Obama: les États-Unis ne sont pas guéris du racisme
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Le président américain Barack Obama.Photo Kevin Lamarque / Reuters
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Jérôme Cartillier
<time datetime="2015-06-22T16:h3">22-06-2015 | 16h32</time>
Quelques jours après la fusillade de Charleston dans laquelle neuf Noirs ont perdu la vie, Barack Obama a dénoncé les tenaces divisions raciales qui demeurent au sein de la société américaine, prononçant le mot «nègre» pour mieux appuyer sa démonstration.
«Nous ne sommes pas guéris du racisme»: dans un entretien au ton parfois très personnel, le premier président noir des États-Unis a longuement abordé cette question sensible, insistant sur l'ombre pesante de l'esclavage dans un pays où la ségrégation a été abrogée il y a seulement un demi-siècle dans certains États du Sud.
«L'héritage de l'esclavage, des (lois de ségrégation raciale) Jim Crow, de la discrimination dans presque tous les compartiments de nos vies, cela a eu un impact durable et cela fait toujours partie de notre ADN», a expliqué M. Obama dans l'émission radio WTF with Marc Maron, enregistrée vendredi à Los Angeles --deux jours après la fusillade sanglante-- mais diffusée lundi matin.
«Les sociétés n'effacent pas complètement, du jour au lendemain, ce qui s'est passé 200 ou 300 ans plus tôt», a-t-il poursuivi.
Et le président américain d'insister: «Il ne s'agit pas seulement de ne pas dire nègre en public parce que c'est impoli, ce n'est pas à cela que l'on mesure si le racisme existe toujours ou pas».
Preuve du caractère extrêmement insultant de ce mot - que certaines télévisions américaines ont décidé de censurer lors de la diffusion de ce passage - le porte-parole de la Maison Blanche a été longuement interrogé sur le sujet.
Reconnaissant que c'était la première fois que M. Obama l'utilisait lors d'une entretien (il l'avait en revanche écrit dans l'un de ses livres), Josh Earnest a expliqué que le président ne regrettait aucunement de l'avoir prononcé et avait voulu insister sur la nécessité d'un débat en profondeur.
Durant la campagne de 2008, M. Obama avait abordé frontalement la question des relations entre Noirs et Blancs lors d'un discours à Philadelphie (est), après une controverse sur des propos incendiaires de son ancien pasteur Jeremiah Wright. «Le racisme est un problème que ce pays ne peut se permettre d'ignorer», avait-il lancé.
«La marche n'est pas terminée»
Depuis son arrivée à la Maison Blanche pourtant, il a souvent fait preuve d'une grande prudence sur ce thème, certains de ses partisans déplorant régulièrement l'absence d'une réaction plus forte --et plus personnelle-- à chaque fois qu'un incident faisait resurgir le spectre du racisme.
Dans l'entretien diffusé lundi, M. Obama, né d'une mère américaine et d'un père kényan, évoque aussi son enfance et son rapport à sa couleur de peau. Il raconte comment il a appris à se positionner «comme Africain-Américain mais aussi comme quelqu'un qui revendique le côté blanc de sa famille». «J'essayais de comprendre comment j'étais vu et perçu en tant qu'homme noir aux États-Unis».
Mais le président américain met aussi en garde contre la tentation de réécrire l'histoire ou de minimiser les progrès accomplis, soulignant que les relations raciales se sont sensiblement améliorées au cours des 50 dernières années: «Les opportunités se sont développées, les attitudes ont changé. C'est un fait», a-t-il expliqué. «Ne dîtes pas que rien n'a changé», a-t-il martelé.
«Les progrès sont réels et sont une source d'espoir. Mais ce qui est également bien réel est que la marche n'est pas terminée», a ajouté le président, en référence à son discours prononcé début mars à Selma, petite ville de l'Alabama (sud) devenue symbole de la lutte non-violente pour les droits civiques.
Devant le pont Edmund Pettus sur lequel, il y a cinquante ans, plusieurs centaines de manifestants pacifiques furent violemment pris d'assaut par la police, M. Obama avait appelé à la lucidité et à la vigilance.
La répression sanglante de cette marche bouleversa l'Amérique et aboutit quelques mois plus tard au Voting Rights Act, qui garantissait à tous le droit de vote en supprimant un nombre incalculable d'obstacles qui se dressaient sur la route des Noirs désireux de s'inscrire sur les listes électorales.
«Si nous arrivions à faire autant de progrès au cours des dix années à venir que nous en avons faits au cours des 50 dernières, les choses iraient beaucoup mieux», a conclu M. Obama. «Et c'est faisable. C'est à notre portée».
Obama à Charleston vendredi
Le président américain se rendra vendredi à Charleston, en Caroline du Sud, pour prononcer l'éloge funèbre du pasteur Clementa Pinckney, abattu avec huit paroissiens d'une église noire mercredi par un jeune suprémaciste blanc de 21 ans.
«Le président et le vice-président (Joe Biden) se rendront vendredi à Charleston pour assister aux funérailles du pasteur Pinckney», a annoncé la Maison Blanche.
Figure de la communauté noire locale, élu démocrate du Sénat de Caroline du Sud, le pasteur de l'Emanuel African Methodist Episcopal Church avait rencontré le président américain à plusieurs reprises.
Au lendemain du drame, M. Obama avait souligné les liens qui le liaient au pasteur Pinckney et s'était aussi attardé sur les lieux du drame. «C'est plus qu'une église. C'est un lieu de prière fondé par des Africains-américains en quête de liberté. C'est une église qui a été réduite en cendres parce que ses fidèles s'étaient battus pour mettre fin à l'esclavage», avait-il souligné.
M. Obama est ainsi amené pour la deuxième fois en moins d'un mois à prononcer une éloge funèbre. Début juin, il avait prononcé celle de Beau Biden, fils du vice-président, décédé d'un cancer à l'âge de 46 ans.