François Hollande présente les priorités de la politique industrielle de la France à l’Élysée, le 12 septembre 2013 (C.TESSON/MAXPPP).
L'annonce des 34 plans pour réindustrialiser la France a fourni au socialisme au pouvoir l'occasion de
passer un nouveau cap dans l'élaboration de leur stratégie de communication politique en forme de
suprême oxymore. De l'art d'évoquer l'avenir le regard fixé vers l'horizon du... passé.
On ne met pas en cause ici le discours prononcé par le président
Hollande, empreint d'un volontarisme que certains, à gauche,
aimeraient constater plus souvent, mais le clip mis en ligne sur
le site de l'Élysée et destiné à montrer au peuple de France ce que
sera la France industrielle de demain.
Une démonstration par l'image de ce que sera la France de la voiture sans chauffeur, de l'auto qui
consomme 2 litres au 100 et du solex bien de chez nous vantés par Arnaud Montebourg sur Europe 1
dans la matinée de ce jeudi 12 septembre.
Digne d'un manuel d'histoire de CE1 à la sauce gaulliste
"La Nouvelle France industrielle", tel est le titre de ce court métrage à grand moyens, conçu pour nous
ébahir, nous citoyens de France, et nous donner l'énergie et l'envie, de 7 à 77 ans et plus, de nous
lancer dans cette aventure de l'avenir.
Ce clip n'est pas une anecdote. S'il a été scénarisé et réalisé, s'il est présenté en l'état, c'est qu'il
a reçu l'approbation des responsables en charge de la communication politique du pouvoir.
Donc, ce clip s'ouvre par un noir écran, accompagné d'une sentence prophétique qui semble portée
par une voix à la Denis Podalydès : "La France se réinvente". Après cette entrée en matière en forme
de statue du commandeur invisible, apparaissent les premières images, elles-mêmes accompagnées
d'une illustration musicale très originale (ce que personne n'avait jamais osé tenter, sans aucun doute,
depuis que le cinéma puis la télévision ont vu le jour) : le troisième mouvement, dit Orage, de l’Été
des "Quatre saisons" de Vivaldi.
D'entrée de jeu, le spectateur, confronté à cette entrée en matière d'une innovation bouleversante,
sent que le clip va être "raccord", comme on dit en matière de montage d'images, avec le propos,
"La France se réinvente". Mais trêve de description, place au clip :
"La France qui se réinvente", la "Nouvelle France industrielle", c'est
d'abord les manufactures de Colbert, le Fardier de Cugnot, la
ocomotive à vapeur, les usines Renault, la Montgolfière, le vélo, la
mobylette, le dirigeable, le cinéma des frères Lumière, Pasteur et
son vaccin contre la rage, Marie Curie et la radioactivité... On se
croirait dans un manuel d'histoire de CE1 à la sauce gaulliste des
années 1960...
Les concepteurs de ce clip auraient pu aller encore plus loin dans le genre, tant manquent Saint Louis
sous son chêne, l'inventeur de la justice moderne, Charlemagne et ses Missi dominici, l'inventeur de la
Poste, ou bien encore Ambroise Paré et ses dissections en douce, l'inventeur de la médecine moderne...
Peu d'images évoquant l'avenir
Le clip nous livre ensuite une leçon d'histoire tout droit sortie des
manuels scolaires d'aujourd'hui, à la sauce Sarkozy des années 2000.
Les difficultés de la France industrieuse à travers l'histoire des trois derniers siècles se résument à trois
faits : la crise de 1929, la Seconde Guerre mondiale et la chute de Lehman Brothers... Il faut d'un coup
être Marc Bloch pour maîtriser cette présentation en mode École des annales et mettre en rapport les
faits les uns avec les autres, soit un exercice intellectuel qu'il faut maîtriser en moins de quinze
secondes, ce qui n'est pas à la portée de tous, chacun en conviendra.
Puis, le clip nous ramène à son propos, la "Nouvelle France industrielle", cette France qui "se réinvente"
... Et en toute bonne logique, cette présentation de notre radieux futur débute par un extrait sonore...
du général de Gaulle, du Concorde et du TGV (pourquoi a-t-on oublié le France ?).
Et puis Pompidou, et puis le Minitel et puis le tunnel sous la Manche... Et puis 2013, François Hollande
qui vient, qui proclame qu'il veut réindustrialiser la France, et alors, enfin, surgissent sur l'écran des
images évoquant l'avenir, mais hélas, toujours accompagnées de l’Été de Vivaldi.
Sont alors convoqués pour construire la "France réinventée", et ce par la voix off à la Denis Podalydès,
les "travailleurs", "entrepreneurs", "créateurs", "chercheurs", "ingénieurs" mais pas les "professeurs",
pourquoi ? (on note aussi que ceux qui n'exercent pas une profession en "eur" ne sont pas convoqués,
la France qui se réinvente aime la rime riche).
Le tout se termine (enfin !) par une envolée à la Malraux des grandes heures (ou à la Guaino
des petites) :
"La France se relève, la France se réinvente !"
Une France qui parle du futur en regardant derrière elle
Ce clip, dont on peut dire sans risque de se tromper qu'il est dans la forme
d'une ringardise rafraichissante, clip daté, pompeux, digne de l'ORTF dirigé
par Alain Peyrefitte en 1963, ce clip est cependant instructif en ce qu'il porte,
sur le fond, la marque de l'air du temps.
Ce clip est cette France qui parle d'avenir en regardant derrière elle. Il est ce pays qui ne vit plus
qu'en contemplant sa gloire passée dans le rétroviseur. Il est cette télévision où se multiplient les
émissions de patrimoine et où l'on célèbre Versailles et Vaux-le-Vicomte, Louis XIV triomphant de
Fouquet, Colbert et Vauban, avec Stéphane Bern.
Ce clip est aussi une sorte d'aveu implicite de ce qu'est le socialisme au
pouvoir en 2013. Par exemple, les usines Renault sont présentées comme une preuve de la
créativité industrielle française au début du XXe siècle, mais on ne montre pas les grèves de 1936,
dans ces mêmes usines. Les congés payés, ça ferait tache dans la France réinventée, la "Nouvelle
France industrielle" ?
De même, on met en avant les présidents des Trente glorieuses, et l'on
oublie Mitterrand, sa retraite à 60 ans, la 5e semaine de congés payés,
les lois Auroux, mais aussi les restructurations industrielles de 1984,
avec Pierre Mauroy, opérations bien plus difficiles à mener que la
politique industrielle en période de pleine croissance des deux premiers
présidents de la Ve.
On oublie Mitterrand comme on oublie Blum. Le progrès industriel
ne peut-il s'accompagner du progrès social ?
Question pour finir : ceux qui ont accouché de ce clip sont-ils certains
de refléter l'ambition de François Hollande, ou pas ? Si oui, la gauche
au pouvoir a un problème. Si non, c'est François Hollande qui a un
problème.