours de Dakar en juillet 2007 sur "l'homme africain [qui] n'est pas assez entré dans l'Histoire" ou celui de Grenoble de 2010 sur les Roms et la déchéance de la nationalité. En Europe, les populistes extrémistes prospéraient. Dans le monde entier, la crise financière ne cessait de projeter son ombre portée. Pour ces deux amis qui s'étaient rencontrés à l'orée des années 1980, le temps de la réaction s'installait. Régression politique, économique, mais aussi idéologique. Car la bien-pensance avait changé de camp, et le lâchage sur les immigrés ou les "assistés" cartonnait dans les écrits et sur les écrans.

    "INDIGNEZ-VOUS !"

    Le succès du petit livre de Stéphane Hessel, Indignez-vous ! (Indigène, 2010) était retentissant. Mais l'ancien déporté en connaissait bien les limites et les critiques. Au sein même de son propre camp s'élevaient des réserves sur ses appels incantatoires à la résistance et ses références historiques prestigieuses mais datées. Formé à la philosophie auprès de Maurice Merleau-Ponty, Stéphane Hessel savait que l'indignation, qui est, selon Spinoza, "la haine que nous éprouvons pour celui qui fait du mal à un être semblable à nous", peut-être aussi une "passion triste". Lui l'envisageait comme un sursaut face à la résignation politique et la fatalité sociale. Il voyait dans La Voie, l'ouvrage d'Edgar Morin qui reliait toutes les réformes pratiques et théoriques, le chemin. D'où l'importance d'avancer aussi par affects politiques, loin des grands discours programmatiques.

    "Caminante no hay camino, se hace el camino al andar", disait le poète Antonio Machado qu'Edgar Morin aime à citer : "Toi qui marche, il n'y a pas de chemin. Le chemin se fait en marchant." Vaincre la tyrannie des marchés et réformer la pensée, telle était l'urgence de ces deux maîtres rêveurs. Dessiner une France solidaire, forger une Europe politique, esquisser un monde moins inégalitaire, tous ces chantiers restent d'actualité.

    Stéphane Hessel tint à terminer cette rencontre par une chanson anticolonialiste écrite avec sa femme Vitia, sur l'air de Il n'y a pas d'amour heureux, le célèbre poème d'Aragon mis en musique par Georges Brassens. Stéphane Hessel et Edgar Morin, qui publièrent ensemble Le Chemin de l'espérance (Fayard, 2011), savaient pourtant bien qu'il y existait aussi des amours heureux. Mais ce jour-là, c'est l'amitié qui prenait le quart. Jeunes et vieux regardaient éblouis ces papys qui avaient fait et faisaient encore de la résistance. Et qui réactivèrent de concert le principe espérance.

    Comment expliquez-vous le mouvement de repli réactionnaire qui s'opère aujourd'hui, notamment en Occident ?

    Edgar Morin : Cette tendance régressive est due au sentiment de perte d'avenir. Nous avons longtemps vécu dans l'idée que le progrès était une loi historique. Jusqu'à Mai 68, nous étions persuadés que la société industrielle développée résoudrait la plupart des problèmes humains et sociaux.

    Tandis que la Russie soviétique et la Chine maoïste promettaient un avenir radieux, on s'imaginait que le progrès allait s'emparer des pays anciennement colonisés pour y faire advenir le développement économique et le socialisme arabe. Le futur s'est effondré, laissant place à l'incertitude et à l'angoisse : aujourd'hui, nul ne sait de quoi le lendemain sera fait.

    Quand le présent est incertain et angoissant, on a tendance à se recroqueviller sur le passé. Dans cette situation, les partis qui représentaient la France républicaine de gauche se sont progressivement vidés de leur substance.

    Du communisme, il reste l'étoile naine du Parti communiste français ; quant à la sociale-démocratie, elle n'a pas su se régénérer pour répondre aux défis de la mondialisation. D'où ce sentiment d'impuissance et de résignation face à la spéculation financière. Par ailleurs, la dispersion de la connaissance, compartimentée entre experts de différentes disciplines, nous empêche d'adopter une vision globale.

    Stéphane Hessel : Entre les idéologies communiste et néolibérale, il s'agit de frayer un passage à la vraie démocratie fondée sur la majorité populaire. Dans mon livre Indignez-vous !, je rappelle le programme élaboré par le Conseil national de la Résistance en France, dont certains points mériteraient d'être réactivés.

    Face à la crise économique qui nous menace aujourd'hui, il convient de revenir à ces valeurs démocratiques et de faire face au souvenir de Vichy, du dreyfusisme, du versaillisme à la fin de la guerre de 1870, à cette France réactionnaire qui ressurgit au gré des crises.

    La situation actuelle n'est certes pas aussi tragique que dans les années 1930, mais le poids qui pèse sur la France n'est pas moins lourd. Il ne nous vient plus d'une occupation extérieure ni même du capitalisme français, mais de l'économie mondiale et de son néolibéralisme effréné.

    C'est un poids contre lequel luttaient les syndicats et les mouvements de la Résistance, dans le souci de revenir aux valeurs fondamentales de liberté, d'égalité et de fraternité.

    Aujourd'hui plus que jamais, il nous faut renouer avec les valeurs promues par les résistants : Sécurité sociale pour tous, résistance contre les féodalités économiques, école pour tous, sans oublier la presse indépendante.

    <figure class="illustration_haut"> Le philosophe et sociologue Edgar Morin à Paris, le 2 février 2007. </figure>

    Edgar Morin : Le programme du Conseil national de la Résistance entendait réanimer la République des années 1930, qui avait failli sous le poids des scandales et de son incapacité à répondre à la crise économique ou à aider l'Espagne.

    Aujourd'hui encore, il s'agit de régénérer la démocratie en lui imprimant un caractère social. Il y a toujours eu deux France mais, sous la IIIe République, le peuple avait le dessus. La reconnaissance de l'innocence de Dreyfus, la séparation de l'Eglise et de l'Etat, l'instauration de la laïcité étaient des victoires sur la France de la réaction.

    Il a fallu un désastre sans précédent, que Charles Maurras appelait "la divine surprise", pour que la deuxième France prenne le pouvoir. Cette deuxième France, qui s'est manifestée dans ses caractères les plus xénophobes, s'est discréditée dans la collaboration et désintégrée avec la Libération. D'où l'importance de régénérer ce peuple républicain cultivé par les instituteurs laïques, par les partis qui enseignaient la solidarité mondiale...

    Les sécurités élémentaires de l'Etat-providence sont aujourd'hui menacées par la compétitivité économique : les entreprises dégraissent, imposent des rythmes de travail qui peuvent conduire à des suicides... La régression peut prendre des formes multiples. Il faut désormais prendre conscience du péril et chercher de nouvelles voies.

    Stéphane Hessel : Certains disent qu'Indignez-vous !, c'est bien beau, mais cela ne nous dit pas ce qu'il faut faire. Effectivement, ce petit texte de 30 pages n'est que le prélude à une réflexion indispensable. Il faut commencer par nous indigner pour ne pas nous laisser endormir.

    Toute une génération risque de se dire qu'on n'y peut rien : c'est à cela qu'il faut trouver une réaction. Il ne suffit pas de savoir que ça va mal, il faut savoir comment aller dans la bonne direction. C'est là que l'apport d'Edgar Morin, dans La Voie, est précieux.

    Il nous montre qu'il y a des amorces de véritables marches en avant dans un certain nombre de domaines : l'économie sociale et solidaire, par exemple, qui permet d'aller plus loin que cette tyrannie du profit. Nous ne devons en aucun cas perdre confiance dans la capacité d'aller de l'avant et de renouveler les aspirations légitimes des résistants sous le régime de Vichy et l'occupation allemande.

    D'où vous vient cet optimisme, vous qui avez traversé un tragique XXe siècle ?

    Stéphane Hessel : Edgar Morin et moi-même avons une longue vie derrière nous ; nous avons été témoins de situations qui paraissaient insolubles, comme l'Occupation, la Chine de Mao, la Russie de Staline, la décolonisation. Il faut avoir confiance et patience : les problèmes ne sont pas plus graves aujourd'hui qu'ils l'étaient dans notre jeunesse et, l'expérience l'a montré, ils ne sont pas insurmontables.

    Cela me rappelle une discussion que j'ai eue avec le philosophe Walter Benjamin (1892-1940), grand ami de mon père, notamment traducteur de Proust en allemand. C'était à Marseille, en août 1940, avant qu'il cherche à rejoindre l'Espagne et se donne la mort dans la petite ville de Port-Bou, dans les Pyrénées. J'avais 23 ans et, lui, 48.

    "Nous sommes dans le nadir de la démocratie, m'a-t-il dit. Avec la victoire d'Hitler, nous sommes au point le plus bas où elle peut tomber." Je me souviens lui avoir répondu : "Mais non, croyez-moi, nous allons trouver les voies de la résistance. D'ailleurs j'essaye de rejoindre le général de Gaulle, à Londres"...

    Edgar Morin : Nous avons su garder nos aspirations d'adolescents, même si, en ce qui me concerne, j'ai perdu quelques illusions. Nous sommes animés par le souci permanent du destin de l'humanité.

    Lors de ma première rencontre avec Philippe Dechartre, l'un des responsables du mouvement de résistance auquel j'ai appartenu, il m'a demandé : "Qu'est-ce qui te motive, toi ?" Je lui ai répondu que c'était, bien sûr, la libération de la France, mais surtout mon désir de participer à la lutte de l'humanité pour son émancipation. Ce souci du destin humain est resté le mien.

    De même que nous avons lutté contre le nazisme, nous entendons résister à toute forme de barbarie, et surtout à cette barbarie froide et glacée que les philosophes allemands Theodor Adorno (1903-1969) et Max Horkheimer (1895-1973) appelaient la raison instrumentale, c'est-à-dire une rationalité destructrice fondée sur le calcul, où la raison est un moyen et non une fin.

    Nous avons le sentiment que le monde court à la catastrophe. Nous sommes confrontés à une série de crises économiques et écologiques. Mais mille initiatives naissent de par le monde, comme ce fut le cas pendant la Résistance. Voilà ce qui a maintenu mon optimisme.

    Stéphane Hessel : La métamorphose que propose Edgar Morin est à la portée de toute société à condition qu'elle développe une immunologie à l'égard de ce qui l'entoure : au lieu de mettre les Roms à la porte, qu'on les aide à trouver leur place dans la société.

    Au lieu d'enlever la nationalité à celui qui est né à l'étranger, qu'on l'accueille pour lui donner la possibilité d'être un Français même encore plus dynamique que ses camarades. Voilà le changement d'orientation par lequel la société peut devenir autre ! Il ne faut jamais penser que l'horizon est bouché. Aucune des situations que nous avons traversées avec Edgar Morin n'est restée bloquée.

    Pensez-vous que des institutions comme l'ONU sont des leviers pour inventer une autre voie et lutter contre ces périls ?

    Stéphane Hessel : Nous avons la chance de disposer d'une institution mondiale qui n'a pas seulement pour objectif de mettre un terme aux conflits mais de promouvoir les ressources de l'humanité et de respecter les libertés fondamentales.

    En réalité, ce ne sont pas les peuples qui y siègent, mais les Etats souverains. Faire travailler les Etats ensemble s'est avéré beaucoup plus difficile que nous le croyions à l'époque où les Nations unies ont été créées.

    Nous sommes dans une phase où les oligarchies économiques et financières dominent les Etats qui ne peuvent se sortir individuellement de ces oppressions. Pourraient-ils en sortir collectivement ? Oui, sans doute, l'Union européenne pourrait le faire.

    A l'heure actuelle, il est vain de compter seulement sur les gouvernements pour prendre des mesures qui permettraient le redressement de l'économie mondiale. L'article 71 de la charte des Nations unies évoque la possibilité pour les organisations non gouvernementales d'être consultées par les instances mondiales.

    Nous avons besoin d'ONG plus nombreuses et plus solides, capables de faire pression sur les instances internationales pour les empêcher de subir la dictature des oligarchies financières.

    Edgar Morin : A mon sens, il faut maintenir la mondialisation dans le sens où elle établit la solidarité des peuples, mais il faut aussi préserver le local et le régional contre l'emprise des multinationales.

    Dans certains pays d'Afrique, des multinationales achètent aux gouvernements d'immenses quantités de terre dont on dépossède les paysans pour y faire de l'agriculture intensive d'exportation, provoquant ainsi de nouvelles famines. Toute nation doit avoir son autonomie vivrière. C'est aux Etats, à l'opinion et aux citoyens de l'imposer.

    La crise de la notion prométhéenne de progrès s'est accentuée avec des catastrophes écologiques comme celle de Fukushima. Le monde occidental peut-il envisager un autre chemin que celui de la raison instrumentale ?

    Edgar Morin : Quand un système n'est pas capable de résoudre les problèmes qui le menacent, soit il se désintègre, soit il s'enfonce dans la barbarie, soit il parvient à opérer une métamorphose.

    Les catastrophes de Hiroshima et Nagasaki ont marqué la fin de l'Histoire, non pas au sens où l'entendait le politologue américain Françis Fukuyama, pour qui la démocratie libérale marquait un aboutissement de l'Histoire, mais au sens où tout est à réinventer.

    C'est là que le principe de métamorphose prend toute sa pertinence. La mondialisation est à la fois la pire et la meilleure des choses. En quoi est-ce la meilleure ? Elle a fait apparaître une communauté de destins pour une humanité confrontée aux mêmes problèmes fondamentaux, qu'ils soient écologiques, sociaux, politiques ou autres.

    Ainsi, nous ne pourrons arriver aux changements que souhaite Stéphane Hessel sur le plan de la gouvernance mondiale qu'en développant un sentiment d'appartenance à la communauté, à ce que j'appelle la "terre patrie".

    Ce mot de patrie est très important ; il fonde la communauté de destins sur une filiation partagée. La "terre patrie" ne signifie pas qu'il faille dissoudre les communautés nationales et ethniques : l'humanité a besoin de préserver sa diversité en produisant son unité.

    Il est vital de créer une instance capable de décider des problèmes écologiques, d'anéantir les armes de destruction massive et de réguler l'économie de façon à juguler la spéculation financière.

    Quelles sont les mesures concrètes qui permettraient de s'engager sur une nouvelle voie ?

    Stéphane Hessel : Enumérer une succession de mesures phares n'est pas une solution au vu de la complexité et de l'interdépendance de tous ces problèmes. A la base de tout, il faut une réforme de la pensée, une réforme du vivre et de l'éducation.

    Si l'on veut aller vers une métamorphose, il faut travailler sur tous les fronts à la fois.

    Edgar Morin : Une autre politique économique est possible. Elle ne passe pas seulement par le développement d'une économie verte, mais par de grands travaux de revitalisation des campagnes, de dépollution et de réhumanisation des villes...

    Par ailleurs, dans les marges, on voit déjà se mettre en place une économie sociale et solidaire, avec des banques qui permettent l'épargne, des monnaies locales, des microcrédits. Le commerce équitable et l'agriculture biologique suppriment les intermédiaires prédateurs et refoulent l'agriculture industrielle, polluante et destructrice des sols.

    Il convient de recréer une alimentation de proximité qui nous donnerait une autonomie vivrière, indispensable en cas de crise ou de désastre. Autant de mesures qui montrent qu'au-delà des chiffres de la croissance, une autre politique est possible.

    Aujourd'hui, les adolescents des banlieues sont livrés à l'économie des trafics et à la délinquance à laquelle on ne veut répondre que par une répression accrue, alors que nous savons que les prisons sont des couveuses de criminalité.

    Dans des favelas de Rio, un investisseur a ouvert une maison où les jeunes peuvent apprendre à lire, à écrire, pratiquer des activités sportives ou artistiques : quand ces enfants des bidonvilles sont reconnus dans leur intégrité, la délinquance baisse. Mille exemples montrent qu'on peut trouver des solutions.

    Votre programme serait ainsi une synthèse des trois gauches, la gauche libertaire, la gauche socialiste et la gauche communiste ?

    Edgar Morin : Le libertarisme se focalise sur l'individu, le socialisme vise à ce que la société soit meilleure et le communisme insiste sur le commun. La gauche ne peut se régénérer qu'en reliant ces trois sources. Je souhaite que les partis se décomposent et se recomposent en une nouvelle formule.

    La perte de confiance dans les élites peut se traduire par un vote d'extrême droite ou par l'abstention, mais elle peut également susciter des mouvements libertaires qui expriment des aspirations profondes. Comme nous l'avons vu récemment dans les révolutions du monde arabe, il nous manque une force organisatrice dotée d'une pensée politique capable de donner un sens à l'action.

    On peut se révolter, aspirer à une autre vie démocratique mais, une fois que cette inspiration s'est manifestée, ces mouvements se déchirent. Il importe avant tout d'élaborer une pensée politique fondée sur un diagnostic de la situation.

    Croyez-vous encore que ces partis traditionnels peuvent porter les réformes que vous appelez de vos voeux ?

    Stéphane Hessel : Oui, et même tels qu'ils sont. Que faut-il essayer d'obtenir ? L'élection d'un président de gauche soutenu par les trois composantes citées. La constitution d'une vraie gauche au Parlement européen est primordiale. Il ne faut surtout pas se dire "je ne vote plus car les partis sont décevants" : tous les partis sont décevants, mais nous avons besoin d'un gouvernement.

    Nous manquons d'inventivité politique. Les gens votent pour des partis sans en comprendre exactement le fonctionnement. En France, le nombre de syndiqués est minime par rapport à d'autres pays. Nous ne vivons pas véritablement dans une démocratie. L'élection d'un président de la République au suffrage universel est contraire au fonctionnement d'une démocratie parlementaire.

    Il faut viser une nouvelle constitution fondée sur la décentralisation et une plus grande participation des forces intermédiaires. Il reste du travail à faire, mais il n'est pas insurmontable : il y a un désir latent de sortir du seul système des vieux partis politiques français.

    Il faut nous mettre à l'écoute de la volonté populaire qui appelle un changement radical du fonctionnement de la démocratie.

    Edgar Morin, vous souhaitez nous faire partager des strophes méconnues de "La Marseillaise". Et vous, Stéphane Hessel, nous faire découvrir un poème écrit avec votre femme et qui porte le titre de "Il n'y a plus de 14-Juillet".

    Edgar Morin : Oui, il s'agit des 11e et 12e strophes de La Marseillaise qui sont pratiquement inconnues alors qu'elles portent le mieux le grand message de 1789. Dans ces strophes, le chant allie le sentiment patriotique à l'universalisme le plus grandiose, qu'on en juge :

    "La France que l'Europe admire a reconquis la liberté/Et chaque citoyen respire sous les lois de l'égalité/sous les lois de l'égalité !/Un jour son image chérie s'étendra sur tout l'univers/Peuples ! Vous briserez vos fers et vous aurez une patrie. Aux armes, citoyens ! "

    Stéphane Hessel : Au moment où nous en voulions encore au général de Gaulle de ne pas avoir mis fin plus rapidement à la colonisation, nous écrivions, ma femme Vitia et moi, un petit texte dont je vous dirai simplement les deux dernières strophes que nous chantions sur l'air de Il n'y a pas d'amour heureux :

    "Où sont passées, Paris, tes passions populaires, le bruit de tes pavés faisait trembler les rois et l'Histoire s'avançait au rythme de tes pas et quand, seul contre tous tu chantais "ça ira", ça en faisait du bruit au-delà des frontières, ça c'était le 14-Juillet. Maintenant que tu t'es rangé, ces mots qui t'enflammèrent, on les retrouve encore sur tes vieux monuments mais ceux qui meurent pour ça à Bône et à Oran, ce sont des fellagas, ce sont des musulmans. Tes filles dansent avec ceux qui les pacifièrent, on appelle ça le 14-Juillet."

    C'était sévère, mais peut-être juste.

    </article> <aside class="fenetre"> Edgar Morin

    Né à Paris, le 8 juillet 1921, Edgar Nahoum, enfant unique de Vidal et Luna Nahoum, juifs séfarades originaires de Salonique émigrés à Ménilmontant, perd sa mère à l'âge de 10 ans. Combattant volontaire de la Résistance, lieutenant des Forces françaises combattantes (1942-1944), membre du Parti communiste dont il est exclu en 1951, Edgar Morin est directeur de recherches émérite au CNRS, président de l'Agence européenne pour la culture (Unesco) et de l'Association pour la pensée complexe. Il se consacre depuis vingt ans à la recherche d'une méthode apte à relever le défi de la complexité qui s'impose à la connaissance scientifique et à nos problèmes humains, sociaux, politiques (La Méthode, Seuil, 2007). Il a effectué d'importantes recherches en sociologie contemporaine et s'est efforcé de concevoir la complexité anthropo-sociale en y incluant les dimensions biologiques et imaginaires. Un hors série du Monde, "Edgar Morin, le philosophe indiscipliné", lui a été consacré. Il vient de publier Mon Paris, ma mémoire (Fayard, 270 p. 19 €) après La Voie (2012, Fayard/Pluriel), Pour l'avenir de l'humanité (Fayard, 2011) et Mes philosophes (Germina, 2011).

    </aside> Stéphane Hessel

    Naît le 20 octobre 1917 à Berlin. Son père, Franz Hessel, essayiste, ami de Walter Benjamin et traducteur de Proust, appartient à l'intelligentsia de la République de Weimar. Sa mère, Helen Grund, a inspiré le roman Jules et Jim d'Henri-Pierre Roché, adapté au cinéma par François Truffaut (1962). Elevé dès le début des années 1920 en France, Stéphane Hessel intègre l'Ecole normale supérieure en 1937 et fait des études de philosophie.

    Après la débâcle de 1940, il est proche de l'Américain Varian Fry qui s'efforce alors de faire sortir les intellectuels allemands menacés de la France occupée, puis gagne Londres où il travaille pour le Bureau central de renseignements et d'action. Arrêté au cours d'une mission en 1944, il est déporté à Buchenwald, Dora puis Bergen-Belsen et ne retrouve Paris qu'en mai 1945. Devenu diplomate, il assiste à la naissance de l'ONU. Il y sera chef de la délégation française à partir de 1977 et élevé à la dignité d'ambassadeur de France en 1981.

    Infatigable signataire de pétitions en faveur des causes qui lui tenaient à coeur, la lutte contre la pauvreté, la défense des Palestiniens ou celle des objectifs du Conseil national de la Résistance. Ce proche de Michel Rocard et amateur de poésie s'est engagé jusqu'à la fin de son existence à travers son texte Indignez-vous ! (Indigène, 2010), dont le retentissement fut mondial. Il est mort le 27 février à Paris.


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  • Accueil > TopNews > Pics de pollution aux particules sur plusieurs régions

    Pics de pollution aux particules sur plusieurs régions

    Créé le 28-02-2013 à 16h05 - Mis à jour à 18h25    lien

     

    A la faveur du froid, plusieurs régions françaises connaissent ces jours-ci de nouveaux pics de pollution aux particules fines, polluants émis par nos pots d'échappement, nos cheminées ou encore le sablage des routes et dont la France, dans le collimateur de Bruxelles, ne parvient pas à se débarrasser.
(c) Afp

    A la faveur du froid, plusieurs régions françaises connaissent ces jours-ci de nouveaux pics de pollution aux particules fines, polluants émis par nos pots d'échappement, nos cheminées ou encore le sablage des routes et dont la France, dans le collimateur de Bruxelles, ne parvient pas à se débarrasser. (c) Afp

    PARIS (AFP) - A la faveur du froid, plusieurs régions françaises connaissent ces jours-ci de nouveaux pics de pollution aux particules fines, polluants émis par nos pots d'échappement ou nos cheminées et dont la France, dans le collimateur de Bruxelles, ne parvient pas à se débarrasser.

    Dans les Bouches-du-Rhône, les taux de particules en suspension dépassent le seuil d'information de la population depuis le 19 février, a indiqué jeudi Air Paca, l'association régionale de surveillance de l'air. En cause: le froid, qui maintient au sol les masses d'air polluées, et le vent faible, qui empêche leur évacuation.

    L'ensemble de la région Rhône-Alpes est également touchée depuis samedi par un épisode de pollution et le niveau d'alerte a été franchi mardi, soulignait mercredi l'observatoire Air Rhône-Alpes. Les régions voisines, Auvergne, Provence-Alpes-Côte-d'Azur et le canton de Genève, enregistraient également de très forts niveaux de pollution.

    Le dépassement du seuil d'information, à partir d'une concentration de 50 microgrammes par mètre cube d'air, s'accompagne de recommandations notamment pour les personnes les plus vulnérables, et celui du seuil d'alerte, au-delà de 80 microgrammes, doit prévoir des mesures de restrictions, comme la limitation de la vitesse maximale.

    Ce seuil d'information a aussi été atteint mercredi en Haute-Garonne et dans le Tarn, selon l'ORAMIP, l'organisme régional, mais un vent d'autan (le vent typique de la région) devait permettre une amélioration de la situation.

    Dans un communiqué, le ministère de l’Écologie a rapporté des dépassements du seuil d'information dans "plusieurs zones" des régions Aquitaine, Auvergne, Bourgogne, Centre, Île-de-France, Limousin, Nord Pas-de-Calais, Pays de la Loire, Poitou-Charentes et Provence-Alpes-Côte d'Azur.

    Diesel

    Ces pics de pollution se multiplient en France depuis quelques années dès que surviennent des conditions météorologiques permettant l'accumulation de ces particules émises par le transport routier, principale source d'émissions dans les villes, mais aussi par le chauffage au bois des cheminées, l'industrie ou l'agriculture.

    Le salage et le sablage des routes en hiver contribuent aussi à ces pics, en apportant d'autres particules qui seront elles aussi envoyées dans l'air, explique Joëlle Colosio, en charge de la qualité de l'air à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe).

    Dans les régions concernées par les pics de pollution, le ministère demande notamment de ne pas utiliser les cheminées, de limiter l'usage des véhicules diesel non équipés de filtres à particules ou de réduire sa vitesse sur les voies rapides ou les autoroutes.

    Les particules fines (appelées PM10 ou PM 2,5 selon leur diamètre) ont un impact majeur sur la santé en s’immisçant profondément dans l'organisme. Outre de nombreuses maladies chroniques, comme l'asthme, la mauvaise qualité de l'air serait responsable de 42.000 décès prématurés en France chaque année, selon des chiffres rappelés début février par la ministre de l’Écologie Delphine Batho en marge de sa présentant d'une série de mesures "d'urgence" .

    Les dépassements récurrents dans une quinzaine d'agglomérations des normes européennes devraient valoir à la France, visée par un recours devant la Cour de Justice de l’Union Européenne, de lourdes sanctions financières.

    Pour rassurer Bruxelles, le gouvernement envisage notamment de réduire la vitesse sur "certains axes à forte fréquentation" comme le périphérique parisien et de bannir 6 millions de véhicules anciens lors des pics de pollution .

    Un levier sans doute plus efficace à long terme serait de réduire la part du diesel, gros émetteur de particules, dans le parc automobile français (60% aujourd'hui). Un comité sur la fiscalité écologique doit se prononcer d'ici juin sur un éventuel alignement des taxes du diesel sur celles de l'essence, une mesure jugée "incontournable" par Mme Batho.


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  • Accueil > Monde > LIBYE. Le mensonge de Kadhafi sur l'immigration

    LIBYE. Le mensonge de Kadhafi sur l'immigration

    Créé le 28-02-2013 à 13h58 - Mis à jour à 16h38   lien

    Il avait fait croire à l'Europe que, sans son aide, elle aurait été submergée par des migrants clandestins. Des chiffres inédits du HCR viennent démentir cette croyance.

     

    Migrants dans le centre de détention Burashada à Gharyan, Libye, en juin 2012 (FIDH/Sara Prestianni)

    Migrants dans le centre de détention Burashada à Gharyan, Libye, en juin 2012 (FIDH/Sara Prestianni)

    Cela aurait dû être "l'invasion". Dans le chaos qui a suivi la chute de Kadhafi, une déferlante de clandestins aurait dû s'abattre sur les côtes européennes. N'avait-il pas prétendu que la Libye était la "porte d'entrée de l'immigration" dans une Europe qui, menacée par "l'avancée de millions d'immigrés", serait, sans son aide, devenue "noire" ? Pourtant, si la Libye attire de nouveau des centaines de milliers de subsahariens, seuls 8.643 migrants ont tenté la traversée en 2012, à bord de 101 bateaux. Un tiers d'entre deux a été intercepté et renvoyé en Libye.

    Pour la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH), qui dénonce depuis longtemps les politiques migratoires de l'Europe et de la Libye, ces chiffres collectés par le HCR, l'agence des Nations Unies pour les réfugiés, et qui n'ont jusqu'ici pas été rendus publics, sont éloquents. Ils montrent que Kadhafi avait bel et bien "gonflé la menace migratoire pour en jouer auprès des Européens" et que la Libye est "moins un pays de transit que de destination".

    Migrants économiques…

    Riche, grâce à son pétrole, en manque de main d'œuvre, car peu peuplée (6 millions d'habitants), la Libye a besoin des travailleurs migrants pour faire fonctionner son économie. Avant la chute de Kadhafi, le pays avait déjà recours à plus de 2 millions de travailleurs égyptiens, tunisiens et subsahariens. Si quelque 800.000 d'entre eux avaient fui la guerre en 2011, ils sont de retour, constate la FIDH.

    L'ONG, qui revient d'une mission effectuée en décembre sur le terrain, raconte que "l'on voit de nouveau sur le bord des routes, sous les ponts, des migrants garagistes, plombiers, etc., avec des pancartes où ils ont représenté un objet symbolique de leur métier, espérant être recrutés, souvent à la journée."

    … et réfugiés politiques

    Ces migrants économiques, souvent de jeunes hommes qualifiés dépourvus de statut légal, ne sont pas les mêmes que ceux qui essaient de rallier les côtes italiennes et maltaises, affirme l'ONG sur la base des données du HCR.

    Celles-ci montrent que deux-tiers au moins des 8 643 migrants qui ont embarqué pour les côtes européennes en 2012 sont des familles entières de Somaliens, Erythréens et Soudanais fuyant la guerre et la répression en quête d'un asile politique, un statut qui n'existe pas non plus en Libye. Le dernier tiers, qui n'a pas été identifié, pourrait aussi venir de ces pays.

    Pour une autre politique migratoire

    A partir de ce constat, la FIDH a appelé, dans une lettre adressée en janvier à la Commission et aux députés européens, l'Union européenne à réviser "son faux diagnostic", fondé sur la "crainte fantasmagorique" d'un afflux de migrants débarquant sur ses côtes, à l'heure où elle renégocie avec les nouvelles autorités de Tripoli les accords en matière d'immigration.

    Pourfendant "l'approche répressive et sécuritaire" toujours en vigueur, notamment de la part de l'Italie, l'ONG demande à l'UE d'aider les autorités libyennes à réfléchir à une politique migratoire adaptée au "cas unique" que présente leur pays plutôt que de "construire encore des centres de rétention qui ne résoudront pas le problème".

    Un marché aux esclaves

    D'autant que la quinzaine de centres recensés dans le pays, où croupissent aujourd'hui quelques 3.000 migrants subsahariens dans des conditions d'hygiène abominables, ressemblent toujours à des camps d'enfermement surpeuplés, où les employeurs viennent faire leur choix comme dans un marché aux esclaves, constate la FIDH, qui dénonçait déjà les conditions de détention des migrants lors de son précédent rapport. Seule différence notable, fait remarquer l'organisation de défense des droits de l'Homme, les autorités libyennes semblent "plus sensibles qu'auparavant à la question migratoire".

    Pas sûr cependant que l'UE l'entende de cette oreille. A la FIDH, on en est bien conscient : "Les Etats-membres continuent de soupçonner ces migrants d'être tentés d'aller en Europe".


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  • Accueil > Education > Sciences Po et les "stratégies labyrinthiques" de Casanova

    Sciences Po et les "stratégies labyrinthiques" de Casanova

    Créé le 28-02-2013 à 18h03 - Mis à jour à 18h59    lien

    A l'issue d'une séquence chaotique, Jean-Michel Blanquer se trouve en bonne position pour disputer la direction de Sciences Po à Frédéric Mion

     

    Jean-Claude Casanova et Michel Pébereau ( à gauche) à l'Assemblée nationale en novembre 2012 (Vincent Isore/ IP3 Press/MAXPPP)

    Jean-Claude Casanova et Michel Pébereau ( à gauche) à l'Assemblée nationale en novembre 2012 (Vincent Isore/ IP3 Press/MAXPPP)
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    Mercredi 27 février, des étudiants de Sciences Po, réunis en AG, ont décidé d’occuper l’école, exigeant de pouvoir auditionner les trois candidats restant en lice pour la direction de l’école, et demandant au ministre d’intervenir dans la procédure en cours. Ce jeudi, le Conseil de direction de l’école a décidé de voter, en soirée, pour désigner le candidat ayant sa préférence. Qu’arrivera-t-il demain vendredi  à la Fondation nationale des sciences politiques qui, elle aussi, doit choisir ? Surtout si son choix diffère de celui de l’école ?  Et après demain samedi, jour où, en principe, doit être annoncé le nom du nouveau directeur ? Au train où se succèdent les coups de théâtre à Sciences Po, impossible de faire des pronostics.

     Un roman à la David Lodge

    Une chose est sure : la succession de Richard Descoings aura donné lieu à un feuilleton - on a presque envie de dire "une pantalonnade" -  comme jamais on n’en a vu dans le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche en France. David Lodge pourrait y puiser matière à un magnifique roman dans la veine de "Un tout petit monde" ("la quête de la gloire et de l’argent pour un certain nombre d’universitaires ambitieux",  dit la notice  Wikipedia) ou encore de "La chute du British Museum". Un membre éminent de la communauté Sciences Po nous livre en quelques mots un résumé saisissant du syndrome dont vient de souffrir la célèbre institution, en se référant à Jean-Claude Casanova, le président de la Fondation nationale des sciences politiques, qui est à la manoeuvre depuis un an :

    Cet homme est un grand orfèvre en stratégies labyrinthiques, dans lesquelles il a fini par se perdre lui-même."

    Conclave du Vatican

    C’est un séisme pour ce grand intellectuel.  Il est, à juste titre, fier que Sciences Po soit devenu, grâce notamment à Richard Descoings, une institution pouvant se comparer à de grandes universités mondiales. Sauf qu’il n’a pas réalisé que Sciences Po doit, de ce fait, se conformer aux pratiques universitaires mondiales. Et ne peut plus être gouverné comme lorsque l’école était une institution germanopratine pour fils et filles de bonne famille, où les directeurs se cooptaient à l’issue de tractations dignes des conclaves du Vatican.

    Il se trouve que la méthode de la cooptation entre amis s’est révélée fructueuse quand Alain Lancelot accepta avec audace de choisir, pour lui succéder, un conseiller d’Etat d’à peine 37 ans nommé Richard  Descoings. Ce jeunot était censé calmer une école où Lancelot avait provoqué une grève générale des étudiants, en 1995 - avec occupation de l’école - après avoir voulu supprimer les bourses d’études. En fait de calmer l’école, Descoings a fait la révolution.

    Mais du coup, l’institution que Jean-Claude Casanova tente de garder à sa main n’a plus rien à voir avec celle dans laquelle il a débuté il y a 55 ans, et ou il a commencé à enseigner il y a 44 ans.

     Des tracts nauséabonds

    Déjà, Michel Pébereau, le complice de toujours de Casanova, a quitté la présidence du Conseil de direction de l’école. Récemment renouvelé à l’issue d’élections, ce Conseil compte désormais des membres qui ne sont pas décidés à poursuivre les pratiques d’antan.  Beaucoup de ceux qui, en interne, parlent de ces pratiques, toujours sous couvert d’anonymat, utilisent des termes cinglants, voire insultants pour Jean-Claude Casanova, en multipliant les références à son origine corse.

    Dans l’école circule un tract en forme d’annonce de recrutement du nouveau directeur. La mission du celui-ci est ainsi présentée : "Savoir répondre à de très nombreuses demandes émanant des grands corps de l’Etat, de la bourse de Paris et des réseaux d’amitiés corses". Au chapitre des compétences requises, on demande « un excellent relationnel et goût pour le travail en clan » avec cette précision :« Aucune expérience universitaire souhaitée ( réseaux et argent suffisent) »

    C’est dire à quel point l’atmosphère interne est devenue délétère Rue Saint Guillaume, et à quel point il urge que cesse cette crise. La nomination d’un directeur suffira-t-elle ? En tous cas Jean-Claude Casanova a eu l’habileté de programmer l’annonce du nom du nouveau directeur le samedi 2 mars, jour du début des vacances en région parisienne.

     Le jeu des pronostics

    Au stade où on en est, seul est possible le jeu des pronostics concernant les trois noms en lice     

    - Frédéric Mion : il est - clairement - le candidat de Jean-Claude Casanova et sans doute aussi de Michel Pébereau. Si on pouvait en douter, le programme qui est le sien, long de 9 pages, et que l’agence AEF a divulgué, est un quasi copié-collé des discours du président de la FNSP. Mion estime qu’il n’y a « pas de crise à Sciences Po » (!) et que tout est de la faute des medias qui ont répercuté et exagéré les conclusions de l’audit de la Cour des Comptes.  Il pense  que la Cour n’a pas bien compris la dualité entre FNSP et IEP qui « est un bien précieux ». Son programme propose la poursuite pure et simple des voies suivies jusqu’ici.

    En négatif, il ne séduit pas les anciens élèves de Sciences Po qui se sont prononcés, à l’unanimité, en faveur d’un autre candidat, Jean-Michel Blanquer. Le sujet n’est pas indifférent dans la mesure où Mion compte beaucoup sur les dons des entreprises (donc des anciens élèves) pour le financement de l’école. Et restera à voir si les universitaires dialogueront bien avec ce directeur qui n’a aucun des titres académiques en usage parmi les patrons d’université ( doctorat, habilitation à diriger la recherche…)  

    - Andrew Wachtel, universitaire américain, ancien élève de Harvard College et docteur de Berkeley est l’ancien président de la Graduate school de Northwestern university où il a monté un accord d’échange avec Sciences Po.

    C’est un universitaire dynamique et entreprenant. Il dirige l’université américaine en Asie centrale ( AUCA) à Bichkek, au Kirghiztan. Il a expliqué sa démarche dans un interview au site Francekoul, lié à l’Alliance Française et à l’Institut Français. En positif : ce serait une innovation sans précédent de voir une institution comme Science Po se choisir un directeurt étranger, américain par surcroît, l’Amérique étant considérée comme le siège des plus prestigieuses universités du monde. En négatif : Wachtel ne connait pas les moeurs des universitaires français, qui ne sont pas simples. Et son programme concernant Sciences Po fait trois pages

     - Jean-Michel Blanquer a beaucoup d’atouts en sa faveur. L’assemblée générale des anciens élèves de Sciences Po s’est prononcée à l’unanimité en sa faveur.  Il est bardé de diplômes ( agrégé de droit public, docteur en droit, maîtrise de philosophie, ancien de l’IEP, ancien graduate student à Harvard. Spécialiste de l’Amérique latine, il est l’auteur de nombreux ouvrages. Son programme fait 35 pages : il connait à fond le cas Sciences Po. C’est un ancien « complice » de Descoings, il a favorisé les opérations ZEP quand il était recteur de Créteil. Aimant innover, il s’est impliqué dans la création des internats d’excellence. Il a aussi promu l’idée du cartable  en ligne et de la « mallette des parents » ainsi qu'une idée qui fit polémique : créer une cagnotte pour lutter contre l’absentéisme scolaire. Enfin il connait comme sa poche les méandres de l’administration française, ayant notamment occupé le poste très délicat de Directeur général des enseignements scolaires (Degesco). En négatif : il est étiqueté plutôt à droite, ayant été promu par de Robien et Sarkozy.

     Louis Vogel doublé par une plus belle fille

     Reste à savoir pourquoi Louis Vogel, qui avait tous les atouts pour le poste, y compris la faveur de nombreux profs en interne, s’est retiré du processus. Certes il a expliqué que les critères de sélection n’avaient pas été respectés. Mais la réalité est plus prosaïque : Jean-Claude Casanova et Michel Pébereau lui avaient  déroulé le tapis rouge pour qu’il se présente. Tout se passait bien… jusqu’au jour où - assez récemment - ils sont tombés sur Frédéric Mion, qu’ils ont trouvé plus à leur goût. Tout en se gardant d’en prévenir Vogel. Selon l’expression consacrée «  il y a eu rupture de fiançailles parce qu’une plus belle fille s’est présentée » 

    Quand Vogel a vu dans le communiqué de Sciences Po que Mion avait obtenu « l’unanimité des votes du Comité de sélection », il a compris.

    Il y a bien eu « stratégie labyrinthique » de la part des patrons de Science Po. Et ils le paient d’une situation qui a tourné à la confusion.

     

    [Lire aussi dans le Nouvel Observateur de cette semaine « le fantôme de la Rue Saint Guillaume », une enquête de quatre pages de Sophie des Déserts]


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