Ils ne sont pas nombreux, les opposants libéraux en Arabie Saoudite et encore moins ceux qui s’expriment publiquement. Raef Badaoui est l’un d’eux. A ce titre, il a été condamné fin 2014 à mille coups de fouet répartis sur vingt semaines et à dix années de prison. Officiellement pour «insultes» envers l’islam et pour avoir désobéi à son père. Sa condamnation avait ému, principalement en Europe et aux Etats-Unis. Jeudi, le blogueur, âgé de 31 ans et emprisonné depuis 2012, a obtenu le prestigieux prix Sakharov pour la liberté d’expression. Il lui a été décerné par le Parlement européen qui a appelé à sa libération «immédiate».

Dans un communiqué, le président du Parlement européen, Martin Schulz, a souligné que l’opposant a «courageusement exprimé ses idées et ses doutes sur les règles de son pays» et «s’est battu pour la liberté de tous les Saoudiens». Cet homme «courageux et exemplaire» est soumis à une «peine cruelle […] que l’on ne peut objectivement que qualifier de torture», a-t-il plaidé. Il a également demandé au roi Salmane de gracier et libérer immédiatement le prisonnier, pour qu’il puisse venir chercher son prix lors d’une cérémonie prévue le 16 décembre.

Réunis à Strasbourg, les ­députés se sont levés et ont longuement applaudi la décision prise un peu plus tôt par les chefs de file de leurs groupes politiques. Depuis ­Montréal, au Canada, où elle s’est réfugiée avec leurs trois enfants, Ensaf Haida, l’épouse du lauréat, a salué la décision du Parlement européen, voyant en elle le signe que son mari «n’est pas ­coupable».

Le Parlement européen a préféré Raef Badaoui à deux autres nominés : une coalition d’opposants politiques au Venezuela et l’opposant russe assassiné Boris Nemtsov, dont le nom avait été cité à titre posthume.

Raef Badaoui a déjà subi une première séance de flagellation, le 9 janvier, devant une mosquée de Jeddah, en présence d’une foule nombreuse. En revanche, la séance du vendredi suivant avait été repoussée, le médecin de la prison ayant fait savoir que ses «blessures n’étaient pas encore cicatrisées correctement et qu’il ne serait pas capable de supporter d’autres coups de fouet» . Signe d’un certain embarras des autorités, soucieuses de l’image du royaume, elles n’avaient pas repris. Aucune raison n’a été avancée pour justifier leur report, ce qui laisse supposer que Riyad cherchait à aménager la peine du jeune supplicié. Le fait que les vidéos tournées sur le lieu du supplice montrent un bourreau retenant ses coups plaide en faveur de cette hypothèse.

Il demeure que jamais un journaliste saoudien n’avait été sanctionné aussi lourdement dans le royaume au prétexte d’«injures à l’islam». Jusqu’alors, les sanctions pour un délit de ce type étaient de soixante-quinze coups de fouet. Or, une telle cruauté a forcément une explication.

En fait, on ne sait pas exactement ce que l’accusation lui reproche. Pour l’épouse du journaliste, le procès était centré sur des déclarations faites à France 24 en décembre 2010. «Un athée a le droit de dire ce qu’il veut […] et personne n’a le droit de lui réclamer des comptes pour ses opinions», avait-il déclaré. Ou sa dénonciation des moutawa’in, la sinistre police religieuse chargée «de la promotion de la vertu et de la prévention du vice».

Le blogeur saoudien Raef Badaoui, le 16 janvier 2015

Raef Badaoui (photo AFP)

Si l’on prend en compte les rapports de forces au sein du royaume, Raef Badaoui et le courant qu’il ­incarne ne sont certainement pas un danger pour le pouvoir. Au contraire, il vient d’une famille très proche du régime, de certains princes en particulier. Lui-même, en tant qu’animateur du site ­internet Free Saudi Liberals, n’est pas foncièrement ­opposé à la monarchie. Ses cibles, jusqu’à son arrestation, étaient donc davantage les religieux du pays, dont le poids sur les institutions sape toute idée de ­réforme.

Aussi, face aux pressions des radicaux conservateurs sur la dynastie régnante, son site pouvait-il apparaître comme un petit contrepoids, mais largement inoffensif, à la différence des islamistes. Faut-il croire que sa lourde condamnation, dans un pays où la presse est beaucoup plus libre qu’on ne l’imagine, était un gage donné aux religieux ? Surtout, à l’heure où l’Etat islamique cherche à contaminer le pays et où Al-Qaeda dans la péninsule arabique (Aqpa) n’a sans doute pas été complètement éliminée.

Eric Landal